Un récit de voyage en Iran à la fin de l'année 2022 (coupe du monde de football Killian MBappé y est très populaire). L'écrivain décide une fois la crise sanitaire terminée, de séjourner en Iran, un projet décidé trois ans plus tôt.
L'auteur désire suivre les traces de
Nicolas Bouvier (1929-1998), écrivain, photographe et voyageur, qui écrivit
L'usage du monde en 1963, un ouvrage devenu sa Bible.
Ici, il relate les 40 jours vécus en ex Perse suivant le parcours de son idole, d'ouest en Est (Téhéran, Qom, Kāchān, Ispahan, Chiraz, Persépolis, Abarkouh, Yazd, Kerman, désert de Lout, Keshit, Bam, Zāhedān (frontière Pakistanaise). Puis, Tabriz pour terminer par Saqqez dans le Kurdistan où un gardien de la Révolution lui intime l'ordre de rentrer chez lui, de s'en retourner en France ; ce qu'il fit. Son récit haut en couleur raconte son périple au pays de l'Ayatollah Khomeini.
Les touristes sont rares et les journalistes occidentaux totalement absents, faute de visas délivrés. D'ailleurs, on l'avait prévenu, le ministère des Affaires Etrangères français l'avait informé qu'il ne devait pas y aller, le danger étant trop grand ; le territoire placé en zone rouge par les autorités. Trop tard, l'écrivain atterrissait à Téhéran, capitale d'un pays en pleine répression contre les manifestations suivant la mort tragique d'une jeune femme, Mahsa Amini pour port du voile non conforme aux yeux de la police des moeurs.
Là, il y fait plusieurs rencontres : Saeid, Habib, Niloofar, Ali, Yassin, Aluk, Réza… Ils sont étudiants, chauffeurs de taxi, épiciers, restaurateurs ou mollahs, et des voyageurs étrangers comme lui (Suisses et Allemand dont Marek). A travers, celles-ci, c'est toute la température d'un pays à bout de souffle qu'il découvre et qu'il transcrit dans ce fabuleux roman.
Un livre intéressant et captivant. J'ai aimé ce voyage, les différentes étapes traversées. le lecteur y est transporté. A travers son récit, nous visitons les mosquées, les rues, les oasis, le désert, les mausolées, les palais, les jardins, les bazars, les poètes comme Hafez ou Rûmî, les citadelles …
Nous découvrons des usages (ta'ârof, sigheh), la monnaie, la gastronomie, son Histoire avec un grand H (Darius 1e, le Shah Pahlavi, Zarathoustra, Schulemburg, l'empereur Qadjar, l'avènement de Khomeini et de la République islamique…). Attention, nous ne sommes pas dans un guide du routard !
Comme lui, nous rencontrons des locaux, nous les écoutons. Les langues se délient, les gens parlent et dénoncent un régime asphyxiant. La peur n'est plus aussi grande qu'auparavant, les défis et la dissidence sont partout. La révolte gronde.
Il y dépeint l'usure d'un monde : un pays (autorités, mentalité, gouvernance, répression, liberté bafouée : espionnage ou bassidji, réseaux sociaux et Internet, parole réprimée, meurtres et tortures, interrogatoires clandestins, prison Evin, corruption, poids de la religion : voile et condition de la femme qui est karab, ce qui est abimée et défectueuse, ce que l'on jette puisque avariée, périmée ; la charia. Peur entretenue, l'arme la plus sûre du pouvoir, celui d'un état totalitaire et absolu).
Un monde (peuple) usé, fatigué, érodé, détérioré. Un peuple désireux d'un changement total du régime en place : 87% des Iraniens sont favorables aux revendications des manifestants (note de bas de page, p.126).
C'est avec une belle écriture, moderne au style journalistique ; une écriture ironique que l'écrivain raconte son expérience de l'Orient pour dévoiler et dénoncer ce qui est brutal, absurde, anormal et amoral. Un humour permettant de prendre de la distance avec une réalité que nous ne connaissons pas ou peu car contraire à la nôtre. Un parti pris clairement défini et hypocrite au regard de l'usage du voile en France où aucune voix ne s'élève contre lui par égard aux milliers de jeunes filles tuées pour avoir osé s'en libérer et délivrer.