Nous avions bien surpris sur une rivière brésilienne un aigle-pêcheur arrachant à la surface de l'eau un poisson dans ses serres, et laissant après lui un chapelet de gouttelettes argentées devant le soleil, mais quant au grand aigle harpie, dont nombre d'ornithologues aguerris n'ont jamais vu ne serait-ce que l'ombre d'une plume, eh bien nous non plus.
Nous en venions à évoquer l'ennui majuscule, parfois fécond et souvent stérile, et l'irrépressible besoin de solitude cependant, dont nous souffrions et que nous recherchions, le goût pour la vie contemplative plutôt qu'active, le refus du divertissement.
Le passage du temps modifie la lecture de ces romans qui reposaient sur la découverte géographique.
Les plantations de Takashi étaient comme ces champignons presque invisibles, indiscernables à un oeil non exercé, intégrées à la végétation. Il montrait un petit tas de noix de coco protégeant un jeune pied de manioc, des plants d'ananas éparpillés dans les herbes, des papayers qu'on pouvait imaginer sauvages.
La nuit en Amazonie, se contemple rarement la voûte constellée. Certains Indiens voient dans les étoiles les feux allumés par les hommes restés prisonniers là-haut, quand eux sont bien à l'abri en bas, chez Pachamama, la Terre mère.
Ces hommes qui ne suivirent pas le conseil pascalien de demeurer au repos dans une chambre sont morts pour que nous puissions écrire des histoires.
Pour avoir vu vieillir mon père, il ne me semblait pas si surprenant qu'un fils assiste à la décrépitude progressive et au chemin paternel vers la faiblesse. Comme si, par un jeu de vases communicants, quelque chose passait ainsi de l'un à l'autre.
Humboldt consigne aussi des critiques acerbes du rôle de l’Église catholique et de son clergé. « L'idée même de colonie est immorale ».
Cette phrase de Lévi-Strauss, écrite au milieu du siècle dernier, était revenue un soir dans nos propos : « Ce que d'abord vous nous montrez, voyages, c'est notre ordure lancée au visage de l'humanité. »
Ces mots avaient plus de cinquante ans. Ils disaient la deuxième révolution industrielle vieille d'alors d'un siècle déjà, l'avènement du plus grand bouleversement de l'éco-système depuis la collision, soixante-cinq millions d'années plus tôt, avec l'astéroïde. Ces contrées amazoniennes, depuis l 'époque du caoutchouc, avaient reçu le pire de l'Europe, et sans son humanisme en contrepartie. La disparition des peuples, du paysage et des animaux, l'enlaidissement, avilissent. La laideur induit la soumission et la veulerie, facilite une parodie de démocratie : partout sur les murs d'Iquitos, se voyaient les pictogrammes peints appelant les analphabètes à voter en cochant sur le bulletin un cheval ou un coq.
Avoir sans cesse l'estomac vide n'est finalement pas une si mauvaise façon de traverser la vie. Non que la faim constitue la clef du bonheur, mais elle protège des formes les plus nuisibles de l'angoisse existentielle. La faim ne vous donne pas confiance en vous, mais elle gomme votre sens critique et met un terme à l'introspection. Quand vous préoccupent le souvenir de votre dernier repas et les projets à échafauder pour le prochain, vous ne vous laissez pas aller à philosopher sur le drame de la vie en général, ni sur celui de la vôtre en particulier.