La traite n'est pas une histoire ancienne. Des hommes dont je vois les yeux ont vu les yeux de leur grand-père qui fut un homme enchaîné.
On ne sait trop si on admire ces hommes, Brazza ou Savimbi, Stanley ou Guevara. On les envie un peu, oui. D'avoir cru qu'il était possible de contraindre l'Histoire en marchant droit devant soi au milieu de la forêt. On éprouve moins de respect à l'égard des sédentaires. On a tort sans doute. La sagesse doit être de cultiver son jardin. De classer sa bibliothèque. On aimerait pouvoir les détester, ces fauteurs de troubles brûlés d'inquiétude. On n'y parvient pas vraiment.
Si tous les oiseaux disparaissaient d'un coup, certains d'entre nous mettraient longtemps à s'en apercevoir, ou l'apprendraient dans les journaux, comme on apprend les coups d'Etat, et lèveraient vers le ciel leurs sourcils froncés en cherchant à voir un piaf.
Une vie ça n'existe pas, selon Ali. Des details, oui, des anecdotes qui se croisent, à quoi pour se rassurer on cherche à donner une logique. On ment toujours.
Près de l'église une école, un dispensaire, et un bistrot dans lequel j'offre un verre à deux vieux chrétiens avant que nous ne descendions ensemble vers la jetée des pêcheurs, au-dessus de laquelle la carcasse d'une automobile est encastrée dans un cocotier à mi- pente, regrettable habitude des chrétiens de conduire ivres morts, selon Ali.
Il ne voit pas que le ver est dans le fruit. Que les plus nobles desseins produisent les pires ravages. Il se met le doigt dans l'œil. Ses efforts immenses ouvriront la voie aux exploiteurs qui asserviront et décimeront les populations.
La planète est un incendie. Il faudrait être partout en même temps. Dès qu'on tourne le dos, les flammes repartent de plus belle. On a toujours l'impression qu'on devrait être ailleurs que là où on est.
Ce sont toujours les enfants de la bourgeoisie, depuis la française et la russe, qui théorisent les révolutions.
On soupçonne dans ses propos qu'il n'est pas bien sûr d'avoir toujours opéré les choix les plus judicieux, qu'il ne sait plus trop lui-même s'il est un héros ou un traître. Il s'en faut parfois de peu.
Car tout âge se nourrit d'illusions, sinon les hommes renonceraient tôt à la vie et ce serait la fin du genre humain. (Joseph Conrad)