Métayer appauvri par la rapacité croissante de son propriétaire, le père d'Hâkan et Linus, deux jeunes suédois dont le premier n'est encore qu'un jeune adolescent, parvient, suite à la vente inespérée d'un poulain, à financer la traversée vers les Etats-Unis de ses deux fils. A Portsmouth, Hâkan perd son frère, monte à bord du premier bateau à destination du continent américain et débarque... en Californie. Il n'a alors plus qu'une idée en tête : rejoindre son frère à New York, but de leur voyage. Pour cela, il doit partir à pied vers l'est.
C'est le début d'une longue épopée, qui durera des semaines, puis des mois, puis des années, cet éternel voyage vers l'est ne s'accomplissant jamais, la vie d'Hâkan s'écoulant en une alternance de marches qui semblent infinies et de haltes tout aussi interminables, périple ponctué de rencontres plus ou moins heureuses, de retours en arrière, d'expériences souvent intenses au contact d'un environnement hostile. Car l'Amérique que traverse le héros est un pays encore en friche, où la nature est reine, de ses déserts torrides à ses montagnes glaciales, vastes étendues provoquant le sentiment d'une angoissante inviolabilité.
A contre-courant de cette progression vers l'est, Hâkan croise les pionniers de la conquête de l'ouest, plus ou moins contraint, au début de son voyage, de faire un bout de chemin avec certains d'entre eux. Il côtoie la folie que génère la fièvre de l'or, et en subit parfois les manifestations, se confronte à la violence des uns, apprend de la passion des autres, tel ce naturaliste qui changera sa manière de considérer son environnement et la vie en général en l'initiant à certains secrets du monde naturel.
Sa réaction, lors d'une attaque visant un convoi auquel il s'était joint, et mettant en danger la jeune fille dont il était tombé amoureux, le fait entrer dans la légende : pris d'une rage froide, il assassine de nombreux assaillants. A la suite de cet épisode, il fuit, se terre, poursuivi par la culpabilité d'avoir tué. Celui que l'on surnomme le Hawk (le faucon) faute de pouvoir prononcer son prénom, et que la rumeur métamorphose bientôt en monstre, se coupe de la société des hommes pour une existence de solitude et de dénuement extrêmes, soumis à la tyrannie des éléments, mais apprenant aussi à en tirer subsistance et protection.
Il parvient peu à peu à un point de non retour, incapable de retourner vivre auprès de ses semblables...
Voilà un roman qui porte son titre à merveille, parce que oui, il vous emmène "
Au loin", et cela ne s'arrête pas à un dépaysement géographique, même si le talent évocateur d'
Hernán Díaz est susceptible de provoquer suées et sécheresse buccale, lorsqu'il convoque ses images d'étendues exsangues et de ciels implacables. Mais c'est aussi dans un autre temps qu'il nous transporte, hors la frénésie des hommes, et je ne parle pas tant d'époque que de temporalité. Sans les repères, les échanges qui rythment la vie des communautés humaines, nous sommes plongés avec le héros dans un univers où les notions de durée, de présent ou de futur, ne valent qu'à l'aune de ce qui détermine une survie inextricablement liée aux aléas naturels, et à la capacité d'une adaptation constante.
Sa propre maturation intellectuelle, en l'absence d'interactions avec autrui, se nourrit de cette adaptation qui nécessite à la fois intelligence et instinct, et de souvenirs qui, non confrontés à un point de vue extérieur, entretiennent sa peur des autres et sa culpabilité. Cette existence rude, isolée, le conduit parfois au bord de la folie. le retour à la nature décrit ici, subi, est dénué de tout romantisme. Il n'y a pas d'osmose entre l'homme et son environnement : Hâkan compose, apprend, apprivoise parfois, mais ne fait jamais vraiment corps avec ce monde qui l'entoure. On a pourtant le sentiment d'être ramené à quelque chose d'essentiel, qui replace l'humain à l'état de simple élément d'un environnement qu'il ne pense qu'à asservir, à exploiter, et dont il a oublié la puissance et la légitimité.
Le récit est aussi un moyen pour l'auteur d'évoquer l'exil, et tout le désespoir qu'il peut susciter. J'ai même pensé par moments qu'en plaçant son héros dans cet isolement, confronté à des difficultés auxquelles il s'adapte sans pour autant sembler trouver sa place, il proposait une allégorie de la condition de l'immigré, victime du refus que l'on oppose à sa différence à l'origine de fantasmes amenant à la stigmatisation, et d'une résistance mutuelle à l'autre, empêchant une véritable compréhension.
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Au loin" m'a passionnée et beaucoup émue... à lire !
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