Joël Dicker est un pervers de l'écriture romanesque. Il perturbe les théories critiques concernant la Poétique romanesque en identifiant son personnage, Marcus Goldman, à lui-même,
Joël Dicker: ils sont supposés avoir écrit les mêmes livres, ou être en train de le faire et avoir les mêmes relations ... Les auto-références sont en outre multiples (Harry Québert, Les Baltimore) Ce qui personnellement me réjouit, car il n'y a pas d'écriture méritant intérêt sans transgression des codes antérieurs, fussent-ils catalogués par les pontes de la théorie.
Ceci dit, le roman m'a paru très addictif et
Joël Dicker a une capacité rare à rebondir de fausse piste en fausse piste --elles sont nombreuses et compliquées--. MAIS j'ai compris assez vite que l'invitation d'Alaska à la "soirée romantique" émanait d'une femme et non d'un homme. Il restait à se demander de qui il s'agissait. Ce qui m'a chagrinée est que dans une tragédie grecque les protagonistes, dont le coupable, sont tous présents dès le début du drame. Ce qui n'est pas le cas ici or le roman fonctionne assez, comme les précédents d'ailleurs, sur ce registre. le coupable n'entre en scène que très tardivement. Sorti du chapeau... non pas deus ex machina mais plutôt occisor ex machina. La confession ultime est certes performante, tout est minutieusement expliqué et justifié. Mais elle est aussi franchement ennuyeuse .
En littérature, et ce n'est pas seulement le cas des thrillers, le dénouement de l'intrigue est essentiel, et rarement satisfaisant, sauf chez les grands maîtres. Dans ce roman, après avoir joué et déjoué divers codes pour le grand plaisir de ma propre lecture,
Joël Dicker réactive les poncifs. Dommage, mais néanmoins avant les 60 dernières pages j'ai pris grand plaisir à cette lecture.