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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Diderot a rédigé ce texte comme une suite fictive au célèbre Voyage autour du monde que Bougainville a écrit après avoir réalisé le premier tour du monde français et avoir notamment exploré l'île de Tahiti. Supplément au voyage de Bougainville est un texte hybride comme seul Diderot sait les concocter, mi récit de voyage, mi conte philosophique, mi réel, mi fictif, et dans lequel, encore une fois, il use de cette forme quasi maïeutique — et très efficace — du dialogue.
Deux individus, A et B, lisent et discutent de cette suite qu'ils ont entre les mains (une suite qui comporte deux récits). Comme souvent Diderot joue avec les formes et les règles, il s'en affranchit, on ne sait pas vraiment ce qu'on a entre les mains, un espèce de bébé hybride, mais peu importe car cet affranchissement est souvent au service d'un contenu plus important.
Et ce dont il va s'agir ici ce sont des moeurs des Otaïtiens, de leurs moeurs non entachées —si l'on peut le dire ainsi —, par celles des autres civilisations, des moeurs restées quasi à l'état de nature. On lit leur absence de religion, leurs codes et leurs critères sexuels extrêmement souples voire totalement libérés, leur vie matériel simple, et en même temps que l'on découvre leurs us et coutumes on découvre les interrogations que cela soulève chez les deux individus, (qui forment en quelque sorte les deux faces d'une même réflexion). Puis ils liront les deux récits qu'ils ont en mains où on découvrira les échanges directes entre d'une part, un chef otaïtien et un aumônier français et d'autre part, un vieillard otaïtien qui livre un diatribe sanglante aux européens lorsqu'ils s'en vont de son île. Deux récits dans lesquels on pousse encore plus loin la réflexion amorcée dans le dialogue des deux amis, car à travers la voix des otaïtiens — quoique un peu européanisée (le subterfuge ne peut pas être parfait) — il s'agit d'une critique et d'une remise en question féroce du mode de vie occidental et même plus largement des peuples dit civilisés. Étriqué et tiraillé au milieu des “trois codes” ; moral, civil, et religieux que Diderot illustre.
État de nature vs état de culture, homme civilisé qui se confronte à l'homme “sauvage”, y en a t-il un supérieur à l'autre ?
C'est tout ce que renferment ces échanges aussi passionnants qu'instructifs dans lesquels toutes nos certitudes sont mises à mal. Car même pour le lecteur d'aujourd'hui — et c'est en ça que j'ai été très marquée —, il pousse à une intense réflexion durant la lecture, où l'on en vient à se demander ce que signifie finalement la liberté, si elle a même une définition, si elle est possible ou si l'homme est voué à perpétuellement s'auto emprisonner dans des carcans toujours plus absurdes crées de toutes pièces, mais pour autant une absence totale de règles est-elle vraiment préférable ?, et qu'elle est la part de règles naturelles et de règles artificielles ? Bref, je n'avais qu'une envie : m'immiscer dans la discussion et être l'interlocuteur C.
Diderot a choisi une forme extrêmement judicieuse, dans laquelle sans prendre parti, du moins sans que cela se voit, ni orienter le lecteur, il éveille et montre les contradictions flagrantes des mentalités de son temps, de l'hypocrisie sous jacente qui a parfois totalement englouti le sens tant de codes pourtant largement assimilés. Mais pas que, car à l'inverse, par exemple, il pointe du doigt l'épineuse et délicate question de l'inceste, qui si elle a le mérite d'être soulevé, nous incite à penser que tout ne serait pas nécessairement enviable à un état de nature total. En somme ce n'est pas tant une critique gratuite qu'une remise en cause profonde et ouverte que l'auteur livre ici, car rien n'y est binaire et encore moins démagogique.
Moi qui avait eu un quasi coup de coeur pour Jacques le fataliste, beaucoup aimé La religieuse et apprécié le neveu de Rameau, j'avais assez hâte de découvrir ce célèbre Supplément au voyage de Bougainville. Et quelle lecture. Rarement une fiction aura suscité en moi autant de réflexion. Et si le pari ou le but de Diderot était d'ouvrir des perspectives ou d'élargir les horizons, c'est pleinement réussi.
Bref, lisez ce livre !
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Sélectionnant certains passages du Voyage autour du Monde de Bougainville, Diderot met en avant plusieurs raisonnements philosophiques. Monogamie, procréation, colonialisme… La rencontre de nouvelles cultures entraîne systématiquement un choc engendré par la différence qui jaillit devant nos yeux d'ignorants. Découvrir une nouvelle culture c'est se heurter à de nouvelles moeurs, se rendre compte que ce que l'on considérait jusqu'alors comme acquis ne constitue pas pour autant une norme universelle. Diderot rend compte de ce choc culturel dans ce court dialogue. Que l'on soit adepte ou non des opinions de l'auteur, ce récit nous pousse à la réflexion.
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Voilà une critique de la religion parfaitement bien menée, avec une histoire très agréable à suivre.
Un pur chef-d'oeuvre... du grand Diderot.

Clair et concis
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Relecture.

A. et B., deux intellectuels des Lumières, se rencontrent. L'un d'eux est en train de lire le Voyage autour du monde de Bougainville et ils en discutent ; il s'agit de la découverte de Tahiti, une sorte de monde libéral et anarchique. En réalité, certains passages ne se trouvent pas dans le compte-rendu de Bougainville, et pour cause, le discours du vieil Otaïtien est une diatribe anticoloniale et anti-occidentale percutante, qui met en lumière le comportement ingrat et violent des "explorateurs" qui préparent la venue des conquérants ultérieurs.

A. et B. conviennent que Tahiti avait tout intérêt à rester inconnue : les habitants vivaient heureux, dans une communion avec la nature et la satisfaction des besoins naturels et des sens, la sexualité servant non-strictement à la reproduction, laquelle n'est jamais honteuse, même hors mariage ; la société est une grande famille solidaire qui méconnaît la propriété. Ces deux points suppriment la plupart des délits (vols, immoralité, adultères, incestes, etc.).

Ces dialogues sont brefs, intéressants, nous parlent et nous interrogent encore ; le mythe du bon sauvage et l'utopie anarchiste jouent à plein, même si Diderot feint de modérer son propos en nous proposant de continuant à vivre comme avant, et de réserver à ces lieux ce mode de vie.
Lien : http://aufildesimages.canalb..
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Supplément au voyage de Bougainville
Denis Diderot (1713-1784)
Sous-titre : « Ou Dialogue entre A et B sur l'inconvénient d'attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n'en comportent pas. »
Comme on le sait, Denis Diderot, esprit des Lumières, avait plus d'une corde à son arc : philosophe, romancier, essayiste, dramaturge, critique d'art, polémiste, épistolier, il consacra une grande partie de sa vie à la rédaction de l'Encyclopédie avec son ami D Alembert.
Esprit curieux, matérialiste athée bien qu'il ait fait de très brillantes études chez les Jésuites car destiné par ses parents à la prêtrise, et qu'il ait été tonsuré en 1726, Diderot va vivre une jeunesse tumultueuse toute de bohème et d'aventures gagnant sa vie comme il peut, précepteur un temps, traducteur un autre, se forgeant une réputation solide d'antireligieux qui à cette époque pouvait le mener en prison. Il va s'intéresser aux grands voyageurs de son temps comme Bougainville qui fit le tour du monde de 1766 à 1769.
Rappelons que Louis Antoine de Bougainville (1729-1811), mathématicien de formation, spécialiste du calcul intégral dont il rédigea un traité célèbre, était capitaine de vaisseau de la marine royale de Louis XV.
Bougainville à son retour publie son récit de voyage. L'engouement du public est immense : le mythe du « bon sauvage » qui prend son essor avec Rousseau séduit les lecteurs lorsque Bougainville fait le récit de son séjour à Tahiti. L'île apparaît comme un Eden, une nouvelle Cythère comme dit Bougainville, « où nulle passion ne vient troubler les relations libres qui unissent les individus, où les travaux et les loisirs se font en collectivité, et où la propriété privée est inconnue. »
Diderot est lui-même fasciné par ce monde qui semble idéal. Mais il sait nuancer et c'est le but de ce « Supplément… », « manifestation tangible de cette fascination, éloge d'une vie naturelle reposant sur la liberté et l'égalité, mais aussi admiration pour l'homme policé incarnation de la civilisation. »
Ce bref opus assez atypique prend en préambule la forme d'un dialogue, art dans le quel Diderot excelle, entre A et B qui commentent le voyage de Bougainville en toute simplicité. Plus en profondeur on devine l'interrogation philosophique qui oppose « la liberté personnelle aux contraintes morales et sociales. » Diderot ne cache pas par la voix de B son attrait pour Tahiti :
« le voyage de Bougainville est le seul qui m'ait donné le goût pour une autre contrée que la mienne ; jusqu'à cette lecture, j'avais pensé qu'on n'était nulle part aussi bien que chez soi… »
Puis B fait lire à A les adieux prononcés par un des chefs de l'île, traduits en français par Orou et rapportés par Bougainville. Un passage clef du livre, le vieillard se livrant à une sévère critique des moeurs des envahisseurs : s'adressant à Bougainville, il dit :
« Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. »
Montaigne disait : « Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas son usage. »
Suit un entretien entre l'aumônier de l'expédition et Orou, un passage savoureux et délicieux où le style teinté d'humour de Diderot fait merveille. Selon la coutume locale, le chef offre sa plus jeune fille à l'invité, en l'occurrence l'homme en noir.
Orou à l'aumônier : « Je ne sais ce qu'est la chose que tu appelles religion ; mais je ne puis qu'en penser mal puisqu'elle t'empêche de goûter un plaisir innocent, auquel nature, la souveraine maîtresse, nous invite tous… »
En conclusion, Diderot nous offre ce moment jubilatoire :
« le bon aumônier raconte qu'il passa le reste de la journée à parcourir l'île, à visiter les cabanes et que le soir après souper, le père et la mère l'ayant supplié de coucher avec la seconde de leurs filles, Palli s'était présentée dans le même déshabillé que Thia, et qu'il s'était écrié plusieurs fois pendant la nuit : « Mais ma religion mais mon état ! » que la troisième nuit il avait été agité des mêmes remords avec Asto l'aînée, et que la quatrième il l'avait accordée par honnêteté à la femme de son hôte ! »
Et B d'ajouter :
« Ici le bon aumônier se plaint de la brièveté de son séjour dans Tahiti… »
« Pour être dévot, je n'en suis pas moins homme » fit dire un jour Molière à son personnage, phrase que l'aumônier eût pu reprendre à son compte.
Et plus loin : « Si vous entendez par le mariage la préférence qu'une femme accorde à un mâle sur tous les autres mâles, ou celle qu'un mâle donne à une femelle sur toutes les autres femelles ; préférence mutuelle, en conséquence de laquelle il se forme une union plus ou moins durable qui perpétue l'espèce par la reproduction des individus, le mariage est dans la nature. »
Toute la suite du dialogue entre A et B est consacrée à la relation homme femme qui a perdu de son naturel et de sa beauté :
« La tyrannie de l'homme qui a converti la possession de la femme en une propriété !
Les moeurs et les usages qui ont surchargé de conditions l'union conjugale !
La nature de notre société où la diversité des fortunes et des rangs a institué des convenances et des disconvenances !... »
Une belle sentence pour conclure :
« Prendre le froc du pays où l'on va, et garder celui du pays où l'on est. »
Fait suite un bref commentaire assez justement dithyrambique de Diderot sur le voyage de Bougainville lui même qui rétablit quelques vérités après que des voyageurs en quête de sensationnel ont exagéré la taille des Patagons par exemple.
La supplique finale de Diderot, un bémol dans ce commentaire élogieux, une manière de mise en garde, restera dans les siècles à venir sans écho : « Ah ! Monsieur de Bougainville, éloignez votre vaisseau des rives de ces innocents et fortunés Tahitiens ; ils sont heureux et vous ne pouvez que nuire à leur bonheur. Ils suivent l'instinct de la nature, et vous allez effacer ce caractère auguste et sacré… »
de ces lignes magnifiques émane le grand humanisme de Denis Diderot.
« Pleurez, malheureux Tahitiens, pleurez ; mais que ce soit de l'arrivée et non du départ de ces hommes ambitieux, corrompus et méchants. Un jour vous les connaîtrez mieux ; un jour ils viendront un crucifix dans une main et le poignard dans l'autre, vous égorger ou vous forcer à prendre leur moeurs et leurs opinions… »
La question De Chateaubriand prend ici toute sa dimension :
« Est-il bon que les communications entre les hommes soient devenues si faciles ? »
En résumé, une lecture indispensable, d'ailleurs souvent au programme des classes du second cycle.

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Diderot y dénonce les effets pervers de la colonisation, j'ai aimé...............
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s'il y a un philosophe des Lumières que j'adore, c'est Denis Diderot. à chaque fois que je lis son nom, je redouble d'attention. je suis admirative de ce personnage. alors, forcément, ma lecture commençait bien.

j'avais précédemment lu "La Religieuse" de Diderot. j'avais aimé le fond de cette oeuvre, la démarche de l'auteur, ses idées ; mais pas la forme, c'est-à-dire sa plume. j'avais donc un peu peur d'avoir une nouvelle fois du mal à passer à travers cette lecture bien que j'aime son contenu.

mais à l'inverse, j'ai cette fois tout adoré ! ces quelques 100 pages m'ont bluffée. ces dialogues philosophiques sont absolument passionnants. il est difficile d'argumenter autrement qu'avec des citations mais ce fut pour moi une lecture marquante et qui a renforcé mon amour pour Diderot.

(issu de mon compte Instagram @l.iris.me)
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A l'orée des Grandes découvertes maritimes, le choc des civilisations fut terriblement problématique et empli d'une certaine crainte de part et d'autre des populations concernées. L'Europe civilisée du XV au XIX siècle eut la plus grande peine à assimiler de tout nouveaux us et coutumes venus d'ailleurs. L'inconnu, le « sauvage » étant considéré comme inférieur, ce choc des civilisations a tourné au fiasco et pour la plupart d'entre nous, il est plus aisé aujourd'hui de se rendre compte de la bêtise humaine de l'époque.

Différentes manières de vivre, de parler, de manger, de se vêtir, des lois communes différentes (ou même absentes), une organisation sociétale différente, un rapport aux autres mais aussi un rapport homme/femmes différent sont autant d'éléments nouveaux et incompris de la part des européens d'alors. Que ce soit en Amérique ou en Afrique, en Asie ou en Occitanie, les populations natives de ses contrées lointaines étaient synonyme de bizarrerie, de sauvagerie et/ou même considérées telles d'étranges créatures venues d'ailleurs.

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Lien : https://drawmadaireblog.word..
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Un très bon livre qui donne envie de découvrir la version originale
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