Le pavillon des combattantes est un livre fort. C'est une fiction et aussi un document sur une époque charnière où sévit la Grande Guerre de 14-18 qui sera qualifiée de "moderne" en raison de l'évolution des techniques d'armement et des stratégies militaires adoptées, c'est-à-dire une puissance de feu terrifiante et des tactiques offensives suicidaires. Des millions de soldats endurent des combats jamais imaginés jusqu'alors. Les grands blessés rentrent traumatisés, défigurés, mutilés, gazés, brûlés. le personnage de Tim Power, frère de l'infirmière Julia, représente la génération de ces jeunes gens dont l'esprit et le corps furent détruits. Les populations civiles tentent pour leur part de survivre au sein de pays dévastés où règnent la pénurie et une pandémie de grippe dévastatrice, d'une contagion redoutable.
Les premières pages du roman d'Emma Donaghue donnent d'emblée le ton de l'atmosphère accablante qui règne dans les rues délabrées de Dublin. Nous faisons connaissance de Julia Power, infirmière sage-femme à l'hôpital public de Dublin. Elle soigne les femmes enceintes frappées par la grippe, mises en quarantaine dans une unité de soins dédiée. Nous l'accompagnons dans sa lutte pour sauver ces femmes et leurs bébés durant quatre jours, quatre chapitres, chacun porteur d'un nom : Rouge, Marron, Bleu, Noir. Comptine atroce des couleurs qui se suivent sur le corps des malades selon le degré d'avancement de la maladie.
Le manque est criant dans les hôpitaux et dispensaires de la ville. Matériel, médicaments, nourriture. Médecins et soignants sont décimés par la grippe, mobilisés dans les hôpitaux du front ou revenus de cet enfer infirmes, souffrants. Ogresse insatiable, la guerre prend tout pour elle. Les équipes qui restent sur place sont insuffisantes, sous-équipées pour faire face à l'épidémie. Alors on réquisitionne les élèves, on rappelle les vieux médecins. Eux seuls ont autorité pour délivrer les précieux et rares médicaments. En leur absence les infirmières sont autorisées à donner un whisky chaud pour remplacer le chloroforme, y compris aux femmes enceintes quand elles souffrent trop. La guerre désorganise tout, demeure le respect des règles, des hiérarchies.
Ainsi, Julia se retrouve seule infirmière spécialisée en obstétrique pour s'occuper des futures mères et des bébés à naître. Expérimentée, elle sait qu'elle doit obtenir de l'aide pour le bien de ses patientes. le manque de bras est tel que l'Église accepte de prêter à l'hôpital public des infirmières religieuses oeuvrant dans ses hospices. Au terme d'une longue négociation, Julia obtient de Soeur Luke, l'infirmière de nuit, d'esprit dogmatique et autoritaire, qu'elle lui envoie une stagiaire. Et c'est un ange qui entre dans son service, la jeune Bridie, dont on apprend peu à peu l'histoire terrible tout autant que répandue à cette époque. Enfin une femme médecin est affectée à l'hôpital, Kathleen Lyn, militante du Sin Féin, seul personnage non fictif du roman. Ces femmes vivent un quasi huis clos. L'intensité des situations, la proximité des corps font tomber les masques, les caractères se révèlent, dans leur clarté ou leurs zones d'ombres.
Écrit au présent, construit par des dialogues vivants, étayé de descriptions réalistes et documentées,
le pavillon des combattantes est un récit brut, comme l'est la vie dans les conditions extrêmes. Il m'a touchée particulièrement, non par sa connivence avec l'actuelle pandémie de Covid19, mais en raison d'évènements passés.
Dans les années 50, l'accouchement des femmes est encore un acte à très haut risque. Il est courant, en cas de grandes difficultés à la naissance, qu'il soit demandé au père qui il faut sauver en priorité, de la mère ou de l'enfant. En dernière extrémité, cet enfant nait aux forceps, est ondoyé par la sage-femme qui, dans ce cas précis, peut se substituer au prêtre. Un donneur est appelé d'urgence en pleine nuit pour un don de sang à la mère dangereusement affaiblie. Don effectué de bras à bras. Ces évènements se déroulent dans une maternité à la pointe du progrès, pourvue en médicaments et pénicilline, antibiotique alors récemment mis à la disposition des médecins.
A l'époque de Julia Power, les virus sont connus mais indécelables aux microscopes et la pénicilline, évoquée en 1897, redécouverte en 1928, ne sera produite en quantité suffisante qu'en 1942. Les infections font rage et l'antibiotique sauvera de nombreuses vies.
Le pavillon des combattantes est un hommage aux chercheurs et aux soignants.