Vous savez ce que c'est quand vous êtes fâché avec quelqu'un et que la situation vous pèse. Tout ce que vous faites est habité par cette fâcherie. C'est là. Toujours. Un poids sur la nuque. Une veilleuse infatiguable. Ca abîme vos jours. Ca habite vos nuits.
Et puis l'un des deux fait le premier pas. Et tout s'envole. Ca ne révolutionne pas la vie mais, au moins, on n'a plus l'impression d'être cloué au fond. Les choses reprennent leur cours. Plus légèrement.
Voilà. J'ai vécu ça. J'ai été fâchée avec la lecture pendant plus d'un mois. L'envie de lire m'a lâchée pendant plus d'un mois. Et j'ai eu peur que ça ne revienne jamais. Pendant plus d'un mois, j'ai cogité, analysé, ruminé, j'ai maudit et envié ceux qui, sur leurs blogs, rendaient compte de leurs extases répétées.
Pendant plus d'un mois, j'ai hanté les rayons de la Fnac. Dans un premier temps, j'ai lu toutes les quatrièmes de couverture, sans qu'aucune ne fasse tilt. Ensuite, j'ai juste tripoté les bouquins, regardé les couvertures. Après, je me suis contentée de ranger ce qui dépassait, juste intéressée par le fait que ce soit bien géométrique tout ça. Je précise que je ne travaille pas à la Fnac. J'y ai juste fait le ménage au mois de mars, par désespoir (y'en a qui se droguent par désespoir, moi je range... chez les autres!).
Et puis, j'ai arrêté d'y aller. J'ai arrêté d'espérer. J'ai tiré un trait. Je me suis déclarée veuve.
J'ai commencé à lire
Courrier International avant de dormir... Et je suis (très vite) passée aux prospectus Leclerc... Et la honte s'est ajoutée au désespoir.
Samedi, en passant devant la Fnac, je me suis dit qu'il fallait que j'aille ranger un peu parce que , vu le monde, ça devait être un joyeux bordel au rayon littérature.
Sur une tête de gondole, la lecture a fait le premier pas vers une réconciliation.
Une couverture : un chalet, des arbres, un homme seul dans la neige. Elle sait qu'avec l'âge, j'ai des envies d'isolement, des envies de nature, des envies de vie simple (j'ai aussi des envies de cachemire et sacs à main par dizaines mais bon...)
Autre approche, le titre :
Julius Winsome. Julius et son pote Minucius Felix m'ont offert un 17 en littérature latine à la fac. Je crois que je leur dois ma licence... (je crois aussi aux signes et à l'art de se la péter sans avoir l'air d'y toucher!)
Et pour être sûre de me ferrer : la quatrième de couv'...
Julius Winsome vit seul avec son chien, Hobbes, au fin fond du Maine le plus sauvage. Eduqué dans le refus de la violence et l'amour des mots, ce doux quinquagénaire ne chasse pas, contrairement aux hommes virils de la région. Il se contente de chérir les milliers de livres qui tapissent son chalet. La vision de Hobbes ensanglanté et mourant le changera en tueur fou... La folie, la violence, la frontière entre civilisation et barbarie au coeur d'une très belle fiction, tout ensemble poétique et allégorique.
J'ai ouvert, lu l'incipit et j'ai su. J'ai filé vers la caisse avec mon butin.
Aimerez-vous ce livre ? Une seule question se pose : "Vous aimez les chiens?" (
Michel Drucker, si tu nous regardes...). Moi j'aime les chats mais c'est pareil, ça marche aussi. Je n'ai jamais lu de pages aussi belles sur la relation entre un homme et sa bête. Julius parle de son chien, de son caractère, de ses attitudes, du manque ( le chien se fait buter dès la page 2... Les filles, démaquillez-vous avant de lire et préparez les mouchoirs; les gars... pareil). C'est ce qui m'a le plus touchée, le manque dans le quotidien. La façon dont notre animal est associé à notre routine.
Julius est un homme de peu de mots mais c'est un homme qui aime les mots, les murs de son chalet sont tapissés de livres, il lit et "parle"
Shakespeare depuis sa plus tendre enfance. Il est lettré, il est fin, mais la perte de son chien et l'indifférence voire le mépris du monde face à ce fait va lui faire perdre la boule. La mort de son chien signe la fin de toute pensée rationnelle. Ce traumatisme ouvre-t-il la brèche pour qu'une folie existante monte à la surface ? La confrontation de Julius à la cruauté des hommes (à la réalité, quoi) provoque-t-elle cette folie ? Je ne sais pas.
J'ai aimé. Un bémol cependant : je pense qu'il faut le lire d'une traite. J'ai coupé et malheureusement j'ai eu du mal à être embarquée à la reprise. Peut-être faut-il être sous le coup du meurtre de Hobbes pour se sentir concerné par la folie de Julius.
Voilà, c'était une belle réconciliation.
La joie des retrouvailles n'aura que peu duré vu que là, on s'engueule déjà sur "la solitude des nombres premiers"...
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