Paris, printemps 1947
Je suis enfin allé rue Chanoinesse. Téméraire comme je suis parfois, mais aussi pressé par tant de travaux à finir, de gens à voir et de préparatifs, je n’avais même pas écrit à Madame Du Bos avant de quitter Fribourg. Il est vrai que j’étais fort d’une recommandation pour elle de la main du Père de Menasce. Or cet après-midi j’avais composé une belle lettre pour l’informer de mon intention de consacrer ma thèse à l’œuvre de son mari et pour lui demander accès au trésor des papiers inédits. Puis je me suis dit qu’elle n’aurait ma lettre, au mieux, que demain, et qu’il me faudrait attendre deux ou trois jours encore sa réponse, et je ne me suis pas senti d’humeur à consentir à ces délais. Il pleuvait. J’ai mis mon imperméable et pris le métro ; une demi-heure plus tard, non sans quelques battements de cœur, je sonnais au cinquième étage du 16 de la rue Chanoinesse. […]
(Antoine Dousse)
Paris, mai 1947
J’admire infiniment Renoir d’avoir osé porter sur le corps nu d’une jeune femme ces chatoyants jeux d’ombre et de soleil, de soleil filtré à travers des feuillages, qui sont un des prestiges du Moulin de la Galette, de la Balançoire plus encore, et l’on dirait presque aussi de la Lecture. Il y a un accord intense et tendre de la vie qui partout affleure à la surface de cette chair et qui emplit le beau volume de ses formes et la lumière qui vient la caresser et colorer, éclatante ici, retenue là, selon l’épaisseur des frondaisons qu’elle traverse. […]
(Antoine Dousse)
Le Mouret, juillet 1947
Etonnement, après Paris, de retrouver ici mes ruisseaux, les prés ourlés de haies vives, la longue masse bleue du Cousimbert, le tilleul rond criant de tous ses oiseaux à quatre heures du matin, la fontaine qui parle la nuit (et, la fenêtre ouverte aux étoiles, on se retient de dormir longuement pour l'écouter comme si on ne connaissait plus d'autre langage que le sien enfin rendu), la grande maison avec son doux inconfort…
(Antoine Dousse)