Citations sur L'an mil (12)
De cette époque datent les premières archives, qui sont toutes ecclésiastiques, et ces cartulaires où les scribes de l'Eglise recopiaient en les classant les multiples titres isolés tenus dans l'armoire aux chartes.
Ces collections ont, au cours du temps, beaucoup souffert. Mais certaines sont presque intactes en Italie et en Allemagne ; beaucoup en France ont fait l'objet de transcriptions systématiques avant la longue incurie du XVIIIe siècle et les dispersions de la période révolutionnaire qui leur causèrent grand dommage.
Il est vain de les (ndr : les textes de l'époque) interroger sur les conditions de vie matérielle. En l'An Mil, le quotidien n'intéresse nullement les historiens, ni les chroniqueurs, et encore moins les annalistes. C'est au contraire - j'y reviendrai - l'exceptionnel, l'insolite, ce qui brise l'ordre régulier des choses, qui mérite seul à leurs yeux quelque attention.
Pauvre littérature. La seule écrite était latine. Elle se forgeait dans les petits cercles de lettrés et pour leur seul usage. Des liens étroits l'unissait aux institutions scolaires ; pour cette raison, elle se rattache directement à la renaissance carolingienne ; on la voit fleurir, la tourmente passée, sur la mince tige que les pédagogues amis de Charlemagne avaient plantée, à la fin du VIIIe siècle, dans la barbarie franque.
Les plus savants des ecclésiastiques prêtent attention aux charmes, aux sortilèges, aux ambiguïtés familières à la pensée sauvage, et à toutes les médiations magiques. Pour eux point de doute : des influx étranges, émanant de l'autre monde troublent, de temps à autre, les rythmes réguliers de la nature. Le mystère se trouve présent en permanence, visible, tangible.
C'est précisément en l'An Mil que l'Eglise d'Occident accueille enfin les très vieilles croyances dans la présence des trépassés, dans leur survie, invisible, mais cependant peu différente de l'existence charnelle. Ils hantent un espace incertain entre la terre et la cité divine. Ils attendent là, de leurs amis et de leur parenté, des secours, un service, des prières, des gestes liturgiques capables de soulager leurs peines.
L'an Mil est bien, de nouveau, le temps des moines. Tous les historiens que j'ai cités furent éduqués dans des monastères, la plupart n'en sont point sortis. Mieux adaptées aux cadres tout ruraux de la vie matérielle, mieux disposées à répondre aux exigences de la piété laïque, parce qu'elles abritaient des reliques, parce que des nécropoles les entouraient, parce que l'on y priait tout au long du jour pour les vivants et pour les morts, parce qu'elles accueillaient les enfants nobles et parce que les vieux seigneurs venaient s'y retirer pour mourir, les abbayes d'Occident ont été saisies plus tôt que les clergés cathédraux par l'esprit de réforme qui releva leurs ruines, restaura la régularité, renforça leur action salvatrice et fit affluer vers elles les aumônes.
Certes pour la génération qui précède l'an Mil, le gros du danger et de l'infortune est passé ; des pirates normands viendront encore capturer des princesses en Aquitaine pour les mettre à rançon, et l'on verra les armées sarrasines assiéger Narbonne ; C'en est fini cependant des grandes bousculades, et l'on sent que déjà s'est mis en marche le progrès lent et continu dont le mouvement n'a point cessé d'entraîner depuis lors les pays de l'Europe Occidentale. Aussitôt se manifeste le réveil de la culture, une résurgence de l'écrit ; aussitôt les documents reparaissent. L'histoire de l'an Mil est donc possible. Mais c'est celle d'une première enfance : elle balbutie, elle fabule.
Ce texte fort éclairant (ndr : sur la vie de Gerber, devenu Pape) fait apparaître :
1 - [...]
2 - qu'il n'y avait pas à proprement parler d'école, mais que le jeune clerc qui voulait avancer dans l'étude, cherchait par toute la chrétienté des maîtres à qui successivement s'attacher. Il cherchait aussi des livres. De cette extrême mobilité, de cette incessante recherche du savoir, on pourra juger par deux autres témoignages.
Distinguant entre ses créatures par la multiplicité des figures et des formes, Dieu, créateur de tout, a voulu aider, au moyen de ce que les yeux voient ou de ce que saisit l'esprit, l'âme de l'homme savant à s'élever à une intuition simple de la divinité (Extrait d'un écrit (Histoires) d'un prêtre de l'An Mil, Raoul Glaber)
Dans les écoles épiscopales, l'étude de la langue latine et de ses tournures, appuyée sur des exemples classiques, et l'étude du raisonnement démonstratif, d'après les minces traités de logique où Boèce, au seuil des temps médiévaux, avait en latin brièvement résumé la dialectique grecque, formaient le premier cycle de l'enseignement. Apprentissage des moyens d'expression et de persuasion, il visait, comme le système scolaire dont il était issu, à former des orateurs. (ndr : à l'inverse des écoles monastiques)