On stigmatise, à juste titre, les excisions pratiquées de force sur des jeunes femmes de certaines ethnies lointaines, mais pourquoi notre époque célèbre-t-elle le jeune Occidental, a priori informé, qui demande l’amputation de ses organes intimes, soit une mutilation volontaire ?
les théologiens du Marché sont assez intelligents pour tirer profit des nouveaux symptômes repérés par les travaux psychanalytiques. Leur discours est à peu près le suivant : plus de père ?
Don’t worry : les marques seront des re-pères ! Et cela a parfaitement réussi, pour peu qu’on considère le nombre de jeunes transformés en « veaux » dûment estampillés par le Marché et souvent fiers de l’être, c’est-à-dire marqués au fer rouge du logo des marques (qui portent bien leur nom) qu’ils exhibent crânement. Sachant de surcroît qu’ils sont prescripteurs pour leurs parents. Ce qui distille l’idée que, désormais, ce sont les jeunes qui éduquent les vieux. Bref, le nouveau Maître, le Marché, s’est présenté, bon comme il est, comme celui qui allait libérer ces pauvres enfants de la tyrannie de l’ordre paternel. Je précise que je ne doute pas qu’il s’agissait bien d’une tyrannie, mais que la tyrannie nouvelle du Marché est probablement bien pire.
J’ai écrit ce petit essai pour inviter tous ceux que le phénomène trans questionne (éducateurs, parents, psychologues, psychanalystes et plus généralement ceux qui s’interrogent sur les mutations de notre époque) à se poser une question qui me semble centrale. Qui veut ou qui invite au changement de sexe : le sujet ou le Maître, c’est-à-dire le Marché ?
Comment cette question, qui se posait si peu il y a deux générations, s’est-elle mise à occuper de plus en plus l’esprit, notamment des adolescents, mais pas seulement ? J’espère avoir montré qu’on ne peut se contenter de répondre qu’il s’agit d’un effet de l’individualisme contemporain car cet individu est aujourd’hui placé en position de marionnette d’un Maître qui ventriloque ses demandes. Cet individu est
devenu la voix de son Maître. Il répète en son nom ce que les industries pharmaceutique, psychique et culturelle ne cessent de lui suggérer de dire.
Je rappelle l’enquête “Results of the Canadian Trans Youth Health Survey”, une des rares enquêtes sur les suites des opérations de réassignation, menée en 2015 par l’université de British Columbia de Vancouver : « Au cours des douze derniers mois, près des deux tiers des jeunes [ayant subi une réassignation] ont déclaré s’être
automutilés ; un nombre semblable (deux sur trois) a déclaré avoir des pensées suicidaires sérieuses ; et plus de un sur trois a tenté (une ou plusieurs fois) de se suicider.
Cf. Veale J., Saewyc E., Frohard-Dourlent H., Dobson S., Clark B., “Results of the Canadian Trans Youth Health Survey”
Autant l’avouer d’emblée : je suis résolument humpty-dumpien. Pour savoir ce que signifie au juste «transidentité », il faut effectivement savoir qui est le Maître. Or, nous avons aujourd’hui deux réponses opposées. Soit le Maître, c’est le sujet qui – démocratie oblige – fait ce qu’il veut – voire un peu trop ce qu’il veut (l’individualisme contemporain). Soit le Maître actuel, c’est le Marché, toujours en recherche de nouveaux produits et services à vendre.
Le phénomène trans I Dany Robert Dufour