Avec ce livre autobiographique,
Marie Dumas Mérida utilise la catharsis de l'écriture pour remonter dans ses souvenirs d'enfance et d'adolescence et réfléchir sur la manière dont elle s'est peu à peu construite.
Sans pathos excessif, au plus près des faits, elle raconte son parcours laborieux entre un père qui travaillait beaucoup, un frère idéalisé et surtout une mère omniprésente, personnage clé de ce récit. Cette fille d'immigrés espagnols n'a pas vécu une enfance facile, entre difficultés matérielles et manque de confiance en elle.
La narration intercale, dans une chronologie parfaitement maîtrisée, les souvenirs et les évènements plus récents comme la mort de cette mère despotique, exigeante, négative qui survient au moment où sa fille cinquantenaire est prête à accepter de se pencher sur le bilan de sa vie. Ce texte nous touche car nous sommes toutes des filles et, pour celles d'entre nous qui sont de la même génération que l'auteure, nous rappelle une manière d'élever les enfants qui n'insistait pas vraiment sur l'éducation positive et bienveillante aujourd'hui mise en avant. Des attitudes de rejet, des phrases blessantes, des comportements dévalorisants marquent à vie et génèrent des troubles qui vont nuire à l'estime de soi-même…
Ce livre met également en lumière la volonté d'insertion dans la société française des espagnols exilés et, d'une certaine manière, leur rend hommage : travailleurs, discrets, volontaires, ils ont mérité leur naturalisation à la force de leurs bras et de leurs facultés d'adaptation.
L'écriture est fluide, belle, teintée d'humour : la narration à la première personne met en scène la construction d'un JE à partir des grandes étapes de la vie, petite enfance, enfance, adolescence, et de la mort à travers la fin de vie et le décès de la mère. Les troubles psychiques, anxiété, timidité, repli sur soi, dépression, souffrance profonde, sont analysés à partir des causes, de façon à la fois intérieure et distanciée, une fois les émotions acceptées et digérées :
Marie Dumas Mérida revoie sa vie et nous la donne à lire pour qu'enfin quelqu'un ait conscience de ce qu'elle a vécu et de comment elle l'a ressenti.
Le JE se veut aussi sociétal puisqu'il développe un point de vue d'enfant d'immigré avec la honte d'être différent, pauvre, de se faire traiter de « petite bourrique espagnole », de voir ses parents travailler de plus en plus durement pour établir leur famille …
Selon la formule consacrée, on ne sort pas indemne de cette lecture. Personnellement, je suis convaincue qu'on devient parent aussi en fonction de l'enfant qu'on a été, parfois en reproduisant, consciemment ou non, ce qu'on a vécu. Une enfance, heureusement, est constituée d'ombres et de brillance, de moments difficiles et de belles rencontres ;
Marie Dumas Mérida a su tirer le meilleur et poser un regard réconcilié avec elle-même sur le pire. Un livre comme
La petite Bourrique espagnole donne des pistes de réflexion et des éléments de réponses dans la lignée des théories sur la résilience chères à
Boris Cyrulnik.
C'est une lecture que je recommande.