"(...) c'est que nous n'avons plus vingt ans chacun, c'est que les loyaux élans de la jeunesse ont disparu pour faire place au murmure des intérêts, au souffle des ambitions, aux conseils de l'égoïsme."
1648. La France maugrée : la régence d'Anne d'Autriche s'éternise, Mazarin est unanimement vilipendé et la Fronde se prépare... Il est bien loin le temps où nos fiers mousquetaires cherchaient querelle pour le plaisir de tirer l'épée ! D'Artagnan végète dans son régiment de cavalerie et dans le lit de son épaisse régulière ; Porthos, veuf fortuné, s'empâte et, snob, soupire après un titre ; Aramis court la prétentaine et multiplie les intrigues ; Athos, débarrassé de ses addictions, s'en sort un peu mieux qui découvre sans les rendre publiques les joies de la paternité. Morne quarantaine !
Alors qu'ils se voient confier une mission cardinalice, notre virevoltant Gascon et son flegmatique Porthos se heurtent à la réticence de leurs vieux amis : l'intègre Athos et le subtil Aramis sont devenus frondeurs. de complices, nos mousquetaires sont devenus adversaires. Heureusement des intérêts supérieurs (libérer le pauvre Charles Ier d'Angleterre des griffes puritaines et annihiler le rejeton maudit de leur vieille copine Milady) vont leur permettre de pactiser à nouveau.
Le très gros roman d'
Alexandre Dumas, je dois l'avouer, ne commence pas sous les meilleures auspices : la mise en place de l'histoire est particulièrement longue (les menées frondeuses sont absconces pour qui n'est ni féru d'Histoire, ni lecteur des Mémoires du Cardinal de Retz) et il faut attendre que nos mousquetaires passent outre-Manche pour qu'enfin on retrouve l'allant et l'ardeur d'un récit d'aventures qui, du coup, restera haletant jusqu'au dernier chapitre. Finalement, ils portent beau leur quarantaine nos héros d'enfance !
Dans
Vingt ans après, Dumas convoque tous ses protagonistes pour une ronde de plus en plus échevelée : on sourit avec le fanfaron Planchet, le taiseux Grimaud ou le snob Mousqueton ; on s'émeut de l'amitié pérenne du loyal Rochefort et de celle de l'infortuné lord de Winter ; on s'insurge contre l'égoïsme d'Anne d'Autriche, souveraine ingrate et amante soumise...
De même qu'il charge le portrait de la Reine, Dumas s'amuse à croquer un Mazarin cauteleux, pleutre et ladre : il n'accorde pas à son prélat l'envergure malfaisante de son illustre prédécesseur (Richelieu) et préfère jouer la carte du grotesque ce qui amoindrit nettement la nuisibilité des deux personnages mais suscite davantage de jubilation à ses lecteurs.
Bien évidemment, on applaudit à la création de l'ubiquiste Mordaunt, progéniture corrompue de Milady de Winter. Digne héritier de l'infâme, le maléfique salaud poursuit de sa haine vengeresse ceux qui ont décollé sa putassière maman. Toutes les scènes où il apparaît fulgurent diaboliquement et on adore le haïr.
Mais la plus belle invention de Dumas c'est pourtant celui que l'on retrouvera une douzaine d'année plus tard, le vicomte Raoul de Bragelonne. Auréolé du charisme de son père et de la beauté de sa mère, l'adolescent bouillonnant s'offre à la vie dans toute son insouciance et, légataire de la vie aventureuse des Mousquetaires, nous promet de superbes chevauchées à venir.
A l'instar de ses héros, un peu rouillés au début de l'histoire, le roman brimbale d'abord cahin-caha avant de s'emballer et de nous mener à train d'enfer des routes poudreuses de France aux flots démontés de la Manche, de la chambre de l'éplorée Reine Henriette au bureau de l'intraitable Cromwell, d'un échafaud à Londres à des oubliettes à Rueil pour notre plus grand plaisir.
Le style de Dumas est souvent cavalier mais il se rattrape dans ses dialogues éblouissants mêlant selon les protagonistes faconde ou concision, préciosité ou rugosité, franchise ou dissimulation. le dramaturge s'y dilate.
Un roman touffu tout flamme !