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EAN : 9782823620092
208 pages
Editions de l'Olivier (10/02/2023)
4.02/5   91 notes
Résumé :
« Morte de chagrin, le cœur brisé. »

C’est la légende familiale qui entoure l’arrière-grand-mère de la narratrice; Anne Décimus aurait suivi son mari dans la mort. L’étrange proximité que Stéphanie Dupays ressent avec son ancêtre la pousse à mener l’enquête. Elle découvre alors un secret qui fait vaciller ses certitudes : Anne a passé la majeure partie de sa vie dans un asile; elle est décédée quarante ans après la date que tous pensaient officielle. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (39) Voir plus Ajouter une critique
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La légende familiale dit que l'arrière-grand-mère de la narratrice est morte de chagrin, le coeur brisé après avoir perdu ses deux fils et son mari. Personne n'en dit autre chose. le caractère taiseux des descendants d'Anne Décimus fait le reste. Pourtant la curiosité de la narratrice l'amène à une découverte étrange. L'aïeule est décédée à plus de quatre-vingt ans. de plus des arrièrés de frais d'hospitalisation avaient été réclamés à la famille dans les années soixante ! Derrière le silence se cache forcément une histoire tout autre que celle qui circule peu et mal.
Avec la pugnacité et les accès que sa profession autorise, la narratrice part sur les traces de cette arrière-grand-mère entourée d'un voile de mystère, et découvre un trésor irremplaçable.

Magnifique quête des origines, destinée à combler les non-dits de la famille dont on sait que l'ignorance volontaire n'est pas sans conséquence sur les comportements hérités sans le savoir, le roman restitue aussi une superbe histoire de la psychiatrie du vingtième siècle, avec ses balbutiements pseudo-scientifiques jusqu'à une structuration fondée sur des connaissances qui se consolident au cours des décennies.



Les lettres recueillies sont un bel exemple des liens entre la folie et la création, dont Antonin Artaud ou Camille Claudel ont été des exemples illustres, et qu'Anne Décimus ne dément pas.

Parcouru avec un grand plaisir, ce roman est un bel hommage à la famille et ce qu'elle représente de capital pour la sérénité des générations présentes et futures.


208 pages L'Olivier 10 février 2023
Sélection Prix Orange 2023


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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La narratrice vit dans une toute petite famille : le père, la mère et la grand-mère. Elle même ne veut pas d'enfants.
Elle travaille à Paris comme cadre dans l'administration et revient souvent dans sa famille qui vit près de Bordeaux.
Elle a toujours senti une chape de plomb dans les dires de la famille, des non - dits inconscients, une façon de se comporter héréditaire, presque dans les gènes.
Sa grand-mère a vécu une enfance dramatique avec la perte de ses deux frères, de son mari suite à la première guerre mondiale. La légende familiale raconte que son arrière grand-mère est morte de mélancolie et de chagrin après la mort de ses deux fils et de son mari.
Lorsque des recherches généalogiques sont effectuées, on découvre qu'Anne Décimus n'est pas morte de mélancolie et de chagrin mais a séjourné encore quarante ans dans un asile psychiatrique. Des frais ont même été réclamés aux petits-enfants.
Le style d'écriture, de grande qualité, est original avec de la prose et de la poésie utilisée comme pour prendre de la distance vis-à-vis des faits.
La partie où l'auteure choisit d'enquêter sur la vie de son arrière grand-mère à l'asile est un peu trop technique, trop détaillée même si elle revêt toute son importance pour cette personne dont on avait omis de parler.
Quant au titre"Un puma dans le coeur", j'imagine qu''il fait référence à l'arrière grand-mère devenue folle de souffrance.
Une belle découverte qui sort des sentiers battus.
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L'arrière-grand-mère oubliée

À partir d'un extrait du registre des décès, «Anne Dèche née Décimus 14 mai 1875 - 14 mars 1964», Stéphanie Dupays raconte l'enquête qu'elle a mené pour retrouver l'histoire de son arrière-grand-mère, «oubliée» par sa famille durant quarante ans. Un récit bouleversant.

La narratrice occupe un poste au ministère de la santé et des affaires sociales, loin de son sud-ouest natal. Sa vie parisienne est désormais comme déconnectée de ses racines. C'est ainsi que, quand le TGV la mène à Bordeaux, elle a l'impression d'arriver dans un autre monde. Ses parents continuent de mener leur vie, de jardiner, sans s'épancher. Aussi n'est-ce pas sans étonnement qu'elle découvre que sa mère a trouvé une nouvelle occupation, la généalogie. Mais avec ce nouveau loisir, elle atteint très vite ses limites, ne parvenant pas à trouver trace cette arrière-grand-mère que la légende familiale dit morte d'un chagrin d'amour. du coup, elle sollicite sa fille afin de l'aider à compléter son arbre généalogique. À l'heure d'internet, il suffira à cette dernière de quelques clics pour que le registre des décès de Gironde affiche l'information souhaitée: «Anne Dèche née Décimus 14 mai 1875 - 14 mars 1964».
Deux dates qui entrainent une réécriture de l'histoire familiale. «Ce soir-là je pressens que l'histoire familiale qui passe de "matière solide et stable de lieux et de faits" à "un tissu lâche et mouvant de souvenirs déformés, de fantômes errants et de mensonges. (...) Je sens que derrière le récit autorisé se presse une réalité difficile à cerner mais impossible à écarter.»
Intriguée par cette longue vie qui n'a pas laissé de traces, elle cherche et interroge, découvre que cette ancêtre a été internée en asile psychiatrique où elle est décédée, quasiment oubliée des siens.
«Mes parents ne comprennent pas pourquoi cette histoire me bouleverse. Ils restent indifférents à ma quête. (...) Ma mère dit: "De l'eau a coulé sous les ponts". Mon père dit: "C'était une autre époque, les gens se posaient moins de questions que maintenant."»
Mais les temps changent. Aujourd'hui, on étudie l'hérédité et la psychogénéalogie, on cherche comment se transmet l'héritage. Ce sont dès lors ces voies que part explorer la narratrice. Elle va explorer les rares documents qu'elle retrouve sur l'asile où Anne a été internée, chercher des témoins, tenter de percer ce secret de famille: comment Anne a-t-elle vécu plus de trente années sans que sa famille se préoccupe d'elle? Comment occupait-elle ses journées? de quoi est-elle morte? Où est-elle inhumée? Quand sa mère lui assène «Il n'y a rien à raconter. Nos vies ne sont pas des romans», elle y voit un encouragement à lui prouver le contraire, à poursuivre une enquête. Comme elle le souligne dans un texte confié au site Actualitté, elle va chercher à organiser le chaos: «Je pose sur le papier les faits, les dates, les souvenirs comme autant de petits cailloux en espérant qu'ils dessineront un chemin. Je convoque l'archive administrative, la médecine, la sociologie pour m'aider à approcher la vie d'Anne Décimus.»
Outre la vie de l'aïeule, on y explore l'histoire de la psychiatrie ou encore le sort des internés durant la Seconde guerre mondiale. Instructif et émouvant, ce troisième roman de Stéphanie Dupays, après Brillante (2016) et Comme elle l'imagine (2019) vaut aussi pour sa forme. La romancière choisit en effet de dire «je» pour ne pas ajouter de la fiction au mensonge. Elle prend toutefois soin de compléter sa prose de poésie, entre haikus et plus longs poèmes qui soulignent les émotions ressenties et offrent une transition, une respiration dans cette quête difficile et par trop lacunaire. «La documentation m'a ouvert le passage pour comprendre ce qu'elle a vécu. Et la poésie m'a permis d'affronter le bouleversement, d'oser exprimer une émotion, pas frontalement, mais par la grâce de l'image.»

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Est-ce un roman ou un récit ? La question semble faire partie intégrante du livre comme de la quête autour de laquelle il est bâti. Dans toutes les familles il y a des vérités arrangées, des légendes, des histoires tues, des mystères que l'on croit deviner et d'autres que l'on s'invente, des dualités. La narratrice vit elle aussi avec une double personnalité liée à ses fonctions, cartésienne par sa formation de statisticienne, créative par son activité d'écrivain. Elle constate, elle classe, évalue, déduit. Et puis elle imagine, invente, donne vie à des chimères. Issue d'une famille "restreinte, quelque peu ratatinée" dans laquelle on parle peu, elle avoue avoir probablement trouvé dans les livres dès son plus jeune âge les compagnons et les histoires qui comblaient les silences. C'est parce que sa mère se prend soudain de passion pour la généalogie que la jeune femme va faire une découverte qui remet en question l'histoire familiale : Anne Décimus, son arrière-grand-mère censée être morte "de chagrin" dans les années 1920 après les décès successifs de ses fils et de son mari a en réalité vécu jusqu'en 1964 d'après son certificat de décès.

La progression du récit des recherches de la narratrice prend alors une forme où se mêlent les éléments concrets trouvés dans les archives et l'histoire qui s'élabore peu à peu dans son esprit. Ces quarante années manquantes, Anne les a passées dans un hôpital psychiatrique, non pas tuée par le chagrin mais projetée dans un monde parallèle. Sa fille - la grand-mère de la narratrice - était-elle au courant ? Comment ce secret a-t-il pu rester enfoui toutes ces années ? Ces questions ne sont pas au centre du récit ; non, ce qui se fait jour petit à petit c'est la connivence entre l'arrière-petite-fille et son aïeule à travers leur goût pour l'écriture. Et ces petites passerelles jetées à travers les époques, faites d'imaginaire et de mots donnent une dimension singulière à cette quête et à la relation qui s'ébauche malgré tout.

Il y a beaucoup de pudeur dans ce que livre Stéphanie Dupays d'elle-même à travers la figure d'Anne Décimus, et dans le choix d'une forme hybride mêlant récit et poésie. Elle puise dans la littérature qui l'a si bien nourrie depuis l'enfance la matière de têtes de chapitres plus belles et inspirantes les unes que les autres. Elle offre ainsi à Anne qui voulait tant qu'on lui confie "un travail d'écriture ou dans la bibliothèque" de l'hôpital le plus bel écrin hommage. Elle tisse admirablement les fils qui les relient toutes les deux et redonnent à Anne la lumière dont elle a été privée, en douceur, avec l'élégance de ceux qui mesurent le poids et le pouvoir des mots. Et elle ressort certainement de cette expérience un peu plus entière, tandis que le lecteur peut mesurer, ébahi, la force de la littérature qui embrasse les générations dans une même étreinte. Et ça, "ça fait quelque chose".
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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La narratrice raconte la découverte d'un secret de famille et le silence autour qui a recouvert plusieurs générations. Alors que sa grand mère arrive à la fin de sa vie, la narratrice découvre que son arrière grand mère n'est pas décédé jeune comme on le lui a raconté mais a passé 40 ans de sa vie dans un asile.
Elle va alors enquêter sur cette aïeule et essayer de comprendre les circonstance et les conditions de sa vie dans cet hôpital psychiatrique.
Un roman touchant mais assez factuel. Il m'a manqué un petit plus dans l'écriture pour vraiment aimer cette lecture.
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critiques presse (2)
SudOuestPresse
27 mars 2023
Mêlant fiction et récit personnel, Stéphanie Dupays redonne une voix à son arrière-grand-mère. Une femme réduite au silence, dans un asile bordelais, pendant quarante ans.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
LeMonde
27 février 2023
Se faire la complice de l’oubli est impossible à Stéphanie Dupays. Laisser son aïeule captive d’une fiction, insupportable.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (63) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
1. On n'est pas seul dans sa peau
Je viens de loin de beaucoup plus loin qu’on ne pourrait croire
C'est une famille restreinte, quelque peu ratatinée, que la mienne. Mes parents, ma grand-mère et moi. C'est tout. Depuis sa retraite, ma mère a entrepris d'y ajouter des ascendants puisque je lui refuse les descendants : elle s’est mise à la généalogie. Je n'ai jamais voulu d’ enfant, ceux de mon compagnon me suffisant amplement. Je devine que ce choix est une douleur pour mes parents, bien qu’ils ne m’en aient jamais parlé. Nous parlons très peu chez nous, surtout des sujets importants. Peut-être aussi qu’éviter de poser la question donne le bénéfice du doute: tant que le non n’est pas clairement prononcé, cela laisse le oui virtuellement possible.
Ce soir-là, nous sommes attablés dans le jardin de Marc.
Le soleil se couche derrière la rangée de pins et le ciel est tout rose. Dans la nuit odorante qui nous enveloppe, nous parlons de tout et de rien. Nous avons atteint la trentaine, cet âge où les moins chanceux d’entre nous commencent à avoir des problèmes avec leurs parents. Ce n’est pas mon cas, les miens continuent de se lever à six heures du matin pour retourner le jardin avec l’énergie de travailleurs exploités. Ils débordent d'activités nouvelles et je me mets à raconter avec une certaine ironie comment ma mère tente par tous les moyens de grossir les rangs de la tribu, à ma place. Clément réagit au nouveau hobby de ma mère:
— Tu n'as pas peur qu’elle découvre un ancêtre meurtrier ou bagnard ?
Il est historien, spécialiste des guerres de religion, il s’y connaît en massacres.
— Ou alors un noble, un Jean-Eudes de la Tour-qui-penche, renchérit Romain qui connaît ma phobie des particules.
J'avoue ne pas y avoir pensé. Des aïeux morts et enterrés depuis des siècles, quel intérêt? Je balaie la question d'un revers de main, il faut bien que vieillesse s'occupe. Et mieux vaut la généalogie que le parapente.
— Le passé proche, je le connais. Quant au passé lointain, il ne peut blesser personne. Claire se lève et déclame: Je viens de loin de beaucoup plus loin
Qu'on ne pourrait croire

Je dis oui, je sais, des choses importantes dans ma vie ont eu lieu avant que je vienne au monde.
J'ai souvent lu que les traumatismes se transmettent de génération en génération. Il m'arrive de penser que la pluie de catastrophes qui s'était abattue sur ma grand-mère avait certainement quelque chose à voir avec l'inquiétude de ma mère et avec la mienne. Mais jusqu'où faut-il remonter le fil? Qu'est-ce que cela apporte?
C’est le moment où le soleil rougeoyant enflamme la cime des pins, mon moment préféré. Le flamboiement des couleurs donne à l’atmosphère une certaine solennité. Je me cale contre le fauteuil et je finis par dire:
— Je ne vois pas ce qu’on pourrait découvrir de pire que ce que je sais déjà à propos de ma grand-mère et de mon arrière-grand-mère. Même Dickens n'aurait pas osé farcir de tant de drames la vie de ses personnages!
Devant les regards curieux de mes amis, je continue:
— Rien que leur nom a quelque chose de menaçant. Décimus. «Décimer» c’est «mettre à mort une personne sur dix».
La réalité a largement dépassé l’onomastique: quatre des six membres de la famille de ma grand-mère ont été emportés alors qu’elle n'avait pas huit ans. Par réflexe professionnel — je suis statisticienne de formation —, j’aime bien ramener le particulier au général et le mettre en perspective. Parce que je crains l’excès, l’outrance, le mélodrame, je relativise tout de suite mes propos dramatiques. Pour ces générations nées entre deux massacres, les destins comme ceux-là étaient fréquents. Les femmes mouraient encore en couches, les bébés étaient terrassés par des fièvres que l'on ne savait pas soigner, La médecine n'avait pas encore triomphé des maladies infectieuses. La précarité des modes de vie et la rudesse des travaux exterminaient les gens très tôt. Pourtant, la banalité de ces destins dévastés n'apaisait en rien la douleur que j’ai pu ressentir, enfant, à savoir ma grand-mère au centre du carnage. L'évocation de ses disparus m'a toujours meurtrie, comme si je Les avais connus. Mais ce n'est pas le moment de gâcher la douceur de cette fin de soirée en développant ces vieilles histoires. Je minimise:
— C'était le lot de beaucoup de familles, la mort faisait partie de la vie.
Brice interrompt la conversation en apportant des infusions pour les uns et des digestifs pour les autres et La discussion change de cours. En sirotant la boisson chaude, je me dis que j'ai de la chance d’être une femme du XXIe siècle, qui n’a pas connu la perte brutale et fréquente d'amis, de parents, d'enfants, pour qui les guerres et les épidémies sont, encore, lointaines, et qui peut profiter d'une soirée insouciante entre amis dans une maison de campagne sentant la résine de pin et l'océan.

Quelque chose se débattait en vous que vous ne pouviez dire avec des mots
Chaque fois que j'interrogeais ma grand-mère sur son enfance et sa vie d'avant ma naissance, d'avant la naissance de ma mère, elle évoquait ses disparus comme on égrène les billes d’un chapelet. Ou plutôt des lentilles car la scène avait lieu le plus souvent dans la cuisine, le cœur battant de la maison.
Nous prenions deux assiettes, elle disposait une poignée de graines d'un côté et, avec un doigt, les faisait passer d'une extrémité à l’autre de l'assiette, en enlevant les grains de blé et les cailloux minuscules qui s’étaient glissés dans le tas. Concentrée sur cette activité aux allures de rite ancestral, elle me parlait des siens.
Ses deux frères, Léon et Louis, étaient morts alors qu’elle était petite fille. Léon qui travaillait dans une vinaigrerie avait été gazé lors de la Première Guerre mondiale et avait succombé à ses blessures. Probablement des lésions pulmonaires. Léon avait été renversé par un tramway à Bordeaux. Leur père, Armand, avait été terrassé par une crise cardiaque ou un AVC, une nuit. Et leur mère, Anne Dèche née Décimus, avait disparu à sa suite.
À ce stade de l’histoire, ma grand-mère interrompait le tri. Sa voix devenait plus grave et elle disait dans un soupir :
— Elle est morte de chagrin, le cœur brisé.
Suivre son bien-aimé dans la mort, un vrai destin d'héroïne tragique! Nous n’étions plus dans la petite cuisine aux tommettes frottées une fois par semaine à la brosse mais sur la scène d'une tragédie, avec le lourd rideau rouge, les fauteuils de velours et les trois coups. Les moineaux se ruant sur les grains de blé extraits des lentilles que ma grand-mère venait de jeter devant la porte se transformaient en oracles, annonciateurs d'une catastrophe.

J'imagine
ma grand-mère enfant
quelle drôle d’expression
moi qui ne l’ai connue que ridée les cheveux gris
Enfant
c'est-à-dire
désarmée
dépendante
naïve
Trois jours après son anniversaire
réveillée
en pleine nuit
une nuit noire comme le fond des mers
elle entend des cris des bruits une lampe qui tombe
Sa mère
Anne Décimus
les cheveux emmêlés les yeux affolés
trébuchant comme une soûlarde
Les pompiers sont là
« Ils n'ont pas pu le sauver»
Que signifie la mort à sept ans?
Il fait nuit partout

Anne Décimus se laisse sombrer. La présence de ses deux filles, Henriette et Andrée, ne suffit pas à l'extirper du trou noir. Elle disparaît, elle aussi.
L'aînée, Andrée, «un mauvais sujet», est placée en maison de redressement, la Miséricorde, à Bordeaux. La cadette, ma grand-mère, part à Soulac, une ville balnéaire coincée entre la côte atlantique et l'estuaire de la Gironde, à cent kilomètres de là. Elle entre à l’orphelinat qu’elle nomme le «couvent» car il est tenu par les religieuses de la Présentation. Ma grand-mère et sa sœur avaient des oncles et tantes et une marraine «qui vivait dans un château à Cenon». Aucun n’a adopté les orphelines. Pour ma grand-mère, cet abandon tenait à un ostracisme politique: Armand et Anne Décimus étaient brouillés avec le reste de la famille car ils étaient communistes. Cela reste une hypothèse, que pouvait en savoir une enfant de sept ou huit ans?
Ce récit maintes fois répété a fait germer en moi deux idées:
— on ne peut pas compter sur les riches;
— on peut mourir de chagrin. D’un chagrin d'amour.
Il fallait donc s’en protéger (des riches et de l'amour). Les études ont joué leur rôle de paratonnerre contre les dominants; quant à l'amour, je n'ai pas encore trouvé l’antidote.
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Monter aux archives
c'est descendre
descendre
descendre
aux fonds/ Au fond
comme un scaphandrier
cherche dans les eaux noires
le vaisseau noyé
arrache à la nuit tenace
mille débris infimes
ramène sur le rivage les fragments d'une vie
éparse
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Ce livre est une quête émouvante de la part de la narratrice sur un secret de famille concernant son arrière-grand-mère qui n’est pas « morte de chagrin » comme le veut la légende familiale mais enfermée plusieurs décennies en « asile » comme on disait alors. Jamais didactique dans ce travail de recherche minutieux et documenté sur les conditions de vie dans les hôpitaux psychiatriques du début du 20ème siècle, l’auteure réussit à nous impliquer émotionnellement dans ce qui pourrait être une suite d’informations techniques, et non, on vibre avec elle devant ce qu’elle va découvrir.
Difficile de lâcher ce récit tant on sent une urgence dans l’écriture de la narratrice pour comprendre, ne pas être dans le déni familial qu’elle pressent, et tenter de renouer le lien familial rompu.
A ma première lecture (oui j’ai eu envie de lire une seconde fois ce livre !) les vers qui émaillent le récit, m’ont intriguée. A ma seconde lecture, les vers-titres de chapitre m’ont semblé si justement choisis, résumant en quelques mots la force du récit qui suit. Et pour les vers dans le corps de texte, ils me touchaient en 1ère lecture sans que je sache pourquoi, là ils m’ont parlé, j’en ai mieux saisi toute la charge émotionnelle qu’ils contiennent.
J’ai été sensible à l’écriture de ce récit que j’ai trouvée pleine de poésie malgré la tristesse sous-jacente du propos. Images touchantes, adjectifs qui émeuvent. Et cette magnifique fin, où la narratrice veut « effacer l’effacement » de cette vie enfermée, et, on l’attendait enfin, la réaction de la mère ! Enfin !
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Le lendemain, parmi les livres, dans le silence de mon bureau, je me reconnecte au site des Archives. Faute de pouvoir donner un visage et une histoire à mon arrière grand-mère , je dépose des signes sur le papier. Je prends un carnet et je note :
Anne Décimus 1875-1964

Ce tiret qui sépare les deux dates me bouleverse. Il condense la totalité de son passage sur Terre, la petite fille qu’elle a été, la femme amoureuse de son mari, la mère de quatre enfants, la vieille femme évaporée. Un petit tiret pour dire la somme des pensées, des émotions, des choses vues et entendues, des liens, des événements. C’est très peu pour résumer une existence dont la longévité défie l’espérance de vie de sa génération et, plus encore, de sa condition. ...
Le tiret dit le vide, l’absence. Entre les deux dates qu’il relie, deux guerres sont survenues, la République s’est construite, a vacillé, s’est relevée, l’État s’est fait protecteur et a trahi certains de ses enfants, les plus pauvres ont gagné le droit de s’instruire, le travail a cessé d’épuiser complètement les gens, l’espérance de vie a progressé d’une trentaine d’années, la tuberculose a été vaincue, le cinéma est apparu, l’automobile s’est développée, l’avion a conquis le ciel, le téléphone s’est popularisé, le jazz est né, l’art abstrait a révolutionné les formes. Mais qu’est-ce qu’Anne Décimus a su des bouleversements du monde, là où elle était ?
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À la fin des années 1990, la médecine décrit le "syndrome du cœur brisé", ""broken heart syndrom", en anglais, "takotsubo", en japonais. Sous l'effet d'un choc comme l'annonce de la mort d'un être cher, le cerveau envoie un signal aux glandes surrénales, qui secrètent de l'adrénaline. Les vaisseaux se contractent, le cœur bat plus fort. Parfois le cœur ne supporte pas l'accélération et s'arrête.
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Stéphanie Dupays vous présente son ouvrage "Comme elle l'imagine" aux éditions Mercure de France.
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