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Citations sur Des éclairs (51)

Le pigeon, pourtant. Le pigeon couard, fourbe, sale, fade, sot, veule, vide, vil, vain. Jamais émouvant, profondément inaffectif, le pigeon minable et sa voix stupide. Son vol de crécelle. Son regard sourd. Son picotage absurde. Son occiput décérébré qu'agite un navrant va et vient. Sa honteuse indécision, sa sexualité désolante. Sa vocation parasitique, son absence d'ambition, son inutilité crasse.
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Énigmatique et théâtral, ménageant ses éclairages et ses effets, Gregor joint à ses dons d'orateur ceux de comédien et de prestidigitateur asymptote du magicien. S'agissant de prouver avant toute chose la sûreté du procédé alternatif, il saisit de la main gauche un fil provenant d'une bobine où circule un courant à forte tension, puis de la droite s'empare d'un tube et voici que le tube, à la stupéfaction de la salle, s'illumine aussitôt. La preuve est ainsi faite que, traversant sa personne, l'électricité ne l'affecte en rien. Certes, pour effectuer cette démonstration, Gregor a eu recours à un courant à haute fréquence ne pouvant pénétrer dans le corps mais circulant sans aucun risque à sa périphérie, donc léger subterfuge, très légère tricherie mais qu'importe : conviction du public et succès assuré.
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Chacun préfère savoir quand il est né, tant que c'est possible. On aime mieux être au courant de l'insrtant chiffré où ça démarre, où les affaires commencent avec l'air, la lumière, la perspective, les nuits et les déboires, les plaisirs et les jours. Cela permet déjà d'avoir un premier repère, une inscription, un numéro utile pour vos anniversaires. Cela donne aussi le point de départ d'une petite idée personnelle du temps dont chacun sait aussi l'importance : telle que la plupart d'entre nous décident, acceptent de le porter en permanence sur eux, découpé en chiffres plus ou moins lisibles et parfois même fluorescents, fixé par un bracelet à leur poignet, le gauche le plus souvent que le droit.
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Anormalement costaud, épaules de pachyderme et regard de python, John Pierpont Morgan préfère aussi qu'on le voie le moins possible, que son image en tout cas ne circule point. Mais s'il ne déteste rien tant qu'être photographié, c'est moins par souci de discrétion qu'en raison de l'existence de son nez. Nul homme n'a jamais été ni ne sera jamais doté d'un tel nez, nul ne souffrira tant d'un pareil appendice énorme et violacé, fendillé de crevasses, embouteillé de nodules, parcouru de fissures, prolongé de pédoncules et embroussaillé de poils. Sur les rares clichés de lui dont on dispose, bien qu'on ait l'instruction de toujours les retoucher sous peine de mort, il semble déjà s'apprêter à faire exécuter le photographe.
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Ce n'est donc peut-être pas que Gregor invente des choses à proprement parler mais, dans la découverte et l'intuition de ces choses, il se borne à jeter l'idée qui les produira. Il a tort, allant beaucoup trop vite, il devrait s'arrêter cinq minutes sur l'une d'elles pour la mener à son terme et la développer, l'explorer d'autant plus qu'il s'agit chaque fois de phénomènes promis à un certain avenir, jugez-en. La radio. Les rayons X. L'air liquide. La télécommande. Les robots. Le microscope électronique. L'accélérateur de particules. L'Internet. J'en passe.
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Avec tout ça, qui est allé vite comme toute sa vie, Gregor va sur ses cinquante-cinq ans. On ne se rend jamais compte à quel point c’est rapide alors que les journées traînent en longueur et que les après-midi sont interminables. On se retrouve doté d’un certain âge sans avoir bien compris comment, même si comme Gregor on consulte sa montre tout le temps, même si celle-ci ne donne qu’une idée imparfaite, tendancieuse et pour tout dire fausse de celui-ci.
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Vingt minutes suffisent à cette opération après laquelle, estime Gregor, deux ou trois jours de repos seront nécessaires pour que l’animal [un pigeon] redevienne ingambe. Mais en attendant, il le considère. Le considère longuement. Le considère tant, toutes les heures suivantes et presque malgré lui, qu’une émotion de modèle et de format inconnus semble à sa vue s’emparer de lui. C’est un ravissement attentif, émerveillé, prévenant, rajeunissant, tension sans dévoltage qu’à ce jour il n’a éprouvée avec personne et dont il vient à se demander en fin de journée s’il ne s’agirait pas d’un affect dont il n’a qu’entendu parler sans y prêter attention jusque-là, un sentiment difficile à définir, comment trouver l’expression juste. Un état, risquons le mot, va pour amoureux.
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Le pigeon, pourtant.
Le pigeon couard, fourbe, sale, fade, sot, veule, vide, vil, vain.
Jamais émouvant, profondément inaffectif, le pigeon minable et sa voix stupide. Son vol de crécelle. Son regard sourd. Son picotage absurde. Son occiput décérébré qu’agite un navrant va-et-vient. Sa honteuse indécision, sa sexualité désolante. Sa vocation parasitique, son absence d’ambition, son inutilité crasse.
[…] Saleté de pigeon, même pas bon à manger, écœurant sur son lit de petits pois farineux. Mais c’est pourtant bien lui qui est en train de devenir le plat favori de Gregor et bientôt le seul, l’inventeur finissant par se nourrir exclusivement, solitaire dans sa petite chambre, du blanc de l’animal qui borde son bréchet. Bizarre.
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On tuerait un pigeon sans guère plus d'états d'âme qu'on écrase une blatte. Il est cependant si nul qu'on s'en abstient. Par paresse ou par amour-propre, on se retient de lui donner un coup de pied sauf pour prendre un peu d'exercice et encore, il n'en est même pas digne, on ne voudrait pas risquer de souiller son soulier. Et qu'on ne m'objecte pas que, voyageur, il a rendu quelques services en temps de guerre, encore heureux qu'il ait trouvé un tout petit rôle de mécanique volante.
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Toutes ces mondanités. Qu’il est donc fatigant d’être à l’intérieur de soi, toujours, sans moyen d’en sortir, considérer toujours le monde depuis cette enveloppe où on est enfermé. Et ne pouvoir, à ce monde, montrer de soi qu’un extérieur maquillé tant bien que mal en s’aidant de miroirs.
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