Citations sur Confessions d'un jeune romancier (11)
[...] Quand on me demande au cours d'un entretien : "Comment avez-vous écrit vos romans ?", j'ai l'habitude de couper court à ce genre de questions en répondant : "De gauche à droite [...]
En 1860, alors qu’il était sur le point de traverser la Méditerranée pour suivre l’expédition de Garibaldi en Sicile, Alexandre Dumas père fit une halte à Marseille et visita le château d’If, où son héros Edmond Dantès, avant de devenir le comte de Monte-Cristo, reste emprisonné quatorze ans et reçoit l’enseignement d’un codétenu, l’abbé Faria.
Alors qu’il se trouvait là, Dumas fit une découverte : on montrait régulièrement aux visiteurs du château la « véritable » cellule de Monte-Cristo, et les guides ne cessaient de parler de Dantès, de Faria et des autres personnages du roman comme s’ils avaient vraiment existé. En revanche, ces mêmes guides ne mentionnaient jamais que le château d’If avait été la prison de personnages historiques importants comme
Mirabeau.
D’où ce commentaire de Dumas dans ses Mémoires :
« C’est le privilège des romanciers de créer des personnages qui tuent ceux des historiens. La raison en est que les historiens se bornent à évoquer de simples fantômes, tandis que les romanciers créent des personnes en chair et en os. »
Un texte est une machine paresseuse qui exige de ses lecteurs qu'iIs fassent une partie du travail; autrement dit, un dispositif conçu pour susciter les interprétations.
Quand un livre est lancé dans le monde comme un message dans une bouteille – et ce n’est pas seulement vrai des romans ou de la poésie, mais aussi d’ouvrages comme la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant –, autrement dit quand il est produit non pour un seul destinataire mais pour une communauté de lecteurs, l’auteur sait qu’il sera interprété non selon ses intentions, mais selon une stratégie complexe d’interactions qui implique aussi les lecteurs et leur compétence dans leur propre langue, comprise comme un trésor social. Par « trésor social », je n’entends pas seulement une langue donnée avec son ensemble de règles grammaticales, mais toute l’encyclopédie que l’usage de cette langue a générée : les conventions culturelles et l’histoire des interprétations antérieures de ses nombreux textes, y compris celui que le lecteur tient dans ses mains.
L’acte de lire doit prendre en compte tous ces éléments, même s’il n’est guère vraisemblable qu’un seul lecteur puisse tous les maîtriser. Ainsi toute lecture est-elle une transaction complexe entre la compétence du lecteur (sa connaissance du monde) et le genre de compétence que postule un texte donné pour être lu de manière « économique », c’est-à-dire d’une manière qui augmente sa compréhension et le plaisir qu’il procure, avec le soutien du contexte.
En poésie, les mots sont difficiles à traduire parce que ce qui compte est leur son, ainsi que la volontaire multiplicité de leurs sens, si bien que c’est le choix des mots qui détermine le contenu. Dans le récit, nous sommes dans la situation contraire : c’est l’univers que l’auteur a construit, ce sont les événements qui s’y produisent qui dictent le rythme, le style et même le choix des mots. Le récit est gouverné par la règle latine Rem tene, verba sequentur – « Tiens ton sujet, les mots suivront » –, alors qu’en poésie il faudrait renverser cet adage : « Tiens-t’en aux mots, le sujet suivra ».
La fiction nous suggère que, peut-être, la vision que nous nous formons du monde réel est aussi imparfaite que la vision des personnages de fiction sur celui où ils évoluent. Voilà pourquoi les grands personnages de fiction deviennent si souvent de suprêmes exemples de la condition humaine "réelle".
Je n'appartiens pas à la clique des mauvais écrivains qui prétendent n'écrire que pour eux-mêmes. Tout ce qu'un auteur écrit pour lui-même, ce sont des listes de courses qu'il peut jeter ses achats terminés. Tout le reste même les listes de linge à laver, sont des messages adressés à quelqu'un d'autre. Ce ne sont pas des monologues mais des dialogues. (p 37)
Le récit est gouverné par la règle latine Rem tend, verba sequentur- "Tiens ton sujet, les mots suivront"-, alors qu'en poésie il faudrait renverser cet adage : " Tiens-t'en aux mots, le sujet suivra". ( p. 21-22)
Combien de livres y a-t-il dans la bibliothèque de Babel décrite en termes si fantasques par Borges ? [ ] Si nous devions écrire tous ces mots [possibles] dans des volumes de mille pages chacun, avec de pages de cent lignes et de lignes de soixante caractères, le total serait de deux cent cinquante-sept millions de milliards de volumes. Si nous voulions les entreposer dans des bibliothèques équipées d’espaces de stockage cubiques de treize mètres de côté, dont chacune pourrait abriter trente-deux millions de volumes, il nous faudrait 8 052 122 350 bibliothèques de cette dimension. Mais quel pays pourrait contenir tous ces bâtiments ? Si nous calculons la surface disponible sur toute la planète, nous découvrons qu’il n’y a de place sur terre que pour 7 575 213 799 d’entre eux ! P 223