Ce
Ellroy. J'avais nagé avec délice dans le American Tabloid, j'ai refermé le livre, fébrile, en attendant de replonger dans la suite immédiate du-dit. American Death Trip, qui n'existe pas en format poche, qui pèse 1,02kg, et dont personne ne parle, alors que cet autre pavé est tout aussi passionnant et documenté que le premier.
Fin du Tabloid : le 22 novembre 1963, vers 13h.
Début du Trip de la Mort : le 22 novembre 1963 vers 13h30. C'est parti pour un voyage de cinq ans, aboutissant en 1968 à la mort par assassinat de Bobby Kennedy, peu après la mort de
Martin Luther King.
On retrouve nos chouchous - m'est arrivé de dire à haute voix le nom de Pete
Bondurant, comme ça, pour le faire sonner en entité dense et complexe - Pete
Bondurant avec des litres de sang sur les mains, Pete
Bondurant amoureux, Pete
Bondurant blotti en sa rousse épouse Barb qui, comme Bassinger dans L.A. Confidential, s'occupe de la rédemption de son héros sulfureux couvert de cicatrices.
Et puis les autres, dans leur complexité. Et Hoover dans sa rampante folie, et
Howard Hugues en Comte Drac buveur de sang et mangeur de casinos. Bobby est là, j'en aurais voulu plus, mais il est là quand même. Les mafieux continuent de faire leurs petites affaires, à la fois rancuniers et efficaces, suivant en ligne rouge leurs intérêts qu'ils adaptent suivant le contexte.
Un nouveau entre en scène, Wayne Tudrow, fils de Wayne Tudrow, quel fistouilleur ce
Ellroy de nous perdre entre Wayne et Wayne Sr, admettons. Comme toujours, extrêmement bien campés, ses héros, avec leurs infectes parts d'ombre et une petite lumière qui nous autorise à (un peu) croire en la vie et en l'humanité.
On se déplace vers le sud, le sud à l'incommensurable racisme ancré dans les gènes, dans les veines, dans les souffles. On s'installe encore plus à Las Vegas. Cuba reste dans les esprits mais cette fois, on va aussi visiter le Vietnam.
1963-1968, Lyndon Johnson est président, il est à la fois anti-coco réac et sincèrement pour les droits civiques ouverts aux Noirs, l'étrange bonhomme sans charme (après JFK personne ne pouvait lutter sur ce plan). Lyndon Johnson qui, parait-il, adorait montrer fièrement sa quequette à son entourage sans tarir d'éloges sur ce fier membre de son anatomie… Décidément, le pouvoir rend bizarre…
Dans ma critique de American Tabloid, je me demandais ce qu'il en était de ce flic, Tippit, qui apparait sans vraiment de raisons, et dont je savais qu'il avait été tué par le supposé Oswald trois-quart d'heures après l'assassinat de Kennedy. "A moins qu'
Ellroy n'en parle dans le Death Trip" ajoutais-je… Banco, Tippit est à sa place. "
Ellroy n'évoque pas la guerre du Vietnam dans le Tabloïd, une guerre pas officiellement déclarée du temps de Kennedy, mais la présence américaine était déjà bien active en sous-main". Banco, là aussi on y est, et si la guerre est effleurée, le trafic d'héroïne est par contre bien documenté.
La violence entre ces foutus humains, à tous les stades, est quasi un personnage à part entière dans ce sacré bouquin (tout comme dans A. Tabloid d'ailleurs).
Violence de la mafia qui ne pardonne rien et fait nettoyer tout ce qui risque un tant soit peu de gêner ses dirigeants, et/ou tous ceux qui l'ont un tant soit peu trahie.
Violence des états du Sud confédéré envers les Noirs, viscérale, qui ne s'aère d'aucun problème moral, qui ne se nuance d'aucune réflexion, pour ces têtes pleines de KKK, c'est comme ça, c'est admis, c'est sain, c'est même parfois rigolo et c'est très bien - et quiconque nous gêne dans ce parcours sera supprimé avec une joie non-dissimulée.
La violence des bas-fonds, où la sexualité ouvre à d'atroces exactions, ça, c'est un peu le dada d'
Ellroy dont la mère a sauvagement été assassinée quand il était petit.
La violence du trafic de drogue, depuis les champs de pavot du Laos jusqu'à l'arrosage dans les bas-fonds sus-nommés, des esclaves par ci, des camés-cobayes là, telle population qu'on asservit, rapport qualité-prix aléatoire car fluctuant, mais qu'importe, il y a moyen avec cette arme fatale de bâtir des fortunes rapides, l'aventure c'est l'aventure, qu'importe si du monde tombe au passage.
La violence ancestrale de l'Asie autour du sacrificiel Vietnam. Aussi bien au nord, du côté communiste où l'on est habité par la lutte, qu'au sud du côté de la vieille organisation corrompue, avec au milieu ces soldats américains comme cheveux sur la soupe, la vie humaine n'a aucune espèce d'importance. Les gens, le peuple, vous, nous, ça tombe à tour de bras, chair à canon, chair à héroïne, chair à exploiter, chair à propagande, chair sans intérêt dont les chefs disposent à leur guise, dans chaque camp.
Et enfin, la violence faite aux femmes, côté blanc mâle alfa qui ne souffre aucune contrariété, côté cinglé noir ricanant à violer puis assassiner, côté asiatique à prostituer à torturer comme du joujou vivant qu'on utilise jusqu'à l'os,
Ellroy nous en balance par tonnes, de la violence, et le pire c'est qu'on le croit, on croit à son monde si sombre.
J'ai réalisé que l'histoire millénaire de l'Asie est ultra-violente depuis l'empereur Qin en passant par le Japon jusqu'aux sanguinaires dictatures pseudo-communistes,
Avec ce chef d'oeuvre qu'est American Pastorale de Philipp Roth, et les tableaux noirâtres d
Ellroy, j'ai vu en quoi l'histoire centenaire de l'Amérique est elle aussi malaxée de violence, presque comme si c'était un pilier fondateur de ce pays,
et là on comprend à quel point un gars (une fille) de bonne volonté qui essaie d'adoucir un peu le quotidien de nos amis les gens, façon
Martin Luther King par ci ou Bobby Kennedy par là, a une montagne de pain sur la planche… à quel point c'est un boulot sans fin, un tonneau des Danaïdes, où on laisse facilement sa peau… A quel point ceux qui ont essayé quand même, parce que sinon, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, ont eu du courage, de la ténacité, de la fermeté, de l'intelligence. Pas à pas, dans des vents contraires soufflant à 200 à l'heure, face à des haines tatouées. C'est sans fin, ça recommence au XXIè siècle, non je ne suis pas en dépression, non
Ellroy n'a pas entamé mon moral d'acier, mais pfouh…
Mais passionnant. Il est FORT ce gars. Pas d'hésitation, ce deuxième volet du triptyque vaut le déplacement.