Ce roman noir publié en 1991 nous emmène à l'extérieur de la région de Los Angeles, noeud toponymique pourtant cher à
James Ellroy ; il s'agit ici de suivre l'itinéraire de Martin Michael Plunkett, un tueur psychopathe, vécu de l'intérieur, puisque la narration à la première personne nous plonge dans l'intimité du cerveau criminel, bien au-delà des limites de toute morale ou justice.
L'intrigue nous entraine, au gré de la traque policière, dans une dérive d'état en état, vers l'est au départ de San Francisco, lieu du premier meurtre. C'est un véritable road movie littéraire dans une errance où le personnage de l'auto-stoppeur confiant, solidaire et serviable allégorise la part de hasard et d'aléatoire, au cours d'un périple interminable à travers le désert, les petites villes repliées sur elles-mêmes, les zones enneigées et hostiles, les villes balnéaires… Les véhicules du tueur, surnommées Mortmobile I et II jouent en effet un rôle important et symbolique dans le roman à la fois lieux de repli, instruments de survie et engins de mort.
Le récit est souvent onirique, hallucinatoire, en prise directe avec le « cinéma intérieur » du héros. C'est une lecture difficile ; certains passages sont des mises en scènes d'une grande violence, brutale et pulsionnelle : fantasmes sexuels, d'automutilation, atrocités qui sont en général suivies de séances d'interprétation lucides et raisonnées. le tueur peut aussi s'identifier à des supers héros de BD, développer une sorte d'immaturité proche du complexe de Peter Pan, notamment dans son incapacité à envisager une sexualité d'adulte. C'est un voyeur, un être narcissique, obsédé par la perfection physique.
Pour ce criminel emprisonné, l'écriture de son parcours sert à démontrer une forme de supériorité intellectuelle se manifestant hors de toute communication conventionnelle.
Le récit du tueur est entrecoupé d'articles de presse qui relatent les meurtres, de rapports de police et d'extraits du journal de Thomas Dusenberry, l'inspecteur du FBI chargé de l'affaire. Ce dernier se sent lié au criminel qu'il traque, ressent profondément le mal absolu qu'il incarne et ne se remettra jamais vraiment de cette enquête.
Dans l'univers habituel d'
Ellroy, marqué souvent par une virilité exacerbée, le culte des armes à feu, les pulsions sexuelles dévorantes, la domination des femmes, le racisme et l'homophobie, ce roman porte paradoxalement la question centrale de l'homosexualité et de la fascination qu'elle exerce. La rencontre de Plunkett avec un complice, une sorte de double maléfique, se produit dans ce contexte particulier.
Ce roman est très particulièrement dense.
James Ellroy nous livre avec
Un tueur sur la route sa vision d'une Amérique décadente, dans laquelle l'essor de la psychopathologie meurtrière est une métaphore des maux de la société ; il nous propose également une satire de la famille en tant que valeur de base ; enfin, il lui arrive de remettre en cause le fonctionnement de la police, institution souvent décrite en miroir du crime.
Personnellement, je préfère le titre américain de ce roman, Silent Terror. J'ai l'impression qu'il met davantage l'accent sur la part de mystère que garde le tueur au delà même de sa confession et du dénouement ; de plus, il véhicule mieux le discours pessimiste de l'auteur sur l'état moral et matériel de la société américaine, une ambiance faite de violence crapuleuse, de corruption et de pulsions criminelles.
Ce fut une lecture un peu difficile et laborieuse et je serais sans doute passée à côté de beaucoup de clés de lecture si je n'avais pas eu la chance d'avoir pu bénéficier d'une initiation à l'univers d'
Ellroy. Ce roman noir, par son côté analytique et presque philosophique s'adresse à des lecteurs avertis.