AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Le Prix des âmes, tome 1 : Coupés du monde (10)

A quelques centimètres, de l'autre côté [de la fenêtre], le suicidé recommence son manège. Je manque de faire un bond en le voyant s'écraser dans les fleurs.
- Bordel ! Mais c'est pas possible !
- Voilà exactement pourquoi je déteste les suicidés, commente Calame dans mon dos.
Commenter  J’apprécie          00
À mes mots, Calame acquiesce. Il se lève en détournant le regard. Ce qu’il vient de se passer reste entre nous sans que personne n’ose crever l’abcès, et j’ai besoin d’air.
Je traverse la maison au pas de course, sans plus m’inquiéter de croiser quoique ce soit. Lorsque j’émerge sur la terrasse, l’orage éclate enfin, éventrant les nuages. Ils déversent sur moi une pluie drue, qui me trempe aussitôt. Je ramasse nos deux sacs pour les balancer à l’intérieur, mais je retourne dehors pour me planter sous l’averse, comme si elle pouvait me laver les idées, à défaut de me purifier. Rien de tout ça ne se passe, mais à me retrouver rincé jusqu’aux os, mon corps se calme enfin, mon cœur aussi.
En relevant la tête, j’aperçois Calame qui m’observe, impassible. Je lui rends son regard, sans sourire, aussi paumé que lui, avant de le rejoindre à l’intérieur.
Commenter  J’apprécie          00
Mes semelles crissent contre la neige qui recouvre les racines et les feuilles tombées autour du chêne. Sans ce corps au visage bleuté empêtré dans ses branches, l’arbre aurait tout de majestueux. Même cette clairière, enveloppée d’un manteau pâle et nimbée d’une aura aveuglante, m’évoque un calme serein, une nuit au coin du feu, et comme me le ferait remarquer Lucy, le chocolat chaud, son péché mignon. J’écarte les flocons amassés à même l’écorce, pour confirmer mes suspicions. Impossible que cette femme ait mis fin à ses jours ici, en haut d’une branche inatteignable. Tout cela a été préparé avec un soin particulier, même si je n’en connais pas la raison.
À hauteur de mon visage, je remarque des entailles dans le tronc qui témoignent de la présence d’une échelle. Quelqu’un a passé la corde au-dessus de la branche où se trouve désormais la défunte, avant de la nouer hors d’atteinte, une fois son forfait accompli.
Lorsque je viens me poster sous les branchages, la morte baisse les yeux pour tâcher de m’apercevoir. Je me décale pour lui rendre son regard et surtout, réussir à l’observer de plus près. Des traces de lutte recouvrent ses avant-bras, marqués de griffures et d’ecchymoses. Les mêmes que j’entrevois autour de son cou, même si celles-ci, seules, auraient pu simplement justifier un changement d’avis trop tardif.
Sa peau livide rend sa tenue plus noire encore. À la manière des bonnes d’antan, elle arbore un uniforme strict qu’aucun bijou ne vient rehausser. Je parcours en mémoire la liste des domestiques du manoir, avant d’en retenir deux : Marieke et Annie. Laquelle des deux a mérité de finir ses jours ainsi, pendue à une branche ?
Son calme soudain me déconcerte. Silencieuse, elle traque chacun de mes mouvements d’un œil avide, la corde geignant chaque fois qu’elle s’agite. D’une main, je chasse quelques flocons amoncelés sur mes joues, et je jurerais la voir sourire.
Commenter  J’apprécie          00
À mesure que j’avance vers le manoir, j’en examine attentivement la façade. En me basant sur le nombre de fenêtres et d’étages, je devine que ces trois jours seront amplement nécessaires pour tout explorer. Une prière silencieuse m’échappe : pourvu que ce que je cherche se trouve bien à l’intérieur. Je n’ai jamais aimé courir les sous-bois.
La terre meuble du chemin se dérobe sous mes pieds, malmenée par les ans et les intempéries. J’atteins le haut de la butte, et la poussière cède la place aux graviers qui crissent sous chacun de mes pas. Au centre d’une grande place ovale trône une gigantesque fontaine, depuis longtemps tarie. Des moisissures pendent autour d’un plateau autrefois majestueux et dégoulinent jusqu’à atteindre le bassin rempli d’une eau de pluie croupie. Un oiseau mort flotte à la surface. Un corbeau aux orbites vides.
Bienvenue à la maison, je pense en m’immobilisant. Si l’on devait ramener mon travail à quelques règles simples de sécurité, elles se résumeraient à : ne jamais commencer le boulot en pleine nuit ; toujours repérer les environs ; si c’est trop beau pour être vrai, ça l’est ; et, les apparences sont toujours trompeuses.
Ma lampe de poche en main, je parcours une nouvelle fois la façade des yeux. Le faisceau lumineux se réverbère contre les vitres restantes, joue brièvement sur un éclat brisé, avant de venir mourir sur le gouffre opaque d’une porte grande ouverte, à ma droite. Si seulement j’avais eu un plan de la maison, en plus de celui de l’île, j’aurais pu savoir où ça menait.
Commenter  J’apprécie          00
— J’ai un problème.
Calame relève le nez, croise mon regard et s’arrête à son tour. Je lis dans ses yeux des émotions tout aussi bancales.
— Quoi ?
D’une main, je recommence à masser cette épaule qui ne me donne aucun répit.
— Un coup de déprime.
— Ah… ça arrive à tout le monde.
— Non. Enfin, ce que je veux dire, c’est que c’est bien trop soudain, et que ce sont des pensées que je n’ai jamais eues avant.
Après une poignée de secondes, Calame hoche la tête.
— Ça va sembler idiot, mais je me sens vraiment seul depuis qu’on a atteint la forêt…
— Moi aussi. Donc on a un problème.
— Coup de blues… ?
— Non, plutôt dépression spectrale. M’est avis qu’on ne va pas tarder à comprendre pourquoi. Tout ça, cette tristesse, cette solitude, ça ressemble fort à un souvenir.
— Un peu comme le vent…
Au premier abord, je ne comprends pas ce qu’il veut dire. Perdu dans mes pensées, je n’ai pas pris garde aux gémissements de la brise, qui peu à peu se sont mués en faibles lamentations. Du regard, j’explore les arbres autour de nous, ce chemin toujours courbe qui ne nous a menés nulle part.
— On tourne en rond, commente Calame en confirmant ma sensation.
Commenter  J’apprécie          00
— C’est une pleureuse ! Recule, Calame !
Toujours à l’aveugle, mes doigts retrouvent son poignet, alors que je le ceinture d’un bras, trop tard. La lampe met à jour la tête de l’adolescente, penchée sur ses genoux qu’elle tient serrés contre elle de ses mains. Ses cheveux retombent en paquet, masquant encore son visage.
— Ce n’est qu’une gamine, rétorque Calame, surpris, alors que je l’attire vers l’arrière.
Il manque trébucher, et me bouscule dans son élan.
Alors, son regard tombe sur sa précieuse tablette. Les courbes palpitent et se révoltent, le vert rassurant ayant viré depuis longtemps à un rouge vibrant de mauvais augure.
— Ce n’est qu’une…
Les mots de Calame meurent dans sa gorge, son souffle s’emballe. Tandis que je le maintiens contre moi, les sanglots se muent en clameur, et la voix d’Helena envahit nos esprits. Le désespoir s’immisce de nouveau en moi, tout comme je sais qu’il envahit Calame, telle une vague oppressante, implacable. L’air me manque, l’espoir, l’envie de vivre… Un tourment étranger me submerge, balayant toute pensée cohérente, une peur insidieuse et dévorante qui cogne dans mon cœur à le faire défaillir. Soudain, les murs me semblent plus près, bien trop proches. Ma main abandonne celle de Calame pour agripper mon col, espérant le libérer de son carcan qui m’étrangle, m’empêche de respirer. Les larmes d’Helena piquent mes paupières, je sens son chagrin se déverser le long de mes joues, ses pleurs se mêler à ceux de Calame, dont les jambes faiblissent sous l’angoisse et l’abandon.
Comme hypnotisé par le danger, la main de Calame persiste à fixer sa torche sur cette enfant qui n’en est plus une. L’esprit relève la tête, et dévoile un visage creusé par les siècles, témoin d’hécatombes et d’agonies qu’elle n’a jamais connues. Je sens ma volonté ployer, noyée par une fin que je sais proche. Face à nous, la bouche d’Helena s’ouvre sans fin, de plus en plus grand, vociférant ce chant de détresse, de malheur. Sa peau flétrie pend autour de dents trop longues, me soufflant tout désir, toute espérance. Et c’est désormais moi, qui me retrouve emmuré vivant dans mon propre corps, anéanti par la terreur d’un millier d’âmes, mon cœur sur le point de lâcher battant contre mes oreilles, m’assourdissant presque. Mes geignements se joignent à ceux de Calame, alors que nous tombons à la renverse, la torche rebondissant près de nous et tourbillonnant quelques secondes pour s’arrêter, ironie du sort, sur le spectre qui nous hurle toujours sa détresse.
Commenter  J’apprécie          00
Des tremblements remontent le long des bras du gamin, jusqu’à secouer ses épaules.
— Oh, a-t-il tout juste le temps de marmonner avant de se mettre à baver avec profusion.
La salive dégouline le long de son menton, et il me fixe de ses yeux délavés, emplis du fol espoir de me voir l’aider. Avant que je n’aie eu le temps de réagir, il se plie en deux et dégueule à mes pieds, une masse opaque, verdâtre, striée de sang. Puis, aussi vite qu’il a commencé à se sentir mal, il se redresse, intact, et s’évapore.
Seules ses vomissures demeurent un instant, avant de s’éparpiller en poussière. Au moins, dans mon malheur, j’ai la chance d’échapper aux odeurs…
Commenter  J’apprécie          00
Une chose singulière me frappe alors que nous posons le pied dans cette chambre, pour nous retrouver face à une nouvelle mise en scène. Jamais, à travers tous les lieux hantés que j’ai fréquentés, je n’ai trouvé de spectres si organisés, rangés chacun dans leur propre pièce, à m’attendre. Les entités de cette île, parsemées à travers le manoir et ses collines, m’apparaissent trop soigneusement présentées – cataloguées faute d’autres mots. D’ordinaire, les fantômes se hâtent de découvrir les lieux qui les entourent, de venir à la rencontre des vivants qu’ils entendent ou aperçoivent, voire même sentent, grâce aux émotions qu’ils projettent. Pourtant, ici, nous les découvrons presque tous cantonnés dans leur rôle, sur les lieux de leur mort. Parqués, en somme.
Cette nouvelle pièce n’y fait pas exception. Spacieuse et autrefois bien agencée, elle n’a plus rien de l’adorable chambre d’enfants qu’elle a dû être, à une autre époque. Des volets clos filtrent une lueur blafarde qui strie la salle de longs filaments aveuglants. Les meubles et les décorations jonchent le sol en une mare éparse de jouets cassés, de débris de bois, et de lambeaux de tissu. Les rideaux mangés par les mites dégringolent des tringles de guingois, un miroir brisé reflète la lumière du jour au plafond, renvoyant les rayons du soleil à travers un mobile dont ne pendent plus que des fils et un unique avion sans ailes. Des membres de poupées se mêlent à la fourrure d’ours en peluche déchiquetés, aux voiles déchirées d’un navire de pirate foulé au pied, et aux pages trempées de dizaines de livres de contes.
Près de l’entrée, une série de têtes de baigneurs fixe le spectacle de leurs orbites noires.
Trônant au milieu de ce capharnaüm, une chaise à bascule va et vient en cadence. Sur celle-ci, une nourrice berce une petite masse emmitouflée dans une layette rongée par l’humidité. Du sang s’échappe des cavités vidées de ses yeux et de sa bouche, maculant ses joues laiteuses, son menton, sa chemise stricte.
Commenter  J’apprécie          00
— Bien sûr que tu…
Mes paroles restent en suspens lorsque je sens ses lèvres effleurer ma peau. La chaleur moite de sa langue s’étend soudain juste sous le lobe de mon oreille, et je m’écarte sans douceur, pour agripper ses épaules.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je suis sûr que je peux te faire changer d’avis…
Ses yeux vitreux, noyés de larmes, se rivent aux miens. Des plaques rouges s’étendent le long de ses joues, jusqu’à ses tempes. Je place le dos de mes doigts contre son front, et c’est à n’y plus rien comprendre. Calame brûle d’une fièvre nouvelle, qui a chassé le froid trop vite. Si celle-ci continue à grimper, il risque à tout instant de succomber à un malaise.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Tu ne sais plus ce que tu dis.
— Je peux te faire changer d’avis… Si tu me laisses partir, je ne dirai à personne ce qu’il s’est passé…
— Changer d’avis sur quoi ? Mais je ne te veux aucun mal, Cal’… Ce n’est pas parce qu’on est…
— Carl, rétorque-t-il en me coupant dans mon élan. Je m’appelle Carl…
— Carl. Écoute-moi… Je sais qu’on nous a monté la tête, les uns contre les autres, mais ici ce n’est pas moi l’ennemi, tout comme tu n’es pas le mien, je…
Sa main se glisse entre mes cuisses, agile, remonte jusqu’à mon entrejambe pour s’y lover, sans qu’il ne me quitte du regard. J’éprouve toutes les peines du monde à garder mon calme, encore davantage à déglutir. Ma raison me pousse à chasser sa main, mon corps à l’encourager… À croire que je perds la tête, moi aussi.
Commenter  J’apprécie          00
Sa terreur m’envahit quand ma bouche formule ses pensées. De ces quelques mots prononcés, elle me transmet son fardeau qui éclabousse mon âme, déversant ses souvenirs à travers les miens, comme autant de rêves brisés et de soupirs accablés. Je sens toute cette horreur subie, sous les yeux aveugles des autres, les coups dissimulés par trop de fard, trop de poudre. Je sens…
Les sévices, le calvaire secret, l’angoisse du mot de trop, les ecchymoses, les cheveux arrachés, les gifles et les claques, je sens… Les marques contre son cou, habillées d’un foulard, les côtes fêlées qui empêchent d’enlacer ses propres enfants, les sourires voilés, factices, pour cacher une dent cassée. Je sens la honte, la culpabilité, la soumission, la révolte muette, les viols sous couvert de mariage, les grossesses redoutées, qui s’enchaînent sans fin, les fausses couches trop nombreuses, les larmes qu’on apprend à retenir, les griffures à masquer, les bleus à justifier. La maladresse feinte, les vapeurs de l’alcool des flacons de parfum que l’on boit par dépit, les milles façons d’en finir qui ne mènent à rien, par amour, par détresse, par fatalisme.
Et je ressens, enfin, un changement, l’univers qui bascule, une bouffée d’espoir qui étouffe, qui prend à la gorge et empêche de respirer, plus encore qu’aucune suffocation déjà subie. Un homme, un autre, discret et silencieux, sur lequel on s’appuie, tel un roc, un pilier inébranlable, et qui nous promet tout.
« Je lui dirai tout, ce soir, et je pourrais enfin partir. »
Commenter  J’apprécie          00




    Lecteurs (11) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Famille je vous [h]aime

    Complétez le titre du roman de Roy Lewis : Pourquoi j'ai mangé mon _ _ _

    chien
    père
    papy
    bébé

    10 questions
    1429 lecteurs ont répondu
    Thèmes : enfants , familles , familleCréer un quiz sur ce livre

    {* *}