Les jardiniers, c'est un peu comme les fleurs sauvages, il y en a de toutes sortes, et ils sont aussi différents, qu'ils sont attachants !
Les certitudes, voici ce qui les rassemble et pourtant les éparpille ! Et peut-on seulement attacher foi aux certitudes ? Surtout en matière de dialogue avec le végétal, quand oiseaux et hérissons s'en mêlent, quand les rêves sont le fil qui trace la vie au quotidien, en ce lieu magique qu'est un potager ?
Il y a le jardinier scrupuleux, le sérieux, celui qui prévoit tout... sauf les intempéries malicieuses qui viennent lui compliquer la vie ! C'est lui qui vous répète qu'un poquet, c'est sept graines, plus une de plus, pas une de moins. Chez lui, tout est rectiligne, tout est ordonné. Un mètre dans la poche, il est le maître des parcelles qu'il distribue de façon on ne peut plus organisée...
En miroir "déformé", il y a celui chez qui tout pousse en "extrême liberté", traduisez "en tout sens"... Parfois, c'est une succession de miracles. Parfois, même les légumes ne savent plus où ils doivent donner de la tête, alors, pensez, le jardinier… Il n'y a guère que les mulots qui s'y retrouvent.
Il y a le débutant, celui qui trébuche, celui qui échoue pour mieux avancer, qui replante, ou désespère mais toujours persévère ! Les oiseaux l'observent et leurs trilles l'encouragent… ou sont des rires moqueurs dissimulés !
Il y a aussi le rêveur, celui qui sifflote, qui fredonne, qui murmure - oui, vous l'entendez, c'est celui qui parle tout seul… Enfin non pas tout seul, mais ne le répétez pas, il encourage les haricots qui s'élancent, roucoule aux fanes de carottes qui ondulent dans la brise, il chuchote dans l'oreille qu'est l'ipomée… persuadé d'être entendu et récompensé !
Max Eyrolle est un rêveur organisé ! Un jardinier presque contemplatif autant qu'espiègle, qui pare même les heures passées au jardin de sensualité ! le moment au jardin devient un voyage dans la mémoire, des rencontres à nouveau possibles avec ceux et celles qui lui ont transmis le virus, la passion, l'impression de fouler la même terre, ensemble avec ses absents...
Au fil de petits textes, comme autant d'enjambées dans les allées, comme autant de sauts dans les saisons, comme autant de courses entre les gouttes de pluie, il nous entrouvre le portillon de "son" potager de son jardin-cheminot – cousin du jardin-ouvrier, et nous invite à la rencontre de ses légumes glanés dans les catalogues qui remplacent ses livres de chevet !
Venez rencontrer le coquelicot, contempler son don de l'éphémère, venez l'écouter, ce jardinier, lui aussi habité de certitudes qu'il distille et partage. Celui qui ne jure que par les "Delinel", celui qui fait révérence devant les plants de "Rosabel", celui qui vous parle de nez du bonhomme de neige pour évoquer ce légume si apprécié et dont les limaces font festin, tout en tenue de camouflage qu'elles sont, quand elles s'enroulent autour du collet végétal.
C'est aussi celui qui vous parle de l'enterrement de cette fragile mésange, tout recueilli qu'il est quand d'autres oiseaux l'accompagnent en procession…
Bref, c'est l'évocation du jardin où poésie, vérités, évidences, obsessions s'emmêlent comme les lianes de liserons autour des étiquettes qu'on s'escrime toujours à planter pour ordonner ce petit monde. C'est une visite, où la déception est tapie derrière la feuille des pommes de terre, déguisée en doryphore ou en mildiou, où le rêve grandit et se déplie à mesure que les parcelles se peuplent, où la récompense est toujours incommensurable quand d'une graine jaillissent des cageots de trésors à déguster au prochain hiver.
Vous l'avez compris, c'est un sourire permanent qui se dessine sur les lèvres du lecteur pour peu que celui ci soit habité de la même folie.. et c'est bien connu, les fous, entre eux, se comprennent…
Encore quelques mots : un secret en somme comme on se chuchote les secrets des jardins, les tours de main, le "savoir-faire" bucolique. Voilà un petit livre pour la saison qui se profile, quand le jardin se recroqueville, s'emmitoufle et que le jardinier erre comme une âme en peine en plein désarroi, parce que les parcelles sont désertées pour quelques mois… Ouvrir ce petit livre de
Max Eyrolle, contempler, songeur, les photos de Bernard Lazéras qui lui donneraient presque vie, c'est rembobiner le temps, fouler à nouveau l'herbe des allées, c'est continuer la conversation avec la mésange ou le mulot… En un mot, c'est continuer le "rêve", seul lieu de vie du jardinier.