L'héritage des Rois Passeurs

Ravenn eut un sourire dubitatif. Elle ne croyait pas les gens capables de changer. Que des personnalités évoluent, que certaines facettes se développent au détriment d'autres, que des objectifs différents se révèlent avec le temps, pourquoi pas. Mais un changement véritable ? non.

Mais comme les corps perdus en mer s'échouent sur les rivages, les mensonges finissent immanquablement par remonter un jour.

p.223

Certains hommes ne naissent simplement pas au bon endroit.

P12

- L'amour fait agir d'étrange manière, Énora. Il ne s'encombre pas des conséquences.

Hank huma l'air, heureux de sentir l'inimitable parfum de mystère qui enrobe les transitions.
Après tout, pour un dieu millénaire luttant contre l'ennui, chaque changement est une curiosité délectable.

Charly flottait.
Il marchait sans que ses pieds touchent le sol, se laissant ballotter comme un tronc au milieu d'un torrent. La douleur vive qui aiguillonnait chaque parcelle de son corps était toujours présente, mais son esprit dérivait, incapable de s'accrocher à la réalité. Bruyant, ce monde était trop bruyant. Des voix partout, des hurlements, des impacts métalliques... Le moindre son explosait dans sa tête, étoilant les vitres de sa raison. Incapable de rester droite, sa nuque roula sur le côté. Le visage de son frère apparut dans son champ de vision. Il parlait. Ses lèvres bougeaient, mais sa voix n'était que bouillie de mots dénuée de sens. Épuisé, Charly cessa d'essayer de comprendre. Il cessa de se battre contre l'ennemi invisible incrusté dans sa chair et plongea au fond de lui-même, là où la douleur ne pouvait plus l'atteindre.
Comme un pied de nez au destin, Charly sourit.
Puis sombra.

La féminité n’est pas la soumission passive.

La légende le décrit comme un colosse tout en muscles, beau comme un dieu, sage comme un érudit, fort et loyal, plus rusé que le plus rusé des généraux de l'armée d'Ombre. Ce portrait est peut-être légèrement enjolivé, Kanna l'ayant rédigé lui-même.

Je l'ignore.
Je l'ignore mais j'ai peur.
Enora et Erwan auront huit ans demain. Chaque anniversaire sonne en moi comme le gong cruel d'un compte à rebours.

Charly tourna la tête dans la direction qu'elle indiquait. Il s'immobilisa, stupéfait. L'éternel sourire que le jeune homme portait en bannière étira un peu plus ses lèvres à mesure qu'il détaillait les tours vertigineuses de la capitale, toutes d'arabesques et de volutes sombres, prises dans l'étreinte d'une haute muraille de pierres anthracite. Les murs du château, touche de solidité dans cette ville qui semblait défier l'apesanteur, se détachaient clairement sous l'entrelacs éthéré des dizaines de passerelles transparentes. Celles-ci reliaient les bâtiments d'un bout à l'autre de la cité, capturant la lumière du soleil. Les rues labyrinthiques ne s'écartaient qu'en de rares endroits qui, même à cette heure matinale, semblaient grouillants de monde. Des quartiers entiers débordaient des remparts, de part et d'autre d'une rivière qui se jetait dans la mer une dizaine de kilomètres au nord, où Charly devinait la présence d'un port. Le jeune homme était incapable de déterminer si Astria lui semblait accueillante ou repoussante, chaleureuse ou menaçante. Mais le mélange des matériaux et les formes voluptueuses d'où s'échappaient ces constructions en pics escarpés comme des sommets de montagne étaient d'une beauté indéniable. Jamais, même dans ses rêves les plus délirants, Charly n'avait imaginé une allure aussi ambiguë. L'esprit de celui qui avait conçu cette ville était génial. Ou fou. Ou probablement les deux.