L'Etat au Moyen-Âge

L'État et la nation sont deux notions et deux réalités distinctes, que l'on a trop souvent tendance à associer, comme si elles étaient parfaitement coexistantes dès le départ. Or, l'État, même si'il n'est qu'en voie de formation ou de constitution, dans ses diverses composantes, peut préexister à une nation consciente d'elle-même.
Colette Beaune dans son très beau livre : Naissance de la nation France a fait l'inventaire des symboles qui ont accompagné cette lente gestation.
De son côté, René Fédou a pointé la continuité qui pouvait se deviner entre Empire romain, "royaumes" des temps dits barbares et de l'époque mérovingienne, Empire Carolingien et ce qui a suivi l'éclatement de ce dernier, période qui a vu se former deux États qui se sont structurés lentement mais sûrement, de manière presque continue, principalement en France et en Angleterre, où des dynasties ont régné (et, pour des raisons qui tiennent aux contextes autant qu'aux problèmes locaux, il n'a pas vu, hors l'expérience féodale largement répandue dans toute l'Europe occidentale, un phénomène de construction étatique identique se produire dans le Saint-Empire romain germanique et en Italie ; on pourrait considérer à part le cas de l'Espagne avec les royaumes de Castille, d'Aragon, de Navarre, etc.). Dans cette logique, Fédou a tendance à regarder les habitants des royaumes de France et d'Angleterre non pas seulement comme les sujets d'un monarque mais aussi comme les résidents d'un seul et même ensemble territorial dont le roi est, en haut de l'édifice, identifié comme le représentant à la fois d'un peuple et de Dieu sur terre, en concurrence avec un clergé qui rêvait de construire - projet utopique - la Cité de Dieu sur terre. C'est un fait qu'en France, le roi s'est peu à peu affranchi des réflexes qui furent pendant trop longtemps ceux de la caste féodale, qu'il a substitué le droit d'aînesse aux habitudes de partage et l'installation dans une ville principale, avec tous les organes de pouvoir, à l'itinérance sans but adoptée dans les périodes agitées. Dans son livre intitulé L'État au Moyen Âge, René Fédou repère cependant deux évolutions différentes entre le royaume de France et celui d'Angleterre : le premier aurait développé plus une logique administrative et le second un esprit judiciaire. Mais, dans le conflit qui opposa, en plusieurs phases, les deux royaumes, du XIIème au XVème siècle, le royaume d'Angleterre, d'abord possédant en France puis plus ouvertement conquérant, fut finalement freiné dans son entreprise par la force numérique et le parc d'artillerie des armées du roi de France, mais aussi par l'organisation et la richesse du Regnum Francorum, à même de mettre en place une fiscalité permanente, surtout vers la fin de la guerre de Cent Ans (1337-1453), où il fut manifeste que la présence anglaise, devenue insupportable à nos populations, ne pouvait plus permettre aux troupes venues d'Outre-Manche de se maintenir de ce côté-ci du Channel. le sentiment national est sans doute aucun issu de ce conflit, une première fois, bien avant et bien autement que sous la Révolution française, qui devait nous voir nous diviser et nous déchirer pendant des décennies à la fin du XVIIIème siècle et pendant toute la première moitié du XIXème siècle.

François Sarindar