Un matin, on se réveille. Il est temps de se retirer du monde pour mieux s'en étonner.
Un matin, on prend le temps de se regarder vivre.
Il y a deux sortes de gens.
Il y a ceux qui vivent, jouent et meurent.
Et il y a ceux qui ne font jamais rien d’autre que se tenir en équilibre sur l’arête de la vie.
Il y a les acteurs.
Et il y a les funambules.
Il y a deux sortes de gens.
Il y a ceux qui vivent, jouent et meurent.
Et il y a ceux qui ne font jamais rien d'autre que se tenir en équilibre sur l'arête de la vie.
Il y a les acteurs.
Et il y a les funambules.
Yuko se mit à sourire. Le maître n’avait pas oublié.
— Pourquoi l’art du funambule pourrait-il me servir ?
Soseki posa sa main sur l’épaule du jeune homme, comme il l’avait déjà fait un mois plus tôt.
— Pourquoi ? En vérité, le poète, le vrai poète, possède l’art du funambule. Écrire, c’est avancer mot à mot sur un fil de beauté, le fil d’un poème, d’une œuvre, d’une histoire couchée sur un papier de soie. Écrire, c’est avancer pas à pas, page après page, sur le chemin du livre. Le plus difficile, ce n’est pas de s’élever du sol et de tenir en équilibre, aidé du balancier de sa plume, sur le fil du langage. Ce n’est pas non plus d’aller tout droit, en une ligne continue parfois entrecoupée de vertiges aussi furtifs que la chute d’une virgule, ou que l’obstacle d’un point. Non, le plus difficile, pour le poète, c’est de rester continuellement sur ce fil qu’est l’écriture, de vivre chaque heure de sa vie à hauteur du rêve, de ne jamais redescendre, ne serait-ce qu’un instant, de la corde de son imaginaire. En vérité, le plus difficile, c’est de devenir un funambule du verbe.
Yuko Akita avait deux passions.
Le haïku.
Et la neige.
Le haïku est un genre littéraire japonais. Il s’agit d’un court poème composé de trois vers et de dix-sept syllabes. Pas une de plus.
La neige est un poème. Un poème qui tombe des nuages en flocons blancs et légers.
Ce poème vient de la bouche du ciel, de la main de Dieu.
Il porte un nom. Un nom d’une blancheur éclatante.
Neige.
(Incipit du récit)
L’enseignement du maître ne ressemblait à nul autre.
Le premier matin de cours, près de la rivière encore baignée de l’aube, il demanda à Yuko de fermer les yeux et d’imaginer la couleur.
— La couleur n’est pas au-dehors. Elle est en soi. Seule la lumière est dehors, dit-il. Que vois-tu ?
— Rien. Les yeux fermés, je ne vois que du noir. Pas vous ?
— Non, répondit Soseki. Je vois encore le bleu des grenouilles et le jaune du ciel. Alors, qui de nous deux est le plus aveugle ?
Yuko aurait voulu lui dire que le ciel n’était pas jaune, ni les grenouilles bleues, mais il s’abstint de tout commentaire. Le vieil homme était peut-être devenu fou. Ou tout simplement sénile. Il ne voulut pas le décevoir.
— Maître, dit-il, je commence à voir.
— Que vois-tu ?
— Je vois le rouge des arbres.
— Idiot, dit Soseki. Cela ne se peut pas. Il n’y a pas d’arbres ici.
Ne te fis pas aux apparences. Cela ne sert à rien qu’à se perdre.
En chemin, dans la fraîcheur pâle du soleil, il croisa une jeune femme qui puisait de l'eau à la fontaine.
En se penchant, sa tunique s'entrouvrit à la hauteur de son aisselle et dévoila un sein blanc comme de la neige.
C'était une nuit de pleine lune. On y voyait comme en plein jour. Une armée de nuages aussi cotonneux que des flocons vint masquer le ciel. Ils étaient des milliers de guerriers blancs à prendre possession du ciel. C'était l'armée de la neige.
- La poésie n'est pas un métier. C'est un passe-temps. Un poème, c'est une eau qui s'écoule. Comme cette rivière.
Yuko plongea son regard dans l'eau silencieuse et fuyante. Puis il se tourna vers son père et lui dit :
- C'est ce que je veux faire. Je veux apprendre à regarder passer le temps.