Mon enfant, ma soeur

"le soir j'entends le pas de maman
sa voix
jusque tard dans le salon
pourquoi s'en irait-elle
mes inquiétudes évanouies
je m'endors sans crainte
depuis que je suis petit jamais
je ne l'ai vue aussi sereine
elle se sent aimée
pour ce qu'elle est
elle s'aime enfin
un peu"

"elle rature sa jeunesse
fait de sa joie un leurre
pas étonnant qu'à petit feu maman
se meure

le secret est une infection de l'âme"

Mon enfant, ma soeur, de Eric Fottorino.

Des milliers et des milliers de jours sans réponse, creusent dans le coeur, obscures et froides d'insondables galeries, montagnes russes de sentiments on se vouvoie et on s'embrasse, tu es pressée qu'on se voie et tu redoutes notre rencontre Marie-Elisabeth, le cache-cache est fini cette fois tu chauffes.
Comment sans la foudroyer dire à maman :
"maman ta petite fille je l'ai retrouvée."
Je ne lui laisserai pas le temps de la stupeur je lui dirai dans un même souffle, craignant qu'elle perde le sien, (qu'elle perde connaissance) je lui dirai "elle est vivante." Elle va bien elle te cherche.
Cinquante ans qu'elle te cherche.

est-ce ce manque logé en moi
depuis le jour caché de ta naissance
qui me fait voir sans cesse la mort sur la mer
le friable de la vie
le faible au lieu du fiable
et au moindre de ses retards
notre mère disparue

d'où me vient ce travers épuisant
de ne voir la vie qu'en noir

Je te suis à la trace sur cette place
Tu es partout là où je suis
Suspendues dans la lumière flottent
Des syllabes de poussière
L'ombrage immuable des platanes
Rien ne meurt rien ne fane
Je suis là Harissa
Je ne pars pas
Je t'entends je t'attends
Ma sœur mon enfant
Mon enfant ma sœur.

les secrets bien gardés sont des lames
qu'en nous les larmes
font rouiller

je voudrais qu’en toi s’obstine une trace de nous
rivière souterraine
mélancolie secrète qui parfois te hante
lancinante
je voudrais à ton insu
être un membre fantôme
dont le souvenir à bas bruit remonte
un sentiment à contre-jour
à contretemps
flaque de soleil dans l’eau fraîche
parmi les étés sans guirlandes

J'ai retenu ce compliment
appris à l'école pour une fête des mamans
recroquevillés sur la plage
les mots disaient merci pour le creux douillet de tes bras
le jour filtrait par les volets de sa chambre
le soleil de mai nous caressait
de son hâle
maman m'observait
une ombre voilait son regard
j'effleurais l'opale blanche
de son épaule

comme un cadeau j'ai déballé
mon petit compliment
elle m'a pris contre elle
ses larmes mouillaient son sourire
on aurait eu de la place pour deux
dans le creux douillet de ses bras
l'un d'eux resta inhabité
cratère éteint
gisement d'amour pour rien

tu n'étais pas là

maman et moi étions deux
avec toi nous sommes trois
nous ne faisons qu'un

la vérité Harissa
je la cherche en t'écrivant
l'écriture est dans la blessure
l'écriture vient du désastre
de l'écorchure
de la colère
elle brise le silence
lézarde les murs
installe la turbulence

ne pas t'écrire
serait ajouter au pire
laisser croire que tu n'es venue au monde pour personne
que tu es née pour rien
que nul ne t'attendait

moi je t'attends