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EAN : 9782073017246
320 pages
Gallimard (14/09/2023)
4.07/5   306 notes
Résumé :
Brun va mourir. Il laissera bientôt ses terres à son fils Mo. Mais avant de disparaître, pour éviter la faillite et gommer son image de pollueur, il décide de couvrir ses champs de gigantesques éoliennes. Mo, lui, aime la lenteur des jours, la quiétude des herbages, les horizons préservés. Quand le chantier démarre, un déluge de ferraille et de béton s'abat sur sa ferme. Mo ne supporte pas cette invasion qui défigure les paysages et bouleverse les équilibres entre l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (74) Voir plus Ajouter une critique
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Brun a voué toute sa vie à l'exploitation de ses terres du piémont jurassien. Désormais malade et proche de la mort, lui qui s'est toujours enorgueilli de sa modernité, a l'idée d'y faire implanter des éoliennes pour sauver son exploitation de la faillite et la transmettre à son fils Mo. Celui-ci se retrouve confronté à un chantier titanesque, en passe de défigurer les paysages qu'il aime tant et de détruire le fragile équilibre naturel de ces lieux.


A travers Brun, c'est un siècle de paysannerie française qui défile sous nos yeux : un siècle qui a soudain métamorphosé notre ancestrale relation à la terre, dans une course au progrès et au rendement destinée à accompagner la croissance économique et démographique. Remembrement, mécanisation, usage intensif des produits phytosanitaires : l'optimisation des rendements et les efforts pour s‘affranchir d'une partie des aléas naturels ont ouvert des perspectives inédites pour l'alimentation du monde. Mais, pour tous les Brun entraînés dans une perpétuelle course en avant, bientôt pris en ciseaux entre le gouffre sans fond de leur endettement et l'interminable chute des cours mondialisés, c'est un progressif étranglement qui, lentement mais sûrement, a clairsemé leurs rangs, semant au passage son lot de suicides et de drames. Pour se maintenir à flot, Brun et ses semblables ont dû rompre le pacte millénaire de l'homme avec la terre, le végétal et l'animal, avant de tardivement s'apercevoir que leurs pratiques d'apprentis sorciers ont fini par bouleverser de complexes équilibres.


L'écriture tout en finesse et en délicatesse teinte d'une poignante mélancolie la mémoire d'un vieil homme parvenu au bout de ses désillusions après avoir tant cru au progrès. Dans un Jura âpre et magnifique qui vaut au récit de somptueux passages, cette vie qui s'achève sans rien vouloir céder, dans un ultime baroud d'honneur tendu vers la transmission au fils unique, prend des accents de vérité dans les moindres détails de la narration. Et c'est avec une tendresse toute révérencielle que l'on assiste au passage de relais entre le père, déclinant mais lucide, et le fils qui s'astreint à ravaler sa rébellion par affection. Malgré leurs divergences de vue, les deux hommes ont en commun les morts qui leur sont chers et un attachement viscéral à une lignée et à une terre qui ne font plus qu'une. Alors, à travers Mo et grâce à la conscience de son enracinement, peut-être l'histoire poursuivra-t-elle son cours, vers un avenir plus sage et plus humain.


Ses peintures majestueuses du Jura, ses personnages d'une parfaite authenticité et sa justesse de réflexion entre désillusion et espoir font de ce roman à l'écriture ciselée un moment de lecture aussi magnifique que poignant, en même temps qu'un vibrant hommage à nos racines paysannes.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Se distanciant des comédies caustiques et humoristiques qu'il écrit depuis trente ans, Eric Fottorino, ancien directeur du quotidien le Monde, reprend sa plume de journaliste et publie son enquête sur les dégâts irrémédiables générés par la prolifération des éoliennes.

Tragédie en cinq actes, Mohican met en scène les Danthôme, des jurassiens qui cultivent depuis des générations leur ferme des Soulaillans.

- Déluge, premier acte, montre Brun, 76 ans, récapituler son existence qui en deux générations a transformé ce paysan en agriculteur adepte de la modernité (coopératives, engrais, rendements intensifs, tracteurs, syndicalisme agricole) puis en agricultueur (désherbants, fongicides, insecticides, fongicides). Suzanne, son épouse, est morte assassinée par les épandages qu'il a commis, juché sur son tracteur Little Boy, tel un pilote d'avion bombardant au napalm.

- Désert, décrit les effets mortifères de la politique agricole subventionnant les fermiers qui laissent en jachère leurs terres sans se soucier de la faim dans le monde et les ruine en imposant des prix de cession insuffisants. Asphyxié financièrement, Brun succombe au discours commercial d'un promoteur d'éoliennes avant de mourir d'un cancer.

- Destruction montre les bulldozers monter à l'assaut des Soulaillans, raser les sentiers et les haies, retourner les terres, couler des milliers de tonnes de béton, les grues dresser les pylônes, les nacelles et les pales, puis les câbleurs tirer les lignes électriques reliant les aérogénérateurs au réseau électrique. Chaque structure pèse 1200 Tonnes, écrase le sous sol, détruit les irrigations et assèche les nappes phréatiques. Les pales se révèlent être des armes de destruction massive pour les oiseaux, le bruit et le rayonnement des câbles électriques tuent progressivement la bétail et Mo, le fils de Brun voit ses vaches, ses moutons, mourir comme celles des voisins. Mo se révolte et aidé par son oncle, ancien soldat en Algérie, retrouve des caisses parachutées durant la guerre pour les résistants … « Le Mohican des Soulaillans » connait alors son heure de gloire.

- Délivrance permet à Monika, archéologue helvétique, de dévoiler les dessous des Soulaillans, de déterrer les traces laissées par dix mille ans de vie humaine, de révéler le travail multi-séculaire d'essartage des forêts, d'assèchement des marais permettant à des générations de Danthôme de passer de la cueillette et de la chasse, naturellement aléatoires, à la culture. Les trouvailles archéologiques rendent les Soulaillans inviolables et autorisent Mo à poursuivre, sur les pas de ses ancêtres, une agriculture biologique respectueuse de la nature, de sa préservation et de sa transmission aux générations suivantes.

- Demain (?), le cinquième acte, que l'auteur laisse au lecteur le soin d'écrire, voit Mo et Monika fonder une famille et naitre une génération assurant la pérennité des Soulaillans …

Cette tragédie, fort classique dans sa forme et ses évocations des Géorgiques de Virgile, m'a passionné et pas seulement parce que les éoliennes ont bousillé l'horizon de Baume Les Dames, paysage que je partage avec les Danthôme.

C'est, à ma connaissance, la première fois qu'un écrivain français, qu'un journaliste « de référence », montre concrètement les drames résultant des éoliennes qui sont tout sauf les innocents moulins à vent que nous promettent nos financiers et nos politiques qui projettent de déployer 36 000 aérogénérateurs sur nos terres et les mers du littoral en occultant leurs conséquences sur la faune, la flore, la population et le climat.

Inspiré par la nostalgie d'un Zola dans « La terre », la tradition d'un René Bazin dans « La terre qui meurt », la poésie d'un Jean Giono dans « Le chant du monde », Eric Fottorino réussit un roman magnifique et prophétique qui nous promet que Mo n'est pas « Le dernier des Mohicans » mais est le prototype du paysan de demain, garant d'un avenir frugal, naturel et sain.
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Comment rendre hommage à ce roman, à la hauteur des émotions que M. Fotorino a, grâce à son écriture, suscitées en moi ? Il m'aura fallu plusieurs jours après avoir refermé ce livre pour mettre mot sur le bouillonnement de souvenirs que ce récit a fait remonter en moi.
Secousse affective, mais aussi saisissement de colère et sentiment d'injustice devant la lucidité terrifiante portés par le regard de l'auteur sur le monde paysan et sur la nature en général.

C'est l'heure des comptes aux Soulaillans, mais il n'est pas seulement comptable. Une vie de labeur va s'achever, celle du père (Brun) agriculteur, ou plutôt, disait-on paysan de son temps...
La nouvelle de sa maladie s'accompagne de moments rétrospectifs sur sa vie grâce à la voix de feu son épouse qui retentit à ses oreilles dans ses nuits d'insomnie. C'est la voix de cette femme disparue, emportée par la maladie, la voix de Brun ce père veuf à l'aube de partir, et celle de Mo, leur fils, qui nous content leur histoire, celle d'une paysannerie française désillusionnée.

En se plaçant à hauteur de ses personnages, Éric Fotorino nous fait rentrer dans la famille, on s'assoit à leur table, on partage leur pain, leur fatigue, leurs peurs ; on comprend soudainement, (parce que ça nous est raconté comme notre grand-père le ferait), d'où l'on vient. Toute l'histoire qui nous a précédés, parce que la terre perdure, parce qu'elle est trait d'union entre les générations, parce qu'elle est léguée avec la charge d'être agriculteur.

J'ai été terriblement émue par ce roman. Bien sûr, il évoque l'écrasement et le délitement des exploitations à taille humaine, la chape de plomb sur les épaules de l'agriculteur de la productivité, érigée en valeur cardinale, induisant l'utilisation à outrance des pesticides et toute la "gangrène" qu'elle entraîne, course à la rentabilité, jusqu'à l'implantation d'éoliennes...
Mais si le tableau dressé par l'auteur est passionnant, même si parfois un peu manichéen, moi j'ai été emportée par la petite musique derrière les paroles : "Mohican" c'est l'histoire des hommes, c'est l'amour de leur travail, c'est l'ancestralité des gestes qui se transmettent. Oui, c'est une Histoire de transmission. Et j'ai revu mon grand-père. Non, pas paysan, bien qu'il vienne de ce monde là. Nous partions nous promener à travers champs, quand il venait à la maison pour Noël. Vous savez quand le ciel est bas et cotonneux, quand l'air froid est vif et brûle à chaque inspiration ; le croassement des corbeaux résonant curieusement dans un silence presque respectueux de la nature. Et mon papy marchait sans un mot. Mon papy avec son indéfectible chapeau. Il s'arrêtait de temps à autre, il regardait l'immensité du champs, qui avait été bien labouré après la moisson. Et soudain déclare : "C'est beau une terre bien entretenue et bien travaillée". Moi j'ai 14 ans, je me tais. Je ne comprends pas trop. Oui... Beau ? Une trentaine d'années plus tard, mon papy n'est plus là pour admirer les champs. A vrai dire, les champs eux aussi ont disparu derrière chez moi. Des lotissements ont été construits. On ne verra plus la biche en lisière de forêt le matin tôt en ouvrant les volets doucement. Mais j'entends toujours mon papy. Il m'a accompagné tout au long de ma lecture.
Merci M.Fotorino de m'avoir ramenée là-bas, merci car à force d'oublier, je ne me souvenais plus...

Mohican est un magnifique roman dédié à l'amour de la terre et au sens de la transmission. La relation père- fils y tient une place prépondérante et illustre une opposition générationnelle, fondée sur deux visions divergentes du métier d'agriculteurs. Face à une exploitation de moins en moins rentable, le père, malade, pense faire un dernier baroud d'honneur en laissant implanter des éoliennes sur ses terres: "Il doit croire qu'avec les éoliennes on va vivre dans la laideur. Il a tort. On va juste mourir en beauté.(P.66)
Les éoliennes ne sont que le symptôme d'un profond désaccord : quand l'un y perçoit l'innovation et la modernité, la rentabilité des énergies vertes, l'autre rétorque par la dévégétalisation, la fin du métier d'agriculteur et la soumission à EDF: "Quand notre exploitation sera traversée de routes qui mènent aux éoliennes, on sera une usine, une industrie, un sous-traitant EDF , tout ce que tu veux, mais sûrement plus des agriculteurs." (P.72)

Car la question est bien celle-ci : qu'est-ce qu'être agriculteur ?

Pourtant père et fils ont en commun de vouloir faire vivre leur terre. Mais faire vivre c'est faire perdurer, on ne peut pas toujours envisager sa terre à court terme et la vision de Mo, le fils, bouscule les certitudes paternelles d'avoir été un "bon" paysan. La voix de Suzanne, cette épouse disparue, donne corps à l'introspection de Brun, comme une conscience que l'on ne peut plus bâillonner : c'est elle dans des monologues nocturnes qui place Brun face aux conséquences de ses choix passés.
Et si la voix de Suzanne est très éclairante car sans hypocrisie sur l'impact d'une agriculture intensive, si celle de Mo est primordiale pour incarner une façon plus respectueuse de travailler la terre, celle de Brun est finalement celle qui m'a le plus bouleversée. Celle d'un homme au crépuscule de sa vie qui dresse le bilan de sa vie d'homme et de paysan.

La maladie amène le père à se raconter au fils, ces mots qu'on n'a pas toujours le temps de léguer à nos enfants, ces histoires qui nous ont bâtis comme nous sommes. L'émotion est dure quand le père raconte sa vie de misère, enfant, auprès de ses propres parents. Et on comprend mieux ses choix d'avoir cultivé à outrance, pour ne plus manquer :
"0n était pauvres et on avait peur. Pauvres comme tu n'imagines même pas. Une misère sans fond. La vérité c'est qu'on crevait de faim. Les récoltes couchées par la tempête pourrissaient sur pied. [...] Les hivers, on n'en voyait pas le bout. [...] Les femmes, on en faisait nos homme à tout faire. L'argent nous filait entre les doigts. Si le bois venait à manquer, on commençait à brûler nos meubles." (P.130)

• À travers les mots du père, se dresse douloureusement l'histoire d'une désillusion, celle des paysans. Ça aurait tout aussi bien pu être celle des mineurs qu'on poussa tels des bêtes de trait à produire toujours plus, après guerre, pour finalement réprimer (en 1948 particulièrement), leur mouvement de contestation dans la violence ingrate de ceux qui, après vous avoir flattés et exploités, vous reprennent tous vos droits.

C'est ce qui arriva au monde paysan :
"Nous avons été bien manipulés. D'abord il a fallu produire. Des tonnes de tout, des quintaux, des hectos. On aurait semé jusque sur le goudron si on les avait écoutés. On aurait coupé les arbres , on aurait même planté dans le creux des fossés. La force de frappe céréalière, c'était notre bombe atomique , l'arme alimentaire , que sais-je encore. Little Boy ! Mo n'a pas connu cet âge d'or, l'explosion des rendements qui nous remplissait d'orgueil . On achetait des machines toujours plus grosses . On arrachait les haies pour planter plus de blé encore, puisque le blé valait le prix de l'or. Je m'entends encore proclamer fièrement : "Je produis , donc je suis !" Les prix grimpaient jusqu'au ciel . On était les rois du monde , pas vrai? [...] On s'endettait sans compter. Les traites passaient à la banque comme dans du beurre, l'argent coulait à flots depuis Bruxelles. Puis un autre jour, les conseilleurs ont dit stop. Arrêtez de produire ! Rendez les champs à la nature que vous avez massacrée avec vos engins et vos engrais de malheur. Ayez la main verte. Et mettez vos terres au repos. Ça leur plaisait, cette image. Une grande banquise brune. Il fallait se tenir debout sur les freins, qu'on devait ronger, on a voulu nous tuer en plein élan. On a gelé nos terres. Et plus on les gelait, plus on touchait. Ils nous ont payés à ne rien faire, ne rien produire, à mourir sur pied. Voilà ce qui est sorti de leurs cervelles malades. Produire était devenu un gros mot. On voyait aux informations les paysans sans terre du Brésil et du Sahel. Et chez nous en ouvrant les volets on contemplait nos terres sans paysans." (P.66).

L'amertume de Brun est poignante, lui qui a cru toute sa vie qu'être paysan, c'était être la vestale du temple : le gardien et protecteur des terres, qui les valorise et les fait fructifier pour le bien de tous. Mais il réalise qu'il ne fut rien que le pantin de lobbys : hier ceux de l'agrochimie qui les ont empoisonnés et tari leurs sols, aujourd'hui ceux des fournisseurs d'énergie verte.
- "Un pantin sait bien faire quand on le tire par ses ficelles. Ils étaient de mèches avec les marchands de semence , d'herbicides et d'insecticides, et que sais-je encore, avec les marchands d'aliments, avec l'industrie et même avec les grandes surfaces, tu m'ôteras pas ça de l'idée. Ce petit monde a prospéré sur notre dos. Et nous , crédules comme pas deux, flattés d'être des entrepreneurs modernes et pas des péquenauds en gros sabots, on a gobé ces mirages. (P.98)

Mais à la fin sonne l'heure des comptes...

Mohican, c'est enfin, et peut-être surtout le roman d'un empoisonnement, un sombre gâchis chimique, celui des vies abîmées ou fauchées par cette course à la productivité.
"On accusait les herbicides. Certains d'entre eux ont été interdits depuis. Quand j'étais enceinte , tu les épandais tous aux Soulaillans, tous sans exception. [...] Je ne veux pas t'accabler , c'était ainsi . Tu t'es empoisonné tout seul, et nous avec." (P.75)

L'auteur ne juge pas, il recontextualise: comment en est-on arrivé à effectuer des épandages meurtriers (pour les agriculteurs et leurs familles, pour les habitants proches, pour les sols et la nature elle-même), le tout au nom d'un objectif louable : nourrir tout le monde... Peut-on justifier une horreur par une intention louable ?
"Je garde l'image de toi , de ton visage rayonnant , soulagé , un matin que tu avais pulvérisé tes produits au-dessus des Grands Champs. Tu venais de faire l'acquisition d'un petit ULM. Tu n'en revenais pas de l'efficacité de la vaporisation sur les grandes feuilles vertes des maïs. [...]
"j'avais l'impression d'être au Vietnam et de larguer du napalm." (P.76)

Bien que le dernier quart du roman s'appuie sur une "pirouette" favorisant un dénouement heureux, du moins pour cette exploitation-ci, il ne faut pas perdre de vue que ce récit est le douloureux émissaire d'un monde qui tend à disparaitre.

C'est un superbe tableau d'un monde fait d'hommes qui triment, durs à la tâche et avares de plaintes. Des taiseux rugueux de pudeur. "Brun parle mieux à ses vaches qu'à son fils. Mo en a pris son parti depuis longtemps, c'est ainsi et on ne le changera pas."(P.79)

Mohican dresse le portrait d'un monde qui est englouti : par une société bétonisée, par des macro exploitations qui "mangent les petits", par des lobbys et des politiques qui font la pluie et le beau temps sans considération pour ces petits exploitants et éleveurs frappés d'un sur-taux de suicide.

"Là où poussaient ses blés, un immense supermarché a surgi, avec parking à perte de vue, station-service et zone de stockage. Quant à la ferme des Mignots, à moins de trois kilomètres, la fin n'a pas été plus glorieuse. L'autoroute a tout dévoré. [...] Il aurait fallu que les prix du blé montent au ciel pour qu'ils résistent, aux Mignots." (P.100)

Je referme "Mohican" le coeur serré, un peu sonnée par tous ces passages emplis d'une telle vérité, une acuité sur ce métier, sur ce monde et sur les changements qui à travers ceux de la paysannerie, préfigurent ceux de toute une société et de ce que nous et nos enfants en feront.

"Paysan n'était pas un métier . C'était ce geste ancestral toujours recommencé. Se nourrir pour ne pas mourir . Se faire l'égal de Dieu en multipliant le grain qui donne le pain." (P.115)

N.B: Par une curiosité inhabituelle, je feuillette jusqu'à la dernière page du livre. Comme au cinéma, quand on attend un dernier petit clin d'oeil à la fin du générique, ce petit bonus que les premiers sortis de la salle, pressés, auront raté.
Et je constate, toute émue, que ce roman a été imprimé chez moi, dans cette petite ville charentaise où les terres arables disparaissent mais où les livres qui en parlent, fleurissent...
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Immédiatement , en lisant ce titre m'est revenue en tête la lecture du fameux et remarquable " Dernier des mohicans " de' Fenimore Cooper et ce retour incertain dans un passé , hélas déjà lointain pour moi , m'a particulèrement séduit .Si les deux principaux personnages ne sont pas de la tribu des fameux indiens , ils s'en rapprochent bigrement .Derniers représentants d'un monde rural en grande mutation , on va suivre avec eux et notamment Brun , le père ,le lent déclin d'un monde agricole sinistré . Avec Brun , c'est toute l'histoire de l'agriculture de ce dernier siècle qui ressurgit sous nos yeux , qui nous donne à voir ce que fut cette activité noble réalisée par des hommes fiers , durs au mal , durs en affaires , avides d'enrichissement personnel , de rachat de terres , de remembrements quitte à vouer leur âme au diable et se trouver fort dépourvu quand arrive cette bise nommée surenchère ...dans l'usage de produits infernaux , de rendements , de concurrence ....Quand arrive aussi l'heure du grand départ pour Brun qui , pour combler les caisses va se croire obligé de livrer son domaine aux rapaces chargés de " vendre " des éoliennes ....Et MO dans tout ça , l'amoureux des terres , de la terre , des bêtes et de la nature ....?
Ce roman trés riche , ce monde du Jura rude et parfois ingrat , traduit avec une incoyable finesse ces activités rurales en cours de démentèlement et même de mort programmée .
C'est trés beau , émouvant , terriblement bien raconté au point qu'on a l'impression d'être retransporté ( moi , en tout cas , au vu de mon âge ) dans le monde d'avant dont on ne dira pas , toutefois , s'il était mieux ou ...moins bien .Je pense aussi qu'il devrait beaucoup plaire à des lecteurs plus jeunes qui pourraient , dans ces trés belles pages , dans ces trés beaux paysages , retrouver un peu de leurs racines .
Voilà , chers amis et amies , mon point de vue sur ce roman qui n'est pas un cours d'histoire sociale des paysans , mais l'histoire de l'évolution d'une famille paysanne parmi tant d'autres et une belle réflèxion sur notre propre devenir .
Et puis , sous la plume de Fottorino , tout de même!!! .
Attendez vous à vivre plein d'émotions dans cette famille patriarcale où la transmission des biens n'est pas un vain mot ....
Je pars vers d'autres horizons , le vent souffle fort , la pluie cingle les carreaux , le canapé me tend les bras ...A bientôt .
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Que faire pour le bonheur des champs

En suivant une famille de paysans jurassiens, Éric Fottorino raconte les mutations de l'agriculture française depuis les années cinquante. Un roman qui fait suite à «J'ai vu la fin des paysans», récit-reportage publié en 2015 avec Raymond Depardon.

Brun Danthôme a 76 ans. Il aura passé toute sa vie dans sa ferme du Jura. «Il n'avait de rapport au monde qu'à travers ses terres, minces terres caillouteuses des hauteurs, fortes terres argileuses de la plaine. Sa raison de vivre était tout enfouie dans ces étendues fécondées qui portaient l'épi comme un destin vertical. Plus il se penchait sur ses sillons, plus il se sentait grand, utile, et somme toute heureux. (...) Labourer, semer, récolter, et recommencer, respirer le grand air, c'était sa vie, il n'en connaissait pas de meilleure.»
Seulement voilà, Brun vient d'apprendre de la bouche de son médecin qu'il était condamné, qu'une leucémie allait l'emporter, sans doute victime des produits chimiques qu'il épandait depuis des années, lui l'«apôtre de l'agriculture». Il va pouvoir rejoindre tous les morts de la famille, à commencer par son épouse Suzanne, morte très jeune après avoir toutefois «eu le temps de lui transmettre ce qu'elle aimait, ce qu'elle était, même si le temps fut trop court comme le sont toutes les vies quand on brûle de la passion de vivre.» Il laissera son domaine à son fils Maurice, dit Mo, qui a choisi pour sa part une autre agriculture. Une agriculture qu'il ne comprend pas, une agriculture qui ne se donne «plus la peine de remuer la terre, de casser les mottes, de déchaumer. C'était les nouvelles idées écologiques. du travail de sagouin. Il en avait mal au ventre.»
Alors, peut-être plus par provocation que par conviction, il va accepter l'offre qui lui est faite d'installer des éoliennes sur son domaine. Mo n'aura qu'à se débrouiller avec cette énergie verte et encaisser la somme rondelette qui lui est promise, même si bientôt plus personne ne reconnaitra les Soulaillans: «Mon père ne veut pas se l'avouer, pense Mo, mais nous sommes déjà morts, et lui un peu plus que les autres. Les éoliennes, c'est la dernière arme qu'ils ont trouvés pour nous éliminer, nous les paysans. Quand le béton aura éventré nos terres, quand nos paysages seront devenus des usines en mouvement, nous aurons disparu à jamais.»
On l'aura compris, cette histoire de succession permet à Éric Fottorino de retracer l'histoire de nos campagnes. de ces paysans qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale et à l'aide du plan Marshall, ont cru à leur mission de nourrir la planète et de produire toujours plus, quitte à utiliser des tonnes de produits chimiques, fongicides, herbicides, insecticides et autres pesticides. de ces paysans qui vont voir au fil des ans leurs revenus se réduire comme peau de chagrin et les politiques agricoles successives leur enjoindre de changer de modèle, de produire moins mais mieux, de faire plus écolo. de se transformer en producteurs d'énergie soi-disant verte.
Construit en quatre parties, déluge, désert, destruction et délivrance, le roman dresse un constat sans concession de la vie dans les campagnes. Un sujet que le romancier et directeur de presse connaît fort bien, puisqu'il a commencé sa carrière de journaliste comme spécialiste des matières premières et publié un essai remarqué en 1988 intitulé le Festin de la Terre. Mais c'est après avoir parcouru la France avec le photographe Raymond Depardon en 2015 que l'idée du roman a germé. Pour présenter J'ai vu la fin des paysans, Éric Fottorino rappelle que l'agriculture fut la première grande rubrique qu'on lui confia au Monde au milieu des années 1980. «J'y ai appris la France vue du sol, avec ses traditions et ses élans de modernité, ses gestes ancestraux et ses révolutions silencieuses, ses bouleversements profonds alliant l'exode rural à une productivité si performante qu'elle fit craindre pour l'environnement.»
Après Nature humaine de Serge joncour, couronné l'an passé par le Prix Femina, le sujet a trouvé en cette rentrée littéraire deux autres beaux ambassadeurs, Corinne Royer avec Pleine terre et Matthieu Falcone qui publie
Campagne. Tous donnent raison à Gogol, qui proclamait dans Les âmes mortes qu'«il est démontré par l'expérience des siècles que, dans la condition d'agriculteur, l'homme conserve une âme plus simple, plus pure, plus belle et plus noble.»


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critiques presse (2)
LeMonde
13 octobre 2021
Le nouveau roman de l’écrivain et journaliste relate la radicalisation d’un fermier face à l’industrie éolienne. Tendre et lucide.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaCroix
05 octobre 2021
Éric Fottorino signe un roman vibrant sur une famille du Jura au bord de la faillite qui cède aux sirènes des éoliennes.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (69) Voir plus Ajouter une citation
La combe des Soulaillans, c'était aussi des vergers, des pâtures et des bois, une sombre armée de sapins, des taillis et des flancs de coteaux ouverts à tous les vents d'un coup de hache, un bouquet de mirabelliers, des rangées de merisiers, un potager généreux pour ne jamais voir tomber dans les assiettes un triste légume d'artifice. Sans oublier le bâti avec le moulin à meule de pierre, de profonds hangars, le pressoir et le cuvier à vendanges. Et surtout le logis massif couvert de tuiles d'épicéa et d'épais bardeaux descendant bas sur les façades. Il fallait ça pour contrer la bise de Sibérie ou les bourrasques tourbillonnantes de la traverse enflée de pluies océaniques. C'était le logis ancestral des Danthôme protégé par son large toit faiblement incliné qui supportait le poids de la neige six mois l'an. Et que perçait son tuyé noir en chapeau pointu - on disait le "tué" -, la vaste cheminée cathédrale au coeur du foyer où Brun fumait ses saucisses et ses viandes...
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Année après année j'ai vu les miens éclater la terre, labourer, semer, cultiver, récolter et recommencer, planter les blés de printemps mener les bêtes aux champs, perdre le sommeil aux vêlages et perdre goût à la vie dans les hivers sans amis qui vous dévorent tout cru, dans les saisons sans pluie et les étés sans air. Ne jamais se plaindre était la bonne mesure pour accepter leur sort. Quand ils parlaient de la pluie et du beau temps c'était le contraire de parler pour ne rien dire car du sec ou du mouillé dépendait leur vie tombée parfois plus bas que terre, comme les prix de leurs récoltes. J'ai appris depuis ma jeunesse ce que décembre défait, le monde qui se fige jusqu'aux premiers soleils d'avril. On entend alors le chant clair de l'eau qui ruisselle. Les stalactites qui tombent du bord des toits et des branches. L'existence repart une fois de plus au moment où on allait ne plus y croire.
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Pendant ce temps, le chantier de la dernière éolienne bat son plein. Le convoi exceptionnel chargé des structures lourdes de l'engin a déposé les derniers tronçons de métal, les structures d'acier, quarante tonnes bien pesées qui s'ajoutent aux matériaux d'excavation, en particulier aux quatre cent vingt-cinq mètres cubes de béton.

`Sur un site spécialisé, Mo a appris que l'éolienne plus haute que les autres était venue d'Allemagne à moindre coût car son constructeur ne parvenait pas à la fourguer dans son pays, du fait de résistances locales.

En additionnant tous les matériaux nécessaires à ce troisième dispositif, huit cents tonnes de fondations, cinquante tonnes pour le rotor, moyeu et pales compris, quatre-vingt-dix tonnes pour la seule nacelle, et cent quatre-vingts tonnes pour le mat, la charge au sol frôle les mille deux cents tonnes.

De quoi faire basculer l'équilibre de son monde, pense Mo. Le mille feuille minéral qui gardait l'eau près de la surface a succombé sous le mastodonte de métal et ses lourdes fondations.

Ce que la nature a mis une étemité à organiser dans un réseau fragile de roche perméable, les promoteurs de l’éolien l'ont écrasé sous des amas de ciment, de ferraille et d'acier.
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À l’approche des audiences, une association antiéoliennes a fait entendre sa voix. Elle s'appelle Le Vent des Combes. Ses critiques frappent l’opinion qui commence à se mobiliser autour des nuisances causées par l'installation des mats. Pollution esthétique, pollution sonore et lumineuse, risques pour la faune sauvage, migrateurs et oiseaux de nuit, repoussoir à touristes, moulin à maux de tête, eldorado pour promoteurs privés : les griefs s'accumulent.

Les enquêtes de terrain se multiplient dans les départements voisins. Le progrès a soudain une sale tête. Surtout quand les militants des vallées rebaptisent les éoliennes pour ce qu'elles sont, des « aérogénérateurs industriels » Élus et experts ont beau appeler à la raison, la parole publique est suspecte. On ne sait plus trop si le sifflement des pales est inoffensif, si ce ciment et cette ferraille enfoncés dans la terre ne causeront pas des dégâts irréversibles.

Dans vingt ans, le Jura ressemblerat-il au sinistre désert d'éoliennes de Californie ?
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(Les premières pages du livre)
Déluge
Brun sortit une gauloise de son paquet fripé. Il la laissa pendre à ses lèvres et oublia de l’allumer. Il resta un instant hébété à contempler la place du foirail. Les jours sans marché, le bourg était mort. Comme lui bientôt, pensa-t-il. La voix du docteur Caussimon résonnait dans ses oreilles.
— Brun Danthôme, s’était-il écrié en martelant son nom. Pourquoi t’es pas venu me voir avant ?
— Avec les moissons, les foins, les champs à racler pour les semis, j’ai pas eu une minute, s’était défendu Brun.
— T’aurais dû !
La voix colère du médecin trahissait son inquiétude. Maintenant c’était trop tard. Sauf miracle. Brun avait bien ressenti des coups de fatigue à la fin de l’été. Mais il n’était pas homme à s’écouter. Il s’était dit qu’une vieille carne comme lui devait se donner des coups de pied au derrière pour avancer. À soixante-seize ans, il gardait le feu sacré. Une vie de peine sans se lamenter jamais. De quoi se serait-il plaint, puisqu’il tirait sa pitance de la terre chaque jour que Dieu lui donnait, même s’il n’y croyait guère, au grand ordonnateur du ciel. Un soir pourtant, au retour des champs, le paysan s’était trouvé mal. Son fils Mo l’avait aperçu qui titubait sur le chemin de la maison. Il l’avait soutenu jusqu’à la cuisine, soupçonnant Brun d’avoir forcé sur la bouteille. Mais non, son haleine ne sentait rien que l’anis d’un grain coincé entre ses dents. Il avait grogné que la tête lui tournait. Mo l’avait aidé à se coucher sur son lit et le lendemain il s’était levé à quatre heures pour les bêtes, comme d’habitude. Il y avait eu d’autres signes encore, des migraines, des vomissements, le cœur qui s’emballait sans raison certains soirs, une sensation d’abattement, mais jamais assez pour pousser Brun dans la salle d’attente de son ami Caussimon qu’il fournissait en volailles et en lait depuis des lustres. Deux semaines plus tôt, l’alerte avait été plus sérieuse. Le paysan était parti dans une toux terrible qui avait manqué de l’étouffer. Il s’était dirigé à grand-peine jusqu’à l’évier, et là une gerbe de sang avait jailli de sa gorge. Devant cette coulée rouge sur l’émail immaculé, Brun avait eu un mouvement de recul mais sans la moindre peur. La mort, il l’avait souvent croisée sous le sabot d’un taureau, méchant comme tous les taureaux. Ou sous les roues d’un tracteur.
C’était autre chose, ce spectacle. L’annonce d’un danger qui dépassait sa modeste personne pour viser l’humanité tout entière dont il n’était qu’un pion ridicule. Ce n’est pas le moment de calancher, avait pensé Brun, saisi par ce tableau expressionniste qui s’effaçait dans l’évier en longues arabesques grenat sous le jet crépitant du robinet. Il se donnait encore une paire d’années avant de laisser les Soulaillans à Mo. Presque cinquante hectares de champs, de prairies de fauche et de vignes, ça faisait parler dans ce Jura morcelé, même si la terre était ingrate et caillouteuse, et toujours plus basse avec le temps.
La combe des Soulaillans, c’était aussi des vergers, des pâtures et des bois, une sombre armée de sapins, des taillis et des flancs de coteaux ouverts à tous les vents d’un coup de hache, un bouquet de mirabelliers, des rangées de merisiers, un potager généreux pour ne jamais voir tomber dans les assiettes un triste légume d’artifice. Sans oublier le bâti avec le moulin à meule de pierre, de profonds hangars, le pressoir et le cuvier à vendanges. Et surtout le logis massif couvert de tuiles d’épicéa et d’épais bardeaux descendant bas sur les façades. Il fallait ça pour contrer la bise de Sibérie ou les bourrasques tourbillonnantes de la traverse enflée de pluies océaniques. C’était le logis ancestral des Danthôme protégé par son large toit faiblement incliné qui supportait le poids de la neige six mois l’an. Et que perçait son tuyé noir en chapeau pointu – on disait le « tué » –, la vaste cheminée cathédrale au cœur du foyer où Brun fumait ses saucisses et ses viandes s’il n’envoyait pas y brûler des branches poivrées de genévrier qui ressuscitaient les grandes flambées de son enfance. Quant aux granges et à l’écurie, on les avait directement reliées à l’habitation, une ruse contre le général Hiver et ses furies glacées.
À l’inventaire figuraient encore les chais, l’ancienne briqueterie au bord de l’eau, un chevelu de rus et de ruisseaux, un bout de rivière transparente où Brun plongeait un fil le dimanche – brochet au coup du matin, truite au coup du soir. Et les animaux qui faisaient le capital sur pattes de la propriété. Les six laitières, les chevaux de trait, l’âne de Jérusalem, une basse-cour piaillante, coq, poules et oies, deux braves chiens qui valaient bien un vacher. Les Soulaillans c’était une manière de vivre, au pied des montagnes en pente douce et de leurs croupes gentiment galbées, dans un lacis de vallées et de plateaux empilés qui finissaient par aller chercher le ciel sans y penser.

Un mois plus tôt, le docteur Caussimon avait longuement ausculté Brun. Il n’avait rien trouvé d’autre qu’un début de vieillerie mais il avait insisté pour que le paysan fasse des analyses. Les résultats venaient de tomber. Brun ne bougeait pas, essayant de desserrer l’étau qui comprimait sa poitrine. « Leucémie », venait de lui asséner Caussimon. Brun avait encaissé. Où avait-il attrapé cette vacherie ? Le médecin avait haussé les épaules. « Va savoir. Les analyses disent que tu es malade. Elles ne disent pas pourquoi. » C’est seulement après que Brun avait demandé s’il était foutu. Son ami avait baissé la tête sans répondre. Il remplissait une ordonnance tout en appelant un confrère à l’hôpital de région, à quatre-vingts kilomètres de là. Quand il eut raccroché, il lui avait obtenu un rendez-vous pour le milieu de semaine.
— Je ne suis pas un spécialiste, avait fini par articuler le docteur. Je crois que tous ces produits que tu balances sur tes terres ont fini par te jouer un sale tour. On a connu plusieurs cas ces derniers mois. Des gars comme toi qui envoient de la chimie bras nus depuis qu’ils ont quatorze ans, sans combinaison ni rien, avec des gants déchirés ou pas de gants du tout, et des masques comme des passoires quand ils en mettent. À la longue, ça peut faire des dégâts. Certains sont touchés à la vessie, d’autres à la prostate, aux bronches ou au cerveau. Toi c’est le sang.
Brun s’était levé. Le docteur Caussimon lui avait glissé qu’il l’aiderait pour que sa leucémie soit reconnue par la Sécurité sociale comme une maladie professionnelle. Brun avait remercié, l’œil vague, absent à lui-même.
Il marcha quelques pas jusqu’à sa camionnette qu’il avait garée devant la quincaillerie. Un jour normal il aurait poussé la porte pour embrasser la Jabine derrière son comptoir. Ils auraient parlé de tout et de rien, du travail des champs, du ciel un peu trop bleu, du manque de pluie, du mariage de sa nièce avec un jeune de la ville, l’avis était punaisé près de la caisse pour un vin d’honneur à la mairie – tu viendras j’espère ? Elle lui aurait montré ses articles en réclame, ses nouvelles séries d’outils, des cruciformes inusables, et ses bobines de ficelle agricole en sisal. Cette fois il s’engouffra dans sa camionnette sans un égard pour la vitrine. Une pensée le harcelait. Depuis toujours ses bidons de chimie servaient à éliminer les parasites. Le parasite, à présent, c’était lui.
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