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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Imaginez que « Les mots et les choses » fut le best-seller de l'année 1966. Qui peut prétendre à cette réussite, de nos jours, sinon Christophe André ou Frédéric Lenoir dans la catégorie des essais ? du premier aux seconds, c'est un gouffre de connerie qui s'est creusé. Un vide de la pensée. Peut-être cette fameuse analytique de la finitude dont nous parle Foucault et qui, pour s'être éprouvée jusqu'à ses limites les plus extrêmes, a fini par retomber en demi-molle souriante.


Donc, Foucault examine scrupuleusement les quelques siècles passés en Occident du point de vue de l'évolution des structures épistémologiques. Ce n'est pas une histoire de la pensée mais une archéologie du savoir : au lieu de suivre le développement des connaissances, il s'agit de mettre à jour les conditions de possibilités des discours qui se sont formés (les épistémès). Foucault dégage ainsi trois épistémès et remarque que le changement majeur intervient entre l'âge classique et l'âge moderne, aux environs du 17e siècle. Alors qu'à l'ère classique, le langage et les mots étaient liés par le prisme de la représentation, sans ambiguïté ni équivoque, l'âge moderne se définit par leur éloignement progressif puis par leur séparation : l'ordre a succombé à l'historicité. Cette rupture met à jour de nouveaux domaines de réflexions. C'est ici qu'apparaît l'homme comme objet de réflexion dont peut s'emparer la conscience épistémologique. Deux nouvelles formes de pensées apparaissent : la critique kantienne qui cherche à former une nouvelle synthèse possible entre les représentations, et l'Idéologie qui interroge quant à elle les conditions qui permettraient d'établir un rapport entre les représentations du côté de l'être qui s'y trouve représenté. Cette dualité est rapidement dépassée et remplacée par un domaine de recherches variées, les sciences humaines.


Voilà que l'on entend ricaner au fond de la classe. Ceux qui se réjouissent déjà de formuler leurs objections en logorrhée gerbante sont priés de fermer leur gueule. Non, Foucault ne tombe pas dans le piège et n'essaie pas de ressasser le merdier habituel selon lequel les sciences humaines seraient vraiment des sciences. « Inutile donc de dire que les « sciences humaines » sont de fausses sciences ; ce ne sont pas des sciences du tout ; la configuration qui définit leur positivité et les enracine dans l'épistémè moderne les met en même temps hors d'état d'être des sciences ; et si on demande alors pourquoi elles ont pris ce titre, il suffira de rappeler qu'il appartient à la définition archéologique de leur enracinement qu'elles appellent et accueillent le transfert de modèles empruntés à des sciences ». Voilà qui met fin aux débats stériles. Mais les sciences humaines ont une qualité que ne possèdent pas forcément toutes les autres : celle de vouloir se démystifier sans arrêt. Leur remise en question perpétuelle se fait par le prisme de l'histoire et de l'inconscient, ce qui a donné lieu à l'émergence de ces variétés de discours que sont l'ethnologie et la psychanalyse. Toutefois, si leur objet d'étude est cela même qui constitue la méthode de remise en question des sciences humaines, alors elles se constituent en contre-sciences : plutôt que de former un savoir sur l'homme, elles le font disparaître en remontant vers les raisons de sa constitution comme objet de savoir. Notons ici que Foucault envisage la psychanalyse du point de vue de son objet alors qu'il s'agit d'une forme de discours qui, en tant que telle, marque encore une rupture d'avec les formes précédentes de discours. Mais ceci n'est ici point noté.


Le point nodal de l'intrigue reste quand même cette découverte de l'homme, non pas comme résultat d'une reconnaissance de notre nature spécifique d'être humain mais comme aboutissement de processus historiques particuliers. C'est pour cette raison qu'une technologie de pouvoir s'est formée dans la continuité de ces processus historiques, faisant germer l'illusion d'une subjectivité qui serait la source de ces comportements, alors que la maîtrise de ceux-ci serait le résultat de l'exercice d'une forme de pouvoir sur cette prétendue subjectivité. On comprend alors mieux pourquoi toute l'oeuvre de Foucault s'est ensuite articulée sur cette question : comment le gouvernement de soi et (surtout) des autres a-t-il nécessité la production d'une vérité du sujet ?

Suivant Freud, il me semble plus juste de dire que, la société procédant du sujet de l'inconscient, les technologies de pouvoir tentant de maîtriser le sujet ne sont que le troisième temps d'une dialectique qui s'ignore en ce qu'elle croit en être le terme initial, lorsqu'elle n'en est que le saisissement manqué.

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"Les mots et les choses" entend présenter les structures sur lesquelles s'est développée toute la pensée occidentale depuis la Renaissance et dont l'aboutissement est la pensée moderne, caractérisées par la naissance des sciences humaines. Michel Foucault propose trois grandes périodes et deux bouleversements qui affectent particulièrement la manière dont le langage a été perçu.

Jusqu'à la Renaissance, le langage est inextricablement lié aux autres choses du monde. L'épisode de Babel ayant détruit la clarté du langage de la nature, l'homme essaie de le retrouver par les signes que portent les choses et dont les mots font partie. le mot et la chose se confondent, et dire, c'est convoquer la chose, d'où les magiciens et les formules magiques.

Au XVIIème siècle, Descartes introduit la notion de hiérarchie entre les choses par la rationalité tandis que Cervantes montre que les mots ne sont que des objets vides s'ils ne sont pas mis en rapport avec ce qu'ils représentent : Don Quichotte confond le mot et la chose, mais si le mot est resté, la chose a disparu. le monde d'Amadis de Gaule peut encore se dire, mais il ne représente plus rien. Dorénavant, on cherche ce en quoi le langage représente le monde et ce goût de l'ordre abouti à la Grammaire, mais aussi à l'histoire naturelle et à l'analyse des richesses. On rêve de dire le monde d'une manière ordonnée, sous la forme d'un Discours (qui mène à l'Encyclopédie), d'un tableau du monde vivant (la taxinomie) ou de valeurs (le mercantilisme).

Mais cent cinquante ans plus tard à peine, patatras, voilà que l'on découvre que le monde ne peut être dit uniquement par le biais de la représentation, car certains phénomènes se déroulent à l'intérieur des domaines du savoir. Ainsi, les mots présentent des similitudes entre eux et entre les langues, les organes ont des fonctions qui s'adaptent à l'environnement et se développent eux-mêmes selon leurs propres schémas, et le travail a une valeur qui n'est pas fixe mais dépend de son mode d'organisation. le temps s'insinue dans le concept de l'Ordre qui se change alors, à la fin du XVIIIème siècle, en une quête de l'Histoire. Désormais, on cherche la vérité des choses en elles-mêmes, on creuse et on remonte le temps, on ne se contente plus de comparer les choses entre elles. La conséquence sur le langage est qu'il est maintenant considéré comme totalement autonome, sans lien avec ce qu'il représente. C'est la naissance de la philologie et de la littérature, tandis que la biologie remplace l'histoire naturelle et l'économie politique l'analyse des richesses. Mais tandis que la biologie s'unifie sous le concept de la vie et l'économie sous celui de la production, le langage, lui, se disperse en d'innombrables langues et de représentations du monde.De plus, dans cette épistémè moderne, la source de toute connaissance est maintenant l'homme. C'est aussi un objet de savoir : puisqu'il dit le monde et qu'il s'y trouve, il est à la fois objet et producteur de savoir : quelle est sa place, quelles sont ses limites à comprendre le monde, comment se le représente-t-il ? Voilà que naissent les sciences humaines.

Nous sommes encore aujourd'hui dans ce monde moderne et nous tournons en rond. Car tant que la place de l'homme reste incertaine, les sciences humaines, qui ne sont ni illusions, ni sciences, mais représentation du savoir différente des sciences, le restent aussi, et l'instabilité règne. Pour dépasser nos achoppements, il faudrait que nous trouvions un moyen de dépasser la conception de l'homme comme caractérisé par cette ambivalence. Nietzsche avait pensé la mort de l'homme et l'invention du surhomme. Au sujet du langage, c'est peut-être la linguistique qui remplacerait la philologie. Quoi qu'il en soit, l'homme n'est pas immortel et il suffirait d'un autre mouvement de la pensée pour que, comme l'histoire naturelle et l'analyse des richesses, les sciences humaines disparaissent à leur tour et, avec elle, la notion de l'homme.

On ressort bien évidemment très enrichi de cette lecture épistémologique et on songe que la rédaction du texte remonte à cinquante ans, ce qui donne à notre épistémè moderne environ deux siècles, ou cinquante ans de plus que l'âge classique tel que le décrit Michel Foucault... Peut-être cet âge à venir qu'il prévoyait se met-il en place ? On note que la génétique a remplacé la biologie et que l'on évoque l'intelligence artificielle... on note encore que nos sociétés de services ont certainement dû (mais je ne voudrais pas trop m'avancer....) modifier une conception de l'économie basée sur la production et le travail (revenu universel ?). du côté de la linguistique, je ne sais pas, si quelqu'un a une idée. Foucault n'est plus là pour nous dire ce qui se passe, mais d'autres peut-être y songent-ils ?...
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