Le dernier fleuveHélène FrappatActes Sud
roman, 236p, janv. 2019
C'est l'histoire étrange, et captivante, voire qui hypnotise, de deux morceaux d'homme, qui portent deux morceaux de prénoms, Mo et Jo, dont l'un est déjà responsable, âgé de 10 ans, une mère pour son jeune frère de 5 ans, à qui il chante une berceuse aux sonorités inouîes, qui sert de gri-gri, de sésame à l'aventure, de compagne d'enfance.
C'est le plus jeune qui décide de rester au bord du fleuve sans nom, malgré l'odeur qui a une couleur, le jaune. Il a besoin d'un lieu de séjour. D'où viennent-ils, ces enfants à qui la mère a dit d'obéir au fleuve ? le lieu n'est pas vierge, il a déjà ses destructeurs, les arbres sont coupés, et il est peuplé. C'est la Belle Dame qui leur donne à manger, et qui leur fait l'école, qui leur apprend indirectement l'élan de la vie ; c'est la sorcière, qui connaît les plantes, et qui tient par l'alcool et son obstination à préserver son île, et qui brûlera avec elle ; c'est la fillette sans nom, enfant-poisson, qui leur enseignera le fleuve et la pêche, c'est une famille-pieuvre au langage inouï qui sépare la vie de la mort, c'est une famille sans mère qui se dispute, c'est un chien qui leur fait voir la mort. le fleuve, quand on le remonte, se hérisse de falaises où se terrent des gens affolés.
C'est une espèce de conte cruel, un univers de merveilles, un rêve continu, qui montre un endroit dangereux et superbe à la fois, que les enfants apprivoisent tout en se fortifiant. le fleuve est-il le même ou bien un autre, source de vie ou péril de mort, n'est-il pas une tombe et un endroit de purification ? Il est une école bien plus stimulante qu'une salle où l'on s'enferme, où le corps ne trouve pas à s'employer, où l'on n'expérimente pas, où la rencontre avec le lézard est impossible. Il est un passeur.
Hélène Frappat réalise un tour de force en décrivant ce fleuve toujours changeant et la succession des jours et des saisons qui voient des enfants prendre des centimètres, de la force dans leurs corps, mûrir, connaître l'émoi de l'amour, souffrir le sentiment d'être volé. Elle est incroyablement juste quand elle fait parler le plus jeune frère.
le fleuve est en crue, il faut partir, pour les garçons, la destination est la mer, le large, le libre ; la fille-poisson les accompagne au prétexte qu'elle connaît le fleuve. L'aîné chante une ancienne chanson de sa mère, comme un appel de sirène...
Hélène Frappat m'avait marquée lors de son passage à La Grande Librairie. C'est vrai qu'elle a quelque chose. Je recommande son livre particulier.