« Nowhere ! »
Nulle part , Babelio a disparu, dans le brouillard, tout un week-end sans le réseau, deux jours en introspection, condamné à rester en apnée avec
Pete Fromm.
Après la tempête de vendredi, le vent s'est calmé, mais pas l'angoisse.
La rigueur et la logique mathématique se sont transformées en recherche philosophique. Les jumeaux al et Trig – Algèbre et Trigonométrie – en arrivent à douter de tout, plus de rationalité.
Leur père les a menés en bateau, à l'approche de l'hiver, au Canada, au milieu de nulle part. Un ultime périple en canoë, sans la mère, mais avec l'immensité des lacs qui se succèdent, un pour chaque étape de leur propre vie, à la recherche des souvenirs en commun.
Oui, mais la mémoire du père semble défaillante, le voyage est flou, même avant l'arrivée du brouillard.
Que des bribes de souvenirs, qui apparaissent et puis s'échappent, jusqu'au moment où ça bloque. Figé, avec le froid qui s'intensifie, la neige qui arrive, pour niveler le paysage et faire disparaître les détails.
Je relance Babelio, ça rame là aussi, des coups de pagaie dans le vide, pas de connexion, la petite boule qui tourne en rond, à la recherche des amis, les autres, qui font sans doute la même chose, perdus dans leur lecture, à essayer de ne pas perdre le fil.
Il n'y a plus qu'à attendre, ça reviendra forcément, patience et longueur de temps, maintenir le cap, le site est en maintenance, quelques heures de résistance, pas plus, ça arrive, un bug, juste trouver la faille, pour reprendre le parcours, immuable, vers l'avenir.
Mais un matin, plus que deux, l'un d'entre eux a disparu, que s'est-il passé ? Aucune trace, impossible de savoir où chercher, dans la blancheur immaculée. Les deux sont acculés, doivent-ils continuer ? Impossible de rester, ça ne sert à rien, il faut bouger pour survivre, le gel s'est encore accentué. Mais la nuit, les souvenirs reviennent, l'impensable, l'innommable, la pensée se fige elle aussi.
Le site devait rouvrir en fin de soirée, l'attente se fait crainte, puis incompréhension, grosse panne, de mémoire, la fatigue se fait sentir, attendre jusqu'au lendemain, neuf heures, c'est promis, ça ira mieux demain.
Les jours passent, les recherches sont lancées, mais le plafond est trop bas, impossible de décoller, les deux se retrouvent, comme avant, ne font plus qu'un. Seuls dans l'immensité vide, pas un chant de huard, juste le blizzard, et le cafard. Ne pas se séparer, lutter jusqu'au bout, retrouver le parcours, de leur propre vie, à défaut de se rappeler de chaque lac, celui-là n'avait pas de nom, le lac de… nulle part.
C'est reparti, c'est réparé, les Babeliotes sont connecté(e)s, les avis sont partagés, la vie reprend, comme avant.
L'hélico a pu décoller, les corps seront réchauffés, mais l'un sera repêché, trop tard pour sauver son âme, le passé décomposé, à jamais.
Le canoë, c'est pas gai, ça rame, ça bloque. Heureusement, il y a les portages, pour dévier de sa route, et éviter les écueils, de la vie.
Le monde de
Pete Fromm, unique, décalé.
Celui du réseau, utile, pour témoigner.