Encore une fois, je suis honorée et particulièrement touchée que
Philippe Frot me confie l'un de ses romans pour lecture et avis.
Ses histoires illustrent toujours des thématiques très actuelles et particulièrement pertinentes…
Mes vieux amants, son septième livre, nous entrainent dans le quotidien du personnel de direction d'un EPAHD et explore les problématiques de la fin de vie.
Une maison de retraite utopiste qui bouscule les conventions habituelles de gestion des coûts et de rendement et qui veille à créer un environnement presque familial pour ses résidents…
Un responsable du personnel droit dans ses bottes, humain, à l'écoute…
L'arrivée de deux nouveaux résidents, des octogénaires aux personnalités et aux parcours opposés qui vont s'y rencontrer et vivre une belle histoire d'amour…
Les affres de la maladie…
Des choix risqués…
Le personnage principal s'exprime à la première personne et nous entraine à sa suite dans deux temporalités. Il est en prison et attend son jugement pour des actes que nous découvrirons progressivement. Les chapitres alternent entre le présent de l'incarcération puis du procès et le récit des évènements passés qui l'ont amené là où il en est aujourd'hui…
J'ai eu un peu de mal à m'attacher à Fabrice… Je le trouvais un peu trop entier, très chevaleresque. Son rapport à la paternité et à la stérilité, une digression en marge de l'intrigue principale, me dérangeait un peu ; selon moi, son caractère profondément altruiste s'accordait mal avec ses décisions en la matière. Ainsi, capable de recréer une ambiance quasi familiale dans la maison de retraite où il travaille, il réfute complètement l'idée d'une filiation adoptive… Sans doute est-ce un sujet qui me tient trop à coeur… Passons !
La position de son épouse m'a semblé peu claire. À la fois, elle ne semble pas être au courant du plan prévu et pourtant, elle laisse son mari libre de ses choix…
Clovis et Madeleine, les deux octogénaires amoureux sont particulièrement touchants. En même temps, comme bon nombre d'anciens, ils deviennent très égocentrés : ce qu'ils demandent à Fabrice relève de l'indicible et de l'impossible et aura de très lourdes conséquences humaines. À travers leur histoire,
Philippe Frot nous parle avec humanité et sincérité d'un sujet tabou : l'amour et les rapports physiques des personnes âgées… Il le fait avec tact, sans faux-fuyants.
La maison de retraite, elle-même, est assez peu réaliste, relevant carrément de l'utopie : liens professionnels vraiment trop beaux pour être vrais, osmose parfaite, respect mutuel, absence de rapports hiérarchiques, accueil des nouveaux arrivants soumis aux votes du personnels et des résidents…
Par ailleurs, je trouvais Fabrice, ainsi que son directeur, trop invasif et, paradoxalement, trop paternaliste vis-à-vis des résidents placés sous sa responsabilité ; certaines règles de cet EPAHD m'ont paru relever de l'ingérence la plus totale (téléphones portables confisqués dans la journée, par exemple !?)…
L'univers carcéral est dépeint avec un certain réalisme. L'auteur parvient à nous montrer les conditions de détentions et les conséquences d'une mise en examen pour l'entourage du prévenu, psychologiques, morales, économiques…
Avec le temps, au gré des romans lus depuis un peu plus de quatre ans, je me suis accoutumée à l'écriture parfois brutale de
Philippe Frot, à quelques lourdeurs dans le propos, à des tournures récurrentes qui m'agacent un peu... En outre, il use et abuse de l'imparfait du subjonctif ; c'est déroutant au premier abord, mais on s'y fait vite en le lisant. Ainsi que je l'ai déjà dit et écrit plusieurs fois dans mes gloses, il a le don de faire de ses défauts une patte personnelle, une marque de fabrique, un style qui lui appartient et qu'il peut revendiquer parce que cela fonctionne plutôt bien…
Certains détails sur ses personnages sont inspirés de son vécu : le gardien de la maison de retraite sympathise avec un ancien entraineur de boxe, Clovis a été boulanger-pâtissier…
C'est une écriture virile, efficace, qui ne mâche pas les mots ; si c'est parfois un peu excessif, c'est toujours sincère et le récit touche et émeut autant qu'il déconcerte et provoque. Parfois, je constate un excès de pathos ou de bons sentiments mais, avec
Philippe Frot, ce qui me déplait souvent par ailleurs chez d'autres parvient, paradoxalement, à me garder concentrée. J'ai manifestement signé avec lui plus qu'un pacte de lecture.
Ici, la prise de position de l'auteur sur des sujets difficiles est sans équivoque, courageuse et assumée. Chacun(e) se positionnera (ou pas) après cette lecture…
La couverture est bien choisie : un vieux couple qui poursuit son chemin au-delà de la mort, mais de part et d'autres d'une double ligne continue… Tout un symbole !
Pour ma conclusion, c'est à
Philippe Frot que je vais m'adresser : continue Philippe à nous raconter des histoires qui poussent à la réflexion, qui nous placent devant les ambivalences de notre société. Ton franc-parler, ton style brut et sans détours, tes convictions, ta sincérité portent haut et fort tes valeurs… Tu sais, à ta manière, détourner tes imperfections pour qu'elles habillent tes causes de réalisme et de vérité.
Un auteur à découvrir, vraiment.
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