Citations sur Cent ans de solitude (446)
voyant Remedios-la-belle lui faire des signes d’adieux au milieu de l’éblouissant battement d’ailes des draps qui montaient avec elle, quittaient avec elle le monde des scarabées et des dahlias, traversaient avec elle des régions du monde où il n’était déjà plus quatre heures de l’après-midi, pour se perdre à jamais avec elle dans les hautes sphères où les plus hauts oiseaux de la mémoire ne pourraient eux-mêmes la rejoindre. p270
Ursula se demandait s’il n’était pas préférable qu’elle se couchât une fois pour toutes au fond de sa sépulture et qu’on jetât de la terre sur elle, et, sans peur, elle demandait à Dieu s’il croyait en vérité que les gens étaient en fer pour supporter tant de peines et de mortifications ; et, de demande en demande, elle ne faisait qu’accroître son propre scandale, et se sentait l’irrépressible envie de se laisser aller à dégoiser comme un amerlok, de se permettre enfin un instant de rébellion, l’instant si souvent désiré et tant de fois différé de se mettre la résignation quelque part et de se ficher de tout une bonne fois, et de se soulager le cœur des tonnes et des tonnes de gros mots qu’elle avait dû ravaler durant tout un siècle de longue patience.
- Carajo! s’écria-t-elle.
Amaranta, qui commençait à disposer les vêtements dans la malle, crut qu’un scorpion l’avait piquée.
cet homme fatigué, précipité par la calvitie dans l’abîme d’une vieillesse prématurée
« Viens saluer ton père », lui dit Ursula. Il s’arrêta un instant devant le châtaignier et put constater que cet espace vide, lui non plus, ne réveillait en lui aucun sentiment d’affection.
- Qu’est-ce qu’il dit ? Demanda-t-il.
- Il est très triste, lui répondit Ursula. Il croit que tu vas mourir.
- Dites-lui, fit le colonel en souriant, qu’on ne meurt pas quand on veut, mais seulement quand on peut.
La gitane se débarrassa de ses jupes superposées, de ses nombreux cotillons de dentelle amidonnée, de son inutile corset baleiné, de son fardeau de verroteries, si bien qu'il ne restât pratiquement plus rien d'elle.
Bien qu'il reçut le nom de José Arcadio, ils finirent par l'appeler plus simplement Arcadio pour éviter toutes confusions.
Mais avant d'arriver au vers final, il avait déjà compris qu'il ne sortirait jamais de cette chambre, car il était dit que la cité des miroirs (ou des mirages) serait rasée par le vent et bannie de la mémoire des hommes à l'instant où Aureliano Babilonia achèverait de déchiffrer les parchemins, et que tout ce qui y était écrit demeurait depuis toujours et resterait à jamais irrépétible, car aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n'était pas donné sur terre de seconde chance.
A ces mots, Fernanda sentit une brise légère et lumineuse lui arracher les draps des mains et les déplier dans toute leur largeur. Amaranta éprouva comme un frissonnement mystérieux dans les dentelles de ses jupons et voulut s’accrocher au drap pour ne pas tomber, à l’instant où Remedios la Belle commençait à s’élever dans les airs. Ursula, déjà presque aveugle, fut la seule à garder suffisamment de présence d’esprit pour reconnaître la nature de ce vent que rien ne pouvait arrêter, et laissa les draps partir au gré de cette lumière, voyant Remedios la Belle lui faire des signes d’adieu au milieu de l’éblouissant battement des ailes des draps qui montaient avec elle, quittaient avec elle le monde des scarabées et des dahlias, traversaient avec elle les régions de l’air où il était déjà plus de quatre heures de l’après-midi, pour se perdre à jamais avec elle dans les hautes sphères où les plus hauts oiseaux de la mémoire ne pourraient eux-mêmes la rejoindre. (p.226)
Acabó de decirlo, cuando Fernanda sintió que un delicado viento de luz le arrancó las sábanas de las manos y las desplegó en toda su amplitud. Amaranta sintió un temblor misterioso en los encajes de sus pollerinas y trató de agarrarse de la sábana para no caer, en el instante en que Remedios, la bella, empezaba a elevarse. Úrsula, ya casi ciega, fue la única que tuvo la serenidad necesaria para identificar la naturaleza de aquel viento irreparable, y dejó las sábanas a la merced de la luz, viendo a Remedios, la bella, que le decía adiós con la mano, entre el deslumbrante aleteo de las sábanas que subían con ella, que abandonaban con ella el aire de los escarabajos y las dalias, y pasaban con ella a través del aire donde terminaban las cuatro de la tarde, y se perdieron con ella para siempre en los altos aires donde no podían alcanzarla ni los más altos pájaros de la memoria. (p.205)
Grande, pareille à une longue tige écanguée, hautaine, toujours vêtue d’abondants jupons bouillonnant de dentelles, avec cet air distingué qui résistait aux années et aux mauvais souvenirs, Amaranta semblait porter au front la croix de cendre de la virginité. En fait, c’était à la main qu’elle la portait, sous la bande noire qu’elle n’ôtait même pas pour dormir et qu’elle lavait et repassait elle-même. A broder son linceul, la vie s’en allait. On aurait dit qu’elle y travaillait dans la journée et défaisait son ouvrage la nuit venue, non dans l’espoir de vaincre ainsi sa solitude, mais, tout au contraire, pour l’entretenir.
- Qu'est-ce qu'il dit ? demanda t'il.
- Il est très triste, lui répondit Ursula. Il croit que tu vas mourir.
- Dites-lui, fit le colonel en souriant, qu'on ne meurt pas quand on veut, mais seulement quand on peut.