La saga du Soleil noir, tome 2 : La nuit du mal

Posé à côté des livres, un carnet de notes était resté vierge. Malgré ses lectures, le Français n'avait rien trouvé qui puisse éclairer la découverte de la cache souterraine. Rien qui puisse expliquer une tombe vide et une épée anonyme. Erika et lui allaient devoir trouver rapidement une signification et une piste viable. Le Reichsführer voulait des réponses, pas des questions.

Parfois on tombe sur des Allemands, de purs Aryens, de petite taille, dotés d’une capillarité ténébreuse et parfois sur des juifs plus blonds qu’un épi de blé à la moisson et athlétiques comme des statues grecques. Allez y comprendre quelque chose. Ayant un esprit scientifique, je préfère l’archéologie à la biologie raciale. .

Tristan Marcas.

Vous ignorez les ressorts cachés de notre esprit, car c'est là que tout se joue. La lumière comme les ténèbres.

— Ne jamais vous asseoir le dos exposé… Je pouvais vous poignarder en un clin d’œil.
La voix de Malorley était égale à elle-même. Neutre et précise. Laure ne lui donna pas le plaisir de se retourner.
— Bloomsbury n’est pas censé être un terrain hostile.
— Dans notre activité le monde entier devient hostile. Si vous ne comprenez pas ça, vous êtes déjà morte.
Elle se leva sans se presser et lui adressa un sourire ironique.
— Charmant, je me demande si je ne vais pas préférer la compagnie du mage libidineux à la vôtre. Avec lui, au moins, on doit s’amuser.

Le manoir était désert à l’exception de deux âmes, l’une vivante, l’autre morte. Les deux réunies dans la cave, qui faisait office de chambre froide. La première âme, celle que l’on surnommait la Fée écarlate, était habillée d’un épais pull noir à col roulé. Elle se penchait sur la seconde, une paire de ciseaux à la main. Sa victime, assassinée la veille, gisait sur une table, nue, les yeux grands ouverts. Son cou tranché, pudiquement occulté par un bandeau de soie rouge. Moira caressa la joue de la jeune femme avant de murmurer à son oreille :
— Si ça peut te consoler, un mal engendre toujours un bien. Grâce à moi, tu vas te réincarner à nouveau et tu connaîtras une existence plus heureuse.

— Hitler, c’est ça ?
Un employé lui tendit une pile de fascicules dont la première couverture intrigua aussitôt Adolf. On y voyait un château cerné de neige, d’où jaillissait une troupe de guerriers brandissant haches et épées. Le sous-titre était encore mystérieux : « Reconquête aryenne ».
En un instant, Hitler oublia l’endroit où il se trouvait, les humiliations et la faim qu’il endurait. Il fixait le château, sombre et isolé et il y reconnaissait la métaphore de sa propre vie.

Erika fit cliqueter la serrure de la portière et glissa ses longues jambes dehors. En touchant le sol, ses bottes soulevèrent un bref nuage de poussière.
La cible parfaite, pensa Tristan, ils vont la descendre comme à l’exercice.
— N’avancez pas ! le cri fusa du barrage.
— Je suis Erika von Essling, envoyé spécial du Reichsführer Heinrich Himmler. Vous me menacez, je vous fais passer en cour martiale, vous posez un seul doigt sur la détente de votre arme, je vous fais fusiller.
— Elle dit vrai ? s’exclama le chauffeur.
— À votre avis ? répliqua Marcas.

Sa consommation de tabac avait grimpé en flèche depuis son arrivée en Angleterre, pourtant elle ne s’était jamais sentie aussi forte. L’entraînement intensif du SOE avait remodelé son corps et endurci son âme. Quatre mois de souffrances, de discipline et de privations avaient été autant d’épreuves initiatiques. Laure, dernière descendante de la lignée cathare des d’Estillac, n’était plus. Dans sa jeunesse en pays cathare elle n’avait rêvé que de châteaux éblouissants, de beaux chevaliers et d’amour courtois. Elle s’était vue en princesse, la folie des hommes l’avait transformée en guerrière. Au SOE, on lui avait appris l’art pervers de détruire, de donner la mort et la souffrance sous toutes ses formes. La jeune aristocrate farouche s’était métamorphosée en une nouvelle femme. Plus dure, plus sûre d’elle-même.

Une swastika.
Fasciné, Karl la regardait. Il résistait à la tentation de la caresser du doigt comme s’il craignait d’être contaminé par son pouvoir obscur surgi du fond des âges. N’importe quoi ! Häsner secoua la tête. Il était archéologue, pas médium. Son travail, c’était d’analyser et d’interpréter. Pas de délirer.

Si l’intensité des bombardements avait chuté depuis fin mai – l’Angleterre avait gagné la bataille de l’air grâce à ses escadrilles de Spitfire –, les Allemands envoyaient encore des piqûres de rappel sur les cibles stratégiques, militaires ou civiles. Southampton et Portsmouth continuaient de recevoir leur ration de fer et de feu. Immobilisé au port, le Cornwallis représentait une proie trop facile pour les vautours du gros Goering.