la religion déchaînait trop de passion à son goût. Catholiques, musulmans, juifs, tous voulaient prouver la supériorité de leur Dieu. Son engagement maçonnique avait fortifié en lui une critique marquée de ces manifestations trop prononcée d'un monothéisme primaire. Il avait beaucoup de respect pour les religions en tant qu'enseignement spirituel mais leur représentants sur Terre le laissait de marbre.
Pourquoi les hommes et les femmes deviennent-ils religieux?Pourquoi la compagnie d'etres imaginaires leur semble-t-elle plus agreable que celle de leurs semblables?
Pape Clément !... Chevalier Guillaume !... Roi Philippe !... Avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits! Maudits ! Tous maudits jusqu'à la treizième génération de vos races !...
- Détrompez-vous, cher monsieur. Adolf Hitler, Heinrich Himmler et bien d'autres croyaient dur comme fer à la théorie de la terre creuse et à une autre idée, encore plus bizarre, selon laquelle notre globe serait né d'une conflit entre le feu et la glace. Croyez-moi, la quincaillerie nazie des élucubrations ésotériques est bien fournie.
Un petit rire cristallin s'échappa de la bouche ridée du Saint-Père.
- Un malentendu, voilà le mot juste. Voyez-vous, messire, mon cher neveu se passionne pour un point essentiel de théologie.
- Vous piquez ma curiosité, déclara poliment Nogaret, quel est donc son thème d'étude ?
- Comment diminuer le nombre de pécheurs sur Terre. Un sujet qui vous intéresse aussi, je crois.
Nogaret, le profil en lame de couteau, resta impassible.
- Et quelle est la solution à ce lancinant problème ?
- Les tuer.
D'un coup, le regard du conseille de Philippe le Bel changea. Sa voix d'habitude autoritaire se fit caressante :
- Voilà un bien intéressant jeune homme. A-t-il mis sa théorie en pratique ?
- Pas plus tard qu'hier soir, répondit le pape, et pour cela, il a soulagé les souffrances terrestres d'une ribaude.
- L'argent... Il me revient une phrase prononcée par Romano Prodi, l'ancien président du Conseil italien, lors d'un colloque organisé à Rome sur l'argent et la conscience chrétienne. Citant Saint-Marc, il avait lancé à la tribune : "L'argent c'est le crottin du diable."
- Belle définition. Un crottin dans lequel nous marchons à grandes enjambées et qui nous souille.
Le cardinal plissa ses lèvres avec dédain.
- Vous ne m'avez pas laissé finir, Hemler. C'est bien là votre problème, vous jugez trop rapidement les gens et les situations. Ce n'est pas la tirade de Prodi la plus pertinente, mais la réponse de l'archevêque de Bologne : "Vous avez raison, mais le crottin du diable peut aussi engraisser les champs du Seigneur".
Hugues [de Payraud] replia ses jambes, ferma les yeux et passa le pont-levis de son château intérieur. Deux pièces l'attendaient. Chacune portait un nom.
L'une s'appelait Trésor.
L'autre s'appelait Vengeance.
Pourquoi des hommes ou des femmes deviennent-ils religieux ? Pourquoi la compagnie d'êtres imaginaires leur semble-t-elle plus agréable que celle de leurs semblables ? C'est un mystère pour lui. Il n'avait jamais aimé les reportages ou les articles sur les moines et les monastères, ça lui filait un coup de déprime à chaque fois. Il avait ressenti la même sensation dans l'appartement du Jésuite. La vieillesse et la mort. Depuis son coma il n'avait plus peur de la mort, en revanche il ne se faisait toujours pas à la vieillesse.
— Jamais on n’aurait dû accepter cette place. Jamais.
Son mari hocha la tête. Sur la table, les médicaments s’alignaient. Lexomil, Xanax… Tout ce qui lui était devenu nécessaire pour résister à ses souvenirs. Lors des massacres de Kigali, il avait dû se cacher dans la morgue de la ville, dissimulé entre les cadavres.
— Ce qui a été trouvé, nul mot ne peut le dire, nulle image ne peut le représenter.
Première partie
Chapitre 29