Citations sur Le septième templier (88)
Antoine Marcas détourna son regard du paysage lugubre et, songeur, se dirigea vers un fauteuil en bois sculpté. La chambre était magnifique, reconstituée jusqu’au moindre détail dans un style XVIIIe. Au-dessus de la cheminée en marbre où crépitait un fagot de bois sec, un trumeau était décoré d’un tableau à la Boucher : une jeune femme, l’œil mutin, tenait un livre entrouvert où se devinait une gravure langoureusement libertine. Antoine s’assit près du feu et tendit les mains. Une nouvelle rafale de vent fit trembler la fenêtre. Il se demanda s’il avait eu raison d’accepter l’invitation du comte Potocki dans son palace perdu de Bohême.
La voix ample du guide résonnait entre les murs vénérables. Depuis des années qu’il accueillait les touristes, il avait appris à moduler ses effets. Dans la salle Cassini, il prenait toujours un ton grave, nécessaire selon lui pour évoquer la période glorieuse de l’histoire des lieux. Et puis, il l’avouait, il était fasciné par les Cassini, cette dynastie d’astronomes, inséparable de l’histoire de l’Observatoire. D’ailleurs, il se sentait comme leur héritier, le gardien vigilant du temple.
— Permettez-moi, messieurs dames, de vous présenter Giovanni Domenico Cassini, le grand ancêtre, le premier directeur de cette illustre maison.
Le cliquetis de la serrure d’entrée retentit dans le hall. Un pas rapide remonta le couloir. D’un même mouvement, les concierges détournèrent le regard vers l’écran vide de la télé.
— Seigneur Jésus, protège-nous du mal… balbutia Aboussa.
Un crissement de ferraille lui répondit.
— Et de cinq, murmura Makele, la voix chancelante, lui aussi est descendu.
Sa femme ferma les yeux avant de demander :
— La dernière fois, ils étaient combien ?
La voix de Makele se figea.
— Sept. Ils sont sept en tout.
Makele pencha la tête. Il aurait dû lui en parler plus tôt.
— C’était un vendredi. Un soir où tu es sortie pour téléphoner à ta sœur. Je m’étais installé sur le canapé pour lire. À cette heure, tout est tranquille. Les locataires dînent ou regardent la télé.
— Je me souviens.
— Une dizaine de minutes après ton départ, la porte de l’immeuble s’est ouverte. J’étais plongé dans ma lecture et…
Aboussa se rapprocha. L’angoisse de son mari commençait à la gagner.
— Et j’ai entendu la porte. Le même bruit de métal rouillé.
— L’entrée condamnée ?
— Oui. Le lendemain, je suis allé voir. La porte était à nouveau fermée mais, sur le sol, il y a une rainure toute fraîche. La preuve que je n’avais pas rêvé.
Il prit la main de sa femme et baissa la voix.
— Des hommes viennent ici, ouvrent la porte interdite et s’enfoncent dans les enfers.
Aboussa saisit un chapelet et fit rouler les grains d’ambre entre ses doigts.
Plus que tout, elle craignait l’inconnu. L’ombre la terrorisait. L’ombre et la mort. Elle se redressa.
— Jamais on n’aurait dû accepter cette place. Jamais.
Foulques sentit le sang perler sur sa poitrine. Une main habile dénouait sa chausse gauche. Puis un liquide froid coula sur son pied nu. Foulques le reconnut à l’odeur. De l’eau-de-vie.
— Que cherches-tu ?
Rigui n’eut pas le temps de répondre. Un hurlement lui tordit les lèvres. Son pied, baigné de vapeur d’alcool, venait de prendre feu. Il se débattit. Un linge glacé tomba sur son pied et apaisa la douleur.
Foulques n’avait pas hésité une seule seconde. Il attendait l’invitation depuis de nombreuses années. Il avait baissé le genou à terre, face au Grand Visiteur et courbé la tête. Une main ferme s’était posée sur son épaule.
Dieu est témoin que je t’aurai averti. Que cela soit.
Tu vas renaître ou mourir dans le Temple. Dieu en sera seul juge. Tu peux encore reculer et profiter des bienfaits de la vie ordinaire des chevaliers. Une fois là-bas, impossible de reculer, Foulques, entends bien mon avertissement.
Hypnotisé par la flamme de la torche qui se tordait au vent, Foulques ne répondit pas. Quand enfin il se retourna, le sergent avait disparu dans le brouillard.
Foulques descendit de son cheval et fit mouvoir son corps courbaturé par des heures de chevauchée.
Sept jours plus tôt, le Grand Visiteur de France l’avait fait venir dans la salle des chartes, au donjon du Temple, à Paris. L’échange avait été bref. Il devait se tenir prêt à partir séance tenante quand l’Ordre lui enverrait un sergent. La destination lui serait inconnue, mais il ne devait se dérober sous aucun prétexte, même malade comme un chien atteint de la male mort. Le visage du Grand Visiteur était resté impassible, mais ses paroles l’avaient frappé par leur dureté.
Brusquement le soleil passa sous les arbres. Une ombre froide tomba d’un coup. Une brise se leva qui fit murmurer les ramures des arbres. Par réflexe, Foulques porta la main le long de sa cuisse. La dague était là, sous le pli de la fourrure. Prête à jaillir.
— Longtemps le château resta à l’abandon. Tout autour les hameaux se vidèrent. Le domaine se couvrit de bois et de taillis. Même les bûcherons évitaient les lieux. Bien sûr, quelques téméraires s’aventurèrent à Vauvert. Certains s’y rendirent même de nuit. On les retrouva, au petit matin, errant dans la campagne, les cheveux blanchis… (Le sergent baissa la voix.) … et tous, fous à lier.