Karine Giébel se serait-elle trompée dès la toute première page? Pire! Celle d'avant : là où figure la citation de
Voltaire - très bonne au demeurant. C'est la maxime qui ouvre sur la Porte de l'Enfer de
Dante qui conviendrait à ce roman!
La couverture de chez Pocket est sombre, ça annonce la couleur.
Dur. Fort. Âpre. Qui prend aux tripes, qui prend à la gorge. Qui fait froid dans le dos. Qui coupe le souffle.... Tout ça va comme un gant à ce récit en milieu carcéral.
Il y a cependant des moments où le continuel crescendo de violence, de cruauté et de barbarie devient écoeurant. J'y trouve un caractère malsain et, surtout, superfétatoire.
La première partie du roman s'apparente à une forme de huis-clos en milieu carcéral. Marianne, 20 ans, y est écrouée déjà depuis 3 ans, condamnée à perpétuité. On découvre, avec elle, la réalité sordide du quotidien en maison d'arrêt. La crasse, les cafards, les douches où la moisissure semble moquetter le carrelage, etc... Difficile en lisant ces descriptions de ne pas penser que justement la France s'est fait récemment fustiger pour les conditions d'hygiène dans ses prisons.
Outre le sordide matériel,
Karine Giébel dépeint avec force détails le microcosme social de cet univers à part: sadisme de certains gardiens, hiérarchie marquée dans le sang entre les détenues, les trafics, la violence physique et verbale omniprésente mais aussi des solidarités, la loi de l'omerta, ... Cette vue de la prison nous envoie dans une autre dimension, avec ses lois intrinsèques, non écrites et où tout se paye. D'un côté ou de l'autre des barreaux, détenus et matons semblent condamnés. La différence étant que les gardiens, eux, rentrent chez eux une fois leurs heures finies. J'ai ressenti chez certains personnages de gardien une forme de désespérance : se rendre compte de l'incapacité de la détention à amender et à éliminer le risque de récidive. le roman livre un constat amer et sombre de notre système carcéral .
Rien que par son cadre contextuel l'auteur parvient à nous infliger une claustrophobie terrible.
A travers les introspections de Marianne de Gréville, j'ai pris beaucoup plus conscience de ce que peut représenter une condamnation à perpétuité. de la continuelle épée de Damoclès au-dessus de sa tête : vais-je résister un jour de plus? Vais - je vivre un jour de plus? Certes elle n'est pas un enfant de choeur. Écorchée vif depuis l'enfance, même les arts martiaux où elle excelle ne parviennent pas à canaliser la bête dévorante et hyperviolente qui couve en elle et explose dès qu'elle se sent agressée. Toujours à vif comme elle est, les explosions ne manquent pas... Par ces aspects, elle m'a renvoyée à la Lisbeth Salander de
Stieg Larsson: même acharnement à rendre coup pour coup.
Pourtant Marianne est loin d'être la brute junkie sans âme et sans coeur qu'on pourrait penser de prime abord (Lisbeth non plus d'ailleurs). L'auteure fait bien ressortir toute la souffrance et toute la culpabilité qui la rongent sans trêve.
A partir de la seconde moitié du pavé pourtant s'est produit un changement. de page-turner du genre "impossible de lâcher ce bouquin tellement il est prenant!!!", je l'ai vu se transformer en page-turner du style "bon allez, plus vite on en finit, plus vite je passe à autre chose".
Non que toutes les bonnes ficelles de la première partie aient disparu. Mais j'ai éprouvé une certaine lassitude devant les redondances de la trame de l'histoire. L'intrigue de plus évolue de manière qui perd en crédibilité, je trouve. J'ai poursuivi ma lecture malgré cela. le rythme reprend heureusement à un moment. Tout s'enchaîne vitesse grand V, bienvenu dans le grand 8. Toute la fin du roman, et ses ultimes et terribles révélations se dévorent le souffle coupé, comme en apnée. Même si l'histoire reste tirée par les cheveux, la narration menée tambour battant m'a obligée à la lire tout d'une traite, incapable de ne pas aller au bout et découvrir le fin mot. Ou plutôt découvrir que j'avais vu juste. J'ai refermé néanmoins la dernière page avec soulagement : celui de pouvoir retrouver une respiration normale.
Du point de vue de l'écriture, c'est globalement satisfaisant, sans être de la grande littérature. le rythme de ses phrases se révèle en tout cas efficace. Peut-être même un peu trop dans ses descriptions des tortures infligées qui ont fini par m'écoeurer. L'auteure semble trouver un plaisir sadique à faire endurer à ses personnages des cruautés sans fin.
En revanche, quand elle aborde sa romance, les choses se gâtent... J'ai eu l'impression qu'elle y était mal à l'aise. Par conséquent, les phrases en deviennent artificielles.
Et les mentions des jeux de regard me semblent légèrement surfaits, en plus d'être répétitif et, du coup, lassante. En effet, elle les décrit comme "l'onyx des yeux de Marianne rencontra les saphirs de ceux de Daniel" ou encore "les émeraudes de Franck plongèrent dans l'ébène luisant de Marianne ".
Karine Giébel nous sort toute l'artillerie du parfait joaillier et ébéniste qui sent son Harlequin à cent kilomètres à la ronde. Une fois, pourquoi pas mais trop c'est trop.
En conclusion, et en dépit de certaines lourdeurs, un roman noir (très très noir) qui se lit avec grand intérêt. Et même plus sur la première partie, vraiment très réussie. Ce roman, je le sens, va me suivre un moment. Son climat de désespérance adhère à l'esprit comme de la glue.
Peut-être pas à mettre entre toutes les mains du coup... Adeptes du Pays des Bisounours ou de l'Île auxEnfants, s'abstenir.