Aux États -Unis , la vie lui parait plus que jamais ´ matérialiste , laide et vide ´. Qu'on lui ouvre la porte de la cage , conclut- il , et il s'envolera tout de suite .
Il ment . Papa est quelqu'un que les pesanteurs du monde retiendront toujours au sol . Il ne peut vivre que dans une cage . C'est son excuse pour ne pas s'envoler .
L’amour dont je débordais était comme un torrent qui m'emmenait continuellement au ciel. Un jour, il me fallut bien redescendre sur terre.
C'est à cause de lui que j'ai toujours regardé le monde avec des yeux d'adulte.
je l'ai racontée pour me délivrer du chagrin de n'avoir jamais donné à mon père l'occasion de me parler et de lui pardonner. Je ne manque de rien, au couchant de ma vie. Juste d'avenir et de bonne conscience, ce qui revient peut-être au même. Après avoir laissé des remords partout où m'a mené ma haine, j'ai décidé d'aimer tout le monde, même mes ennemis, et de vivre chaque journée, chaque rencontre, chaque conversation, comme si c'était la dernière. Voilà ce que m'a appris la mort de papa....
S'il n'avait pas été aussi athée, papa aurait sûrement fait sienne la formule de la célèbre pancarte de bistrot : "Ici, nous faisons confiance à Dieu, mais c'est la seule exception. " Je crois qu'il est revenu de tout, après quelques jours de guerre. Surtout des patriotes. Il ne faut jamais laisser la patrie aux patriotes. Une fois qu'ils ont joué avec, ils la laissent toujours en mauvais état [.....]
Pendant toute mon enfance, j'ai été élevé ainsi dans la haine des patriotes.Même papi, un grand résistant qui avait monté une imprimerie clandestine dans la forêt de La Londe, près de Rouen, ne se vantait jamais de ses faits d'armes qui lui valurent de participer au Comité départemental de Libération, en 1944. Comme mon père, il dissimulait mal son aversion pour tous ces braves gens, de la catégorie des ruminants, qui, à chaque génération, rongés par le même prurit, se rassemblaient en cortèges haineux avant de remplir les charniers du vieux monde. Ils abominait mêmement les couards bien pensants qui, sitôt l'Allemagne vaincue, s'étaient refait une virginité en épurant et en tondant à tour de bras. Les Français ont résisté tard, mais enfin, ils ont résisté. Après la guerre, surtout, et même encore cinquante ans plus tard.
Empédocle, que j'ai toujours à mon chevet, écrivait avec l'autorité du poète, dans les purifications : "je fus au cours des temps le garçon et la fille, l'arbre, l'oiseau ailé et le muet des eaux...."
c'est un homme des champs, rempli de vent, de blé, de trèfles, de marguerites et de prairies vertes.
Je crois que l'on meurt toujours un peu quand on entend sa mère se faire battre.
Papa n'est pas né pour le bonheur. Il est perpétuellement rongé par un mal étrange. Un mélange de mélancolie, de bile sociale et de migraine métaphysique. C'est ce qui lui donne cet air renfrogné, même quand il sourit. Il est l'obstacle sur son propre chemin, et encore, le mot est faible, j'ai envie de parler de gouffre infranchissable.
Car rien jamais ne dure sous le soleil. Ni le bonheur ni le malheur.