Elle avait presque envie de rire, mais elle savait par expérience qu’il ne faut jamais se moquer d’un homme en colère. Surtout, que celui-là avait l’air d’un solide gaillard qu’il valait mieux ne pas titiller ! Néanmoins, elle voulait comprendre les raisons de cet emportement.
- Je vous prie de m’excuser ! Ce cintre est-il le vôtre par hasard ?
- Parfaitement ! Cela fait un quart d’heure que je le cherche.
Fleur analysa sa réponse sans parvenir à en retirer une logique. S’agissait-il d’un fou perdu dans la foule qui s’efforçait de se rassurer en regroupant tous les cintres ? Il existait un mot pour ce genre de névrose, la cincturaphilie. Peut-être en souffrait-il ?
Elle donnerait sa vie pour que son amour ne connaisse pas les dédales interdits qu’elle avait explorés. Tout, elle offrirait tout : son âme, son cœur, son avenir même. Lui seul comptait. Lui seul méritait ses efforts. Son beau visage d’ange lui apparut. Elle y puisa son courage. Pour lui, elle escaladerait cette montagne. Elle braverait la mort et l’arracherait aux ambitions de son tortionnaire. Elle ne laisserait pas la lâcheté le profaner. Un battement frénétique martelait sa poitrine. Sa respiration se hachait. Déjà, le soleil dardait ses rayons sur sa peau. À quelques mètres de l’arrivée, elle avait le sentiment d’avoir relevé un exploit.
Son vertige lui donnait des ailes. Sa peur la portait. Son amour la soulevait. Ses doigts s’accrochaient sans répit à la roche friable. Ses ongles se retournaient : aucune douleur ; ses paumes s’écorchaient : aucune souffrance. Rien que son souffle qui résonnait et le cri des oiseaux de proie. Parfois, une pierre roulait et s’écrasait en contrebas. Le silence l’inquiétait davantage. Elle poursuivait son effort. Son regard analysait les prises. Ses mains s’abattaient en cadence. Ses pieds cherchaient les failles. Elle s’élevait. Il le fallait.
Le reportage évoquait un amour fou qui remontait à plus de cinq ans. En observant de près ce cliché, Fleur douta des sentiments d’Éléonore. Il lui était impossible de ne pas creuser cette piste. Elle entra le nom du conjoint dans la barre de recherche et s’étonna du résultat. Contre toute attente, Armand Rudivo était issu d’une famille modeste de la cité des Coutures. Il avait rencontré sa future femme à l’université. Il y suivait des études de commerce quand sa dulcinée s’évertuait à devenir avocate.
La notoriété et la richesse de la société semblaient pourtant immenses. Aussi l’annonce de ses problèmes de trésorerie avait-elle ébranlé la faune limougeaude. Dans la journée, la jeune femme avait écumé la ville à la recherche d’une explication qu’elle n’avait pas trouvée. Les manufactures Milford existaient depuis 1870. En cinq générations, la famille Deltrey avait transformé cette production artisanale en un groupe mondialement réputé dans le secteur du luxe et du savoir-faire à la française.