La première fois que j'ai lu Thomas Gilbert, c'est pour son adaptation
Bjorn le Morphir de
Thomas Lavachery en bande dessinée, dans ces oeuvres suivantes, on retrouve souvent une référence à l'univers Fantasy, mais on pourrait plutôt qualifier son oeuvre de réalisme magique. C'est le cas de “
La Voix des bêtes, la faim des hommes”, c'est un récit médiéval, sous fond d'angoisse millénariste avec une pointe de fantastique.
Brunehilde est meneuse de loups, elle sait dresser et comprendre ces animaux, et est un peu guérisseuse aussi, ça fait d'elle une marginale, une vagabonde. Une série de meurtre suit son périple dans la France médiévale, on accuse les loups, Brunehilde va mener son enquête de village en village, avec quelques compagnons rencontrés en cours de route.
Les personnages sont particulièrement bien campés, bien que peu causants. le monde autour d'eux évolue et ils ont tous du mal à y trouver leur place. On est dans un rythme de saga romanesque, épique et sombre, l'intrigue est un récit de rédemption, assez classique mais bien exploité avec des considérations actuelles qui semblent naturelles dans la tête de Brunehilde, des notions d'écologie, de féminisme y sont à leur place, on ne sent pas le décalage, mais c'est une histoire de goût personnel, dans un récit historique, j'ai besoin que ça se confronte à notre présent, sinon où serait l'intérêt ; voyez dans cette remarque une réponse aux critiques qui ont incendié son livre “Salem”.
Concernant l'aspect écologique, il est question du grignotage des forêts pour étendre les terres agricoles, et de la perte du rapport à la nature pour imposer la domination de l'homme sur celle-ci, il fait écho au souci actuel d'arrêter l'artificialisation des sols entre autres. Ce thème, transposé dans la France du XIe siècle, fonctionne parfaitement, sans lourdeurs ni anachronismes flagrants.
Le graphisme est assez minutieux, détaillé, de plus en plus avec le temps dans l'oeuvre de Thomas Gilbert qui était plus brut à ses débuts. La gamme de couleur est parfois douce, avec un choix de teintes assez étrange, un mélange de bleu gris assez doux et d'orange pâle, avec plus de noir dans les scène tragiques, il s'installe comme un malaise, l'orange du ciel semble marquer la présence perpétuelle des indendies de forêts. Et la couleur fait circuler le regard, ses changements articulent l'histoire, elle donne une intensité tragique au récit malgré l'apparente douceur des tons, Thomas Gilbert fait ici preuve d'une grande maîtrise. Chaque chapitre commence par une illustration pleine page dans un esprit torturé, façon “Chevaliers de l'Apocalypse” qui semble justifier les tourments des personnages et nous imprègne de cette ambiance millénariste. le graphisme crée une atmosphère riche et intense et participe à la force de l'histoire.
J'ai beaucoup aimé cette lecture pleine de tensions, avec des personnages attachants, un univers bien campé, des thèmes riches, et une ambiance très maîtrisée, et un style original, audacieux, avec beaucoup de personnalité, qui ne peut plaire à tout le monde mais en ce qui me concerne, j'applaudis bien fort.