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Critique de Charybde2


Magnifique clôture d'un drame familial, 30 ans après, au bord de la banquise qui disparaît.

Publié en 2011 chez Albin Michel, le huitième roman (hors jeunesse) de Valentine Goby marquait un bel aboutissement provisoire, poursuivant cette exploration intense de la manière dont le corps, et la part de corps qui traque l'esprit, agissent et réagissent face au malheur hors normes.

Vingt-huit ans après les faits, Lisa se rend au Groenland où sa soeur aînée Sarah a disparu à 22 ans. Dans un va-et-vient subtilement tramé, elle confronte chemin faisant une vie de souvenirs dédiés à la disparue et le présent d'une civilisation qui s'efface dans l'indifférence du monde, face au réchauffement climatique.

Souvenirs d'une soeur follement passionnée de musique classique et d'acoustique des salles de concert, de son idylle et de ses voyages avec l'Amie aimée, de son profond désarroi lorsque la maladie emporta celle-ci, de cette soudaine décision de se rendre là-bas, loin au Nord, de la terreur qui s'abat sur la mère et le père lorsque le vol retour de Copenhague ne leur rend pas leur fille, de l'attente, de la course aux autorités, de l'enquête privée, du basculement de la frénésie initiale dans la morne dépression, aux limites de la folie, figée dans l'attente irrationnelle, de l'indifférence développée pendant ce temps vis-à-vis de la cadette, Lisa, tant l'énergie parentale est vouée à la conjuration du destin probable de l'aînée, Sarah.

Souvenirs de la construction volontariste de soi qui succède à la mortification du corps, de la découverte patiente que pour, cadette désormais invisible, enfin pouvoir exister aux yeux des parents figés dans l'attente, devenir professeur de français à l'étranger, arpentant toutes les Alliances françaises du monde, nourrissant l'envie et la passion de devenir écrivain, constitue une catharsis autrement plus roborative et efficace, in fine, que l'enfermement dans la triste et mortifère camisole familiale.

Confrontation à la magie noire du soleil et de la glace, avec ces magnifiques échos parfaits, du narrateur perdu au Spitzberg de Christoph Ransmayr Les effrois de la glace et des ténèbres », 1984), du Captain Subzero frigorifié volontaire en terre de Baffin de William T. Vollmann Les fusils », 1994) ou encore et peut-être surtout, de la profonde empathie envers les Groenlandais de la Smilla de Peter Hoeg Smilla et l'amour de la neige », 1992), et tandis que le spectre de Jorn Riel est réellement présent, livre de poche emmené par la narratrice, confrontation enfin à la banquise qui disparaît, là-haut, détruisant les modes de vie, cassant économie et société groenlandaises aussi sûrement que n'importe quel programme de développement surgi des brumes techno-capitalistes au service d'une avidité toujours renouvelée, et dans cette ultime tentative de reproduire les bribes du dernier voyage de sa grande soeur, parmi les chiens de traîneau désormais condamnés et les pêcheurs de glace désemparés, cristallisation d'une compréhension et d'un apaisement…

Un livre d'une belle intelligence et d'une immense beauté. Car comme le dit Paul-Émile Victor dans sa préface à l'« Antarctique, désert de glace » de Claude Lorius, citation que Valentine Goby place en exergue de ce « Banquises » : « La vie polaire ne permet aucun maquillage, aucun subterfuge, aucune tricherie. On se montre tel qu'on est : l'homme que l'on est au fond de soi et qu'on ignore soi-même. ».
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