L'homme peut-il s'affranchir du poids de son passé ? le futur peut-il s'écrire sans passé ?
Voilà deux questions essentielles que pose
le printemps des cabossés.
Emmanuelle Godec-Prigent nous emmène dans sa Bretagne natale, au port du Mousquer, à la rencontre d'âmes cabossées par la vie. Bob y arrime son bateau et découvre des habitants hauts en couleurs. C'est d'abord le petit Pablo qui frappe à sa porte et à son coeur. Il faut dire que le garçon a fait mille fois le tour du port, et qu'une nouvelle tête attire sa curiosité. Qui est Bob, d'où vient-il, que fait-il ? Mais Bob est un ours taiseux. Pas facile de l'apprivoiser. Pourtant, peu à peu, le garçon va se confier à cet ours, et lui raconter son manque de maman, partie quand il n'était qu'un bébé. Pablo vit avec sa grand-mère Simone et son père Jean, marin pêcheur, trop souvent absent pour laisser une réelle empreinte paternelle. L'orphelin est, somme toute heureux, aimé et couvé par sa grand-mère qui ne cesse de le tirer vers le haut pour lui offrir une belle vie future. Mais le futur est difficile à imaginer quand on est en manque de maman…
Contre toute attente, Bob, l'ours mal léché, va s'ouvrir vers ce petit garçon et, à tâtons, l'aider à retrouver le fil de sa vie. le vieil homme et l'enfant vont s'élever mutuellement. En cela,
le printemps des cabossés s'ancre dans le roman feel good. Et c'est vrai, alors que le roman démarre dans l'ombre, que la lumière finit par prendre le dessus. Après l'hiver, renaît le printemps…
Ce que j'ai aimé, je crois, par-dessus tout, c'est l'écriture d'
Emmanuelle Godec-Prigent. A la fois fluide et simple, elle n'hésite pas à semer quelques mots oubliés, pour le plus grand bonheur du lecteur. Elle ne sombre pas dans la facilité et s'ingénie à écrire au passé. Exercice très dangereux quand on ne maîtrise pas la concordance des temps, mais Emmanuelle a même l'audace de nous servir quelques imparfaits du subjonctif. Pour le plaisir. Pour la beauté de la langue, et franchement, c'est génial. Et pour couronner le tout, tout le long du roman, elle use et abuse de notes d'humour subtiles. Tout ceci rend son écriture atypique : on la croit simple, mais elle la corse volontiers avec des subterfuges linguistiques et l'épice allègrement d'humour. Combo gagnant !
Bref, j'ai aimé ce feel good ancré dans l'air du temps et dans l'air breton. Pour autant,
Emmanuelle Godec-Prigent ne tombe dans la facilité et offre à son roman une écriture subtile. Elle ne tombe pas non plus dans le cliché du roman breton mais elle place ses personnages dans un cadre bien campé. Et des personnages bien en place ne peuvent qu'être, aux aussi, bien campés. Voyez, tout est cohérent et la moindre note d'humour pertinente. Les mots sont pesés à la mode bretonne : dans la générosité.
Le printemps des cabossés est une bolée d'air frais !
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