On les appelle les migrants, les immigrés, les sans-papiers, autant de mots ou expressions politiquement corrects qui résument une réalité complexe et difficile. Autant de mots qui déshumanisent, banalisent jusqu'à rendre les êtres humains qui la compose invisibles. Ils sont le peuple de l'ombre, réduits à la discrétion et à l'oubli par peur d'être renvoyés de là où ils viennent. Ils sont les corvéables, acteurs malgré eux d'une économie souterraine puante et d'un esclavagisme moderne qui ne dit pas son nom. Ils n'ont rien, pas de fiche de paie, pas d'identité, pas de logement, pas d'existence. Ils ne peuvent se permettre le luxe d'être malade, fatigué ou en repos. Pourtant certains continuent à dire qu'ils profitent du système, qu'ils viennent en Europe pour gagner de l'argent… la haine et la peur sont des moteurs puissants
En relayant leurs témoignages
Pitrina GOVI MATTEI redonne à ces personnes une identité, une réalité, un prénom, une vie, des rêves : une existence. Car ces hommes et ces femmes venues de l'autre bout du monde n'ont rien pu emmener avec eux, rien que leurs rêves. Comme cette femme qui fait le ménage et qui avant été institutrice qui a laissée derrière elle ses enfants parce qu'elle n'avait vraiment pas le choix, ou comme cet homme qui offre ses bras sur les chantiers au jour le jour et qui rêvait de toiles, d'expositions et de peinture, ou cette jeune femme pas encore sortie de l'adolescence qui rêvait de théâtre et qui élève désormais des enfants clandestins dans une baraque sordide avec un mari qu'elle n'a pas choisi.
Emigrer ce n'est pas faire un voyage d'agrément. C'est ce que font les êtres humains quand ils n'ont plus rien à perdre, quand ils sont dans une situation extrême que leurs vies ou celles de ceux qu'ils aiment sont en danger, quand ils n'ont plus les moyens de survivre dans leur pays, quand ils ont faim, quand ils ont peur. Imaginez le crève-coeur d'un père ou d'une mère qui laisse derrière lui ses enfants parce qu'en partant il pourra peut-être les nourrir. Imaginez le déchirement de cette mère qui envoie son enfant à l'autre bout du monde parce que près d'elle, là où il devrait être le plus en sécurité, il n'a rien à attendre de l'avenir.
Emigrer c'est entreprendre une expédition dangereuse, parfois sur plusieurs années. C'est affronter le froid, la faim, et c'est surtout risquer sa vie. Maltraités, dépouillés, violés, violentés, ces êtres humains arrivent dans un état pitoyable et ne trouvent aucun réconfort qu'il soit psychologique ou matériel. Ce n'est que le début une vie d'angoisse et de misère. Ces gens ne vivent pas ils survivent, le combat ne s'arrête jamais. D'autant que ceux qui sont restés ignorent tout du calcaire de ceux qui sont partis et attendent beaucoup d'eux. Personne ne veut d'eux mais leur force de travail est pourtant exploitée jusqu'à la moelle. Tout comme on prend des arrêtés anti-mendicité parce que les SDF font tâche dans le décor, on renvoi tout ce petit monde de là où il vient sans se demander ce qu'ils vont devenir. Allez mourir ailleurs, vous faites tâche dans le décor, ça gâche la vue aux touristes friqués !
J'ai beaucoup aimé lire le récit de ces vies parce que cela me semble indispensable d'arracher ces gens à l'anonymat et de leur redonner le statut d'être humain. Ce sont des gestes comme ceux-là qui y contribuent. Toutefois les témoignages étant tous repris par la même personne (qui n'est pas un auteur à proprement parlé mais qui a souhaité faire vivre ces histoires) le style demeure le même pour nous raconter toutes ces vies. Ainsi elles se confondent et on a l'impression d'entendre toujours parler une seule et même personne. Pourtant les témoignages sont riches car très différents, on prend ainsi conscience de toutes les réalités que revêt le statut d'émigré et que tous viennent d'horizons variés pour des raisons très différentes.
Le livre se termine sur des chiffres et des informations très intéressantes sur les réfugiés. Des éléments terre à terre qui contribuent à lutter contre les a priori et les préjugés ce qui est d'une importance capitale.
Le mot de la fin à
Nelson MANDELA que l'auteur cite en introduction à son récit : « Que nos choix soient le reflet de nos espoirs et non de nos peurs ».
Evidemment merci beaucoup à Babelio et aux éditions Les bons caractère pour cette lecture.