« Cessons de scruter avec anxiété, des berceaux à la tombe, l'évolution respective de la « population majoritaire » et des minorités visibles en cherchant à repousser le moment fatidique où « la France ne sera plus la France ». Travaillons plutôt à accélérer l'intégration des groupes « minorisés » dans une majorité élargie. Prenons au sérieux la lutte contre les discriminations de toutes sortes, directes et indirectes, individuelles et systémiques. le seul combat qui vaille est de poursuivre le mouvement engagé depuis plusieurs générations pour élargir les contours de la population majoritaire, renouveler notre vision de la « francité » en y intégrant tour à tour toutes le minorités. Nous avons suffisamment de données pour pouvoir affirmer à la fois que le brassage des populations progresse dès la deuxième génération et que les esprits évoluent dans le même sens, même si des combats d'arrière-garde veulent encore nous ramener au rêve désuet d'une France vierge de toute immigration. Notre horizon n'est pas le grand remplacement mais le grand renouvellement. »
(p. 169)
Au moment où les mots « invasion », « envahissement » ou « tsunami », et l'expression « grand remplacement », instillés par l'extrême-droite dans le discours sur l'immigration en France, se banalisent, dans un temps aussi où nombre de manifestations hostiles aux migrants, souvent particulièrement haineuses, sont organisées sur le territoire devant les centres d'accueil ou dans les villages où l'on projette d'en créer, quand la police à Calais et Dunkerque s'acharne contre des exilés (avec les méthodes violentes décrites par
Louis Witter dans La Battue, autre ouvrage récent sur le sujet), le livre de
François Héran constitue un bon début de réponse face à la contagion xénophobe et à la réédification des frontières. Fruit de ses recherches, comme sociologue démographe et philosophe, spécialiste de la question de l'immigration depuis de longues années, et aujourd'hui professeur titulaire au Collège de France de la chaire «
Migrations et sociétés », il évoque avec des chiffres précis et une analyse scrupuleuse la réalité de l'immigration en France. Oui, souligne-t-il, les arrivées de migrants sont en augmentation depuis 2000 sur notre territoire (mais cela n'a rien d'extraordinaire, si au lieu de « dénier » ce phénomène mondial de déplacement massif de populations, lié au réchauffement climatique, aux guerres et aux répressions politiques, on en reconnaît l'inéluctabilité), mais non, la France, loin d'être envahie, est plutôt en net retard par rapport à ses voisins pour ce qui est de l'accueil des réfugiés (hier et toujours, afghans, syriens ou africains, aujourd'hui ukrainiens) et sa prétention à rester « terre d'asile » généreuse largement usurpée.
François Héran montre aussi comment les dysfonctionnements, les retards et la mauvaise volonté de l'administration, dans le traitement des demandes d'asile et de séjour, aggravent notre relation avec ces immigrés, quand l'étude du long terme révèle que les efforts mis à faciliter l'intégration des populations nouvelles sont payants pour l'ensemble de la société. Un texte qui offre à tous les ressources nécessaires à une réflexion fraternelle, sinon simplement réaliste, sur la question, au moment où le nouveau projet de loi Darmanin fait craindre le retour de la pire démagogie et des réflexes ostracistes !