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Citations sur En lisant en écrivant (43)

Mon siècle, dans le passé, c’est le dix-neuvième, commencé avec Chateaubriand, et prolongé jusqu’à Proust, qui vient
l’achever un peu au-delà de ses frontières historiques, tout
comme Wagner est venu lui-même achever le romantisme
off limite. Je n’aime pas le dix-huitième siècle sinon peut-être
pour un ou deux livres de Rousseau: les livres, non l’homme
(les Rêveries, la Nouvelle Héloïse, certaines parties des Confessions).
Quelques pages aussi de Sade, qui par ailleurs m’ennuie extrêmement: j’aime bien la Philosophie dans le boudoir et la Révolution
commentée pendant les pauses de la fouterie («Français, encore un effort si vous voulez être républicains »). Ce qu’il y a de
meilleur pour mon goût dans l’esprit de l’époque est concentré
là, plus nerveusement encore que dans Les Liaisons. Il y avait
peut-être dans ce siècle, comme on l’assure, un art de vivre :
nous n’en avons plus l’emploi; il y avait aussi des lumières sur
la chose publique : nous en avons eu trop l’emploi. Le dix-neuvième siècle est de nature pythique et prophétique : il atteint
à des profondeurs divinatoires dont le dix-huitième siècle n’a
eu aucune idée, car il éclairait tout et ne devinait rien; son air
de flûte humanitaire etait celui du preneur de rats de Hameln,
mais il ne le savait pas.
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Médiocre valeur du coup d’œil rétrospectif que l’écrivain
jette sur ses livres: leur contenu, trop remâché en cours de
confection, ne lui est plus de rien; s’aiguise au contraire chez lui
exagérément au fil des années la sensibilité aux mutations de la
forme («Je n’écrirais plus ainsi aujourd’hui «). Tous les signes de
mûrissement, ou de vieillissement, qu’apporte un simple intervalle de quelques années, sont perçus, enregistrés par lui avec
une subtilité en alerte.
Le lecteur, lui, a une tendance inverse à ramener les parties
successives de l’œuvre sous un éclairage uniforme et intemporel; sa préférence va au constat réitéré de l’identité, acquiesce
avec délectation à la tyrannie unificatrice de la signature «c’est
bien de lui). L’écrivain, devant ses livres, est sensible surtout à
son évolution, le lecteur à ses constantes. Un auteur est toujours, il me semble, naïvement surpris quand il constate l’aisance d’un lecteur sans expérience critique particulière à le détecter derrière un fragment de quelques lignes pris au hasard
dans ses livres. Il ne se savait pas si ressemblant à lui-même,
parce que ses propres livres n’ont jamais pu vraiment lui tendre
un miroir; s’il les rouvre, il voit bien en eux ce qui les embue, les
raye ou les écaille, non ce qu’ils réfléchissent d’indéformable.
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Il y a dans Céline un homme qui s’est mis en marche derrière son clairon. J’ai le sentiment que ses dons exceptionnels
de vociférateur, auxquels il etait incapable de résister, l’entraînaient inflexiblement vers les thèmes à haute teneur de risque,
les thèmes paniques, obsidionaux, frénétiques, parmi lesquels
l’antisémitisme, électivement, était fait pour l’aspirer. Le drame
que peuvent faire naître chez un artiste les exigences de l’instrument qu’ il a reçu en don, exigences qui sont parfois à demi
monstrueuses avant tout celles de son plein emploi, a dû se
jouer ici dans toute son ampleur. Quiconque a reçu en cadeau,
pour son malheur, la flûte du preneur de rats, on l’empêchera
difficilement de mener les enfants à la rivière.
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Ce que je souhaite d’un critique littéraire et il ne me le donne
qu’assez rarement c’est qu’il me dise à propos d’un livre, mieux
que je ne pourrais le faire moi-même, d’où vient que la lecture m’en dispense un plaisir qui ne se prête à aucune substitution. Vous ne me parlez que de ce qui ne lui est pas exclusif,
et ce qu’il a d’exclusif est tout ce qui compte pour moi. Un
livre qui m’a séduit est comme une femme qui me fait tomber
sous le charme : au diable ses ancêtres, son lieu de naissance,
son milieu, ses relations, son éducation, ses amies d’enfance !
Ce que j’attends seulement de votre entretien critique, c’est
l’inflexion de voix juste qui me fera sentir que vous êtes amoureux, et amoureux de la même manière que moi: je n’ai besoin
que de la confirmation et de l’orgueil que procure à l’amoureux
l’amour parallèle et lucide d’un tiers bien disant. Et quant à l’»
apport « du livre à la littérature, à 1’enrichissement qu’ il est
censé m’apporter, sachez que j’épouse même sans dot.
Quelle bouffonnerie, au fond, et quelle imposture, que le métier de critique : un expert en objets aimés! Car après tout, si
la littérature n’est pas pour le lecteur un répertoire de femmes
fatales, et de créatures de perdition, elle ne vaut pas qu’on s’en
occupe.
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Lecture
J’ai changé peu à peu d’opinion là-dessus: l’émotion que
ressent un lecteur de roman, un auditeur de concert, n’est pas
une corde vibrante qui donne la même note quel que soit le
moyen de percussion qui l’ébranle : elle est tout entière moulée
sur la construction verbale ou sonore complexe qui lui a donné
naissance, et en tant que telle n’est échangeable, et n’accepterait d’ailleurs de s’échanger, contre aucune autre. Elle constitue
chaque fois non une réanimation d’émotions déjà vécues, mais
une expérience neuve, irremplaçable. A la limite, il n’y a pas,
en matière d’émotion esthétique vraie, de distinction possible
entre l’effet et la cause, et je ne crois pas une seconde qu’on aille
écouter Tristan pour se souvenir qu’on a été amoureux. A la
rigueur, ce serait plutôt l’inverse (La Rochefoucauld le savait
déjà) le sentiment de l’amour est transposable, comme on sait,
d’objet en objet: celui qu’on éprouve à écouter la musique de Wagner, ou à lire Les souffrances du Jeune Werther, ne l’est pas;
il est irrévocablement adhérent à une succession de notes, ou de
mots, non substituables. Le mérite insigne de l’art est de tirer l’»
émotion «du vague indifférencié où la relègue la psychologie
vulgaire, et de la lier chaque fois solidement à une figure individualisée : à cette manière de faire accéder le chaos affectif à
une existence distincte, sinon claire, il me semble que Valery, si
hostile à tout art qui se compromet avec l’émotion, n’aurait pas
du être insensible.
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L’écriture
Pourquoi écrit-on? La vieille et perfide question que Littérature avait rajeunie au lendemain de la première guerre mondiale n’a toujours pas reçu sa réponse. Il n’est pas sûr , loin de
là, qu’elle n’en comporte qu’une seule, il n’est pas sûr non plus
que les motivations d’un écrivain ne varient pas tout au long de
sa carrière. Quand j’ai commencé à écrire, il me semble que ce
que je cherchais, c’était à matérialiser l’espace, la profondeur
d’une certaine effervescence imaginative débordante, un peu
comme on crie dans l’obscurité d’une caverne pour en mesurer
les dimensions d’après l’écho. Le temps vient sans doute sur le
tard où on ne cherche plus guère dans l’écriture qu’une vérification de pouvoirs, par laquelle on lutte pied à pied avec le
déclin physiologique. Dans l’intervalle, entre l’excès et la pénurie de l’afflux à ordonner, il me semble parfois que s’étend une zone indécise, ou l’habitude, qui peut créer un état de besoin,
le goût défensif de donner forme et fixité à quelques images
élues qui vont inévitablement s’étiolant, le ressentiment contre
le vague mouvant et informe du film intérieur s’entrelacent
inextricablement. Il arrive que l’écrivain ait envie tout simplement «d’écrire » et il arrive aussi qu’il ait envie tout bonnement
de communiquer quelque chose : une remarque, une sensation,
une expérience à laquelle il entend plier les mots, car les rapports ambigus et alternatifs de l’écrivain avec la langue sont à
peu pres ceux qu’on a avec une servante-maîtresse, et sont non
moins qu’eux, de bout en bout, hypocritement exploiteurs.
Pourquoi se refuser à admettre qu’écrire se rattache rarement à une impulsion pleinement autonome ? On écrit d’abord
parce que d’autres avant vous ont écrit, ensuite, parce qu’on a
déjà commence à écrire : c’est pour le premier qui s’avisa de cet
exercice que la question réellement se poserait: ce qui revient
à dire qu’elle n’a fondamentalement pas de sens. Dans cette
affaire, le mimétisme spontané compte beaucoup: pas d’écrivains sans insertion dans une chaîne d’écrivains ininterrompue.
Apres l’école, qui émaille l’apprenti-écrivain dans cette chaîne,
et le fait glisser déjà d’autorité sur le rail de la rédaction, c’est
plutôt le fait de cesser d’écrire qui mérite d’intriguer.
La dramatisation de l’acte d’écrire, qui nous est devenue spontanée et comme une seconde nature, est un legs du
dix-neuvième siècle. Ni le dix-septième, ni, encore moins, le
dix-huitième ne l’ont connue ; un drame tel que Chatterton y
serait resté incompréhensible ; personne ne s’y est jamais réveillé un beau matin en se disant: « Je serai écrivain», comme
on se dit: «Je serai prêtre». La nécessité progressive et naturelle
de la communication, en même temps que l’apprentissage enivrant des résistances du langage, a chez tous précédé et éclipsé le culte du signe d’élection, dont le préalable marque avec
précision l’avènement du romantisme. Nul n’a jamais employé
avant lui cet étrange futur intransitif qui seul érige vraiment, et
abusivement, le travail de la plume en énigme : j’écrirai.)
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Un roman qu’on entreprend d’écrire, quelque extrême liberté de traitement qu’on se promette d’y apporter, ne se comporte
aucunement comme un sujet de poème, qui n’existe, lui, que
totalement intérimaire dans l’attente de métamorphoses successives, et dont la ductilité, la docilité au travail du langage,
à l’aventure verbale reste sans limites. Dans le sujet de roman,
il existe un minimum de structure interne résistante – des blocages dissimulés, des échos internes complexes qu’un heurt fortuit va soudain éveiller, des automatismes qui vont se faire jour,
des phénomènes de rejet, des affinités au contraire brusquement révélées. La contradiction propre au romancier est que,
de son sujet, le langage seul utilisé selon ses pouvoirs propres
éveillera les possibilités, mais qu’en même temps, sur lui, les
mots ne disposent pas de la toute-puissance qui est celle des
mots du poème, parce que la passion du romancier pour son
roman ne s’est pas éveillée en face d’un ectoplasme, mais d’une
figure non déformable à volonté, qui possède simultanément et
le flou du rêve, et des lignes, un rythme, certains mouvements
d’une netteté parfaitement concrète et pour lui ensorcelante,
figure que, d’une certaine manière, il n’a de cesse par le moyen
de son roman de chercher à rejoindre. Le roman ne vit que par
le genre de liberté que lui donne le langage, utilisé selon ses
vrais pouvoirs, mais il n’est tiré du néant que par la contrainte
qu’impose de bout en bout au romancier une image exigeante,
une obsession non entièrement littéraire dans sa nature. «Adorable fantôme qui m’as séduit, lever ton voile!» supplie le faiseur
de romans – mais la muette apparition lui met en mains un
porte-plume.
En fait, on n’a jamais cherché à serrer de près les relations
du romancier et de son sujet avant: avant le moment où il va
commencer à l’écrire, c’est-à-dire à jouer sa chance. L’acte de
l’écrire rature à peu pres tout souvenir de cette période d’incubation parfois très longue, parfois très courte: on retire les échafaudages. Il semble que le sujet se comporte un peu, vis-à-vis
des propositions imprévues de l’écriture, comme une substance
de propriétés chimiques mal connues, avide d’entrer en composition avec certains corps, insensible à d’autres. C’est ce qui
fait que 1’ordonnance formelle d’un roman lui est de si peu de
chose, et un tact plus proche du sens intuitif qui s’éveille dans
l’amour au contraire si important: « composer »un roman – au
lieu de guetter et de suivre à chaque instant de son progrès les
résonances et les harmoniques qui s’éveillent – c’est soumettre
à la géométrie ce qui relève de la chimie. Mais ces harmoniques
d’une part, ces résistances inattendues, de l’autre, ne se réveilleront nulle part ailleurs que dans le work in progress, jamais
autrement qu’au fur et à mesure de son avance.
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Il se peut, après tout, que l’idée que je me fais d’un vrai sujet me soit strictement personnelle. Elle n’a rien à voir avec les
résumés qui peuplent les prière d’insérer; elle a davantage en
commun avec la ligne d’une phrase musicale, aussi chargée
d’énergie qu’impossible à décomposer.
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Le sujet. Je suis déconcerté, quand je lis leurs propos, leurs
journaux, leurs carnets, leur correspondance, de ne retrouver
chez presque aucun écrivain la préoccupation de ce problème.
On dirait que les sujets de leurs livres leur viennent continûment – l’un chassant l’autre sitôt la réalisation achevée sans
leur donner plus de souci que ne semblent s’en faire les peintres
pour les motifs de leurs tableaux. Alors que pour moi l’enclenchement brusque d’une idée ou plutôt d’un sentiment – sur la
perspective d’un livre a été chaque fois un évènement aussi improbable, aussi imprévisible que le coup de foudre amoureux.
Tout se passe comme s’il existait, accumulée périodiquement
chez l’écrivain, une richesse romanesque non monnayée, à laquelle rien ne permettra d’avoir cours. rien ne prêtera forme
et aloi, rien ne donnera issue, sinon le miracle surgi du hasard
quand il surgit d’une sorte de modèle réduit à la fois simple
et éminemment expressif, capable de tenir dans le creux de la
main, et pourtant prometteur d’une infinie capacité d’expansion, pareil au cristal tenu qui, par son simple contact, fait cristalliser à son image parente toute une solution sursaturée. Je
ne sais s’il existe des recettes pour mettre la main sur un pareil
sésame – qui, bien entendu, ne peut vous ouvrir qu’une fois la
cave de vos propres trésors – en ce qui me concerne, je n’en
possède pas, et c’est une des raisons qui font que j’ai écrit si peu
de livres.
La critique moderne a de bonnes raisons d’écarter une telle
question. Je m’y heurte presque chaque fois que je réfléchis sur la littérature, et j’y trouve à rêver: tous ces livres, chez les écrivains, qui existaient en puissance, et qui ne sont pas venus au
jour, parce qu’un hasard malin a refusé la clé qui les eût libérés.
et qui était à portée de la main. La clé, c’est-à-dire le sujet, à la
fois révélateur et cristallisateur, qui d’un seul coup de baguette
trace à l’afflux romanesque effervescent et informe des lignes
d’opération efficaces, le concentre aux points où vont jouer
en sa faveur des effets de levier, le met en marche sous des enseignes expressives et des signaux de ralliement mobilisateurs.
Le sujet, avec lequel on a le sentiment que presque tout vous est
donné d’un coup, puisque, dans le chaos émouvant et aveugle
qui vous habitait, brusquement les grandes masses d’ombre
et de lumière se disposent, les chemins confluent, les forces se
rassemblent et s’ébranlent, les mouvements se coordonnent,
qu’une direction, à la fois unificatrice et multiplicatrice, anime
désormais la diversité disponible puisqu’on tient à la fois le lieu
et la formule.
Un des signes les plus sûrs à la fois de la vigueur interne d’un
sujet et de son affinité avec vos propres dispositions est que, dans
sa simplicité initiale, sont inscrites potentiellement, dès qu’on le
serre de plus près, des filières de déterminations plus précises
qui vont l’étoilant de tous les côtés, et sur lesquelles, à votre surprise, il ne laisse planer en fait presque aucune ambiguïté. Un
vrai sujet à une pente secrète: si vous cherchez à le préciser, et
même sur quelque détail secondaire, il ne vous laisse pas plus
dans l’embarras qu’un relief vigoureux ne laisse dans le doute
la goutte d’eau de pluie qui tombe sur lui et qui l’interroge sur
la direction à prendre. Il tient en quelques lignes, il se laisse embrasser d’un coup d’œil, et il a réponse à tout.
Un vrai sujet ne laisse étranger à sa donnée aucun règne et
aucun ordre, ni humain, ni terrestre. J’ai pense bien souvent,
à ce propos, que l’une des supériorités les plus certaines de
Goethe réside dans le sens, d’une ampleur presque infaillible,
qu’il avait du sujet, dès qu’il cessait d’écrire pour se délasser.
On devine que Hugo a senti parfaitement toute l’importance
du problème, mais s’est laissé abuser par des contrefaçons parfois grossières: il lui suffisait que le sujet, trop avantageusement,
prenne la pose.
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Quelque chose d'aussi précis et exigeant qu'un nom oublié à retrouver, mais qui n'aurait jamais existé, et qui sera le livre.
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