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Citations sur En lisant en écrivant (43)

Ce qui commande chez un écrivain l'efficacité dans l'emploi des mots, ce n'est pas la capacité d'en serrer de plus près le sens, c'est une connaissance presque tactile du tracé de leur clôture, et plus encore de leurs litiges de mitoyenneté. Pour lui, presque tout dans le mot est frontière, et presque rien n'est contenu.
(p. 257)
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Ils sont fortunés les livres dont on sent que, derrière l'agitaiton, même frénétique, qui peut à l'occasion les habiter, ils ont été écrits de bout en bout comme dans la poussière d'or et dans la paix souriante et regrettante d'une fin de journée d'été.
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" Si je pousse la porte d'un livre de Beyle, j'entre en Stendhalie, comme je rejoindrais une maison de vacances: le souci tombe des épaules, la nécessité se met en congé, le poids du monde s'allège; tout est différent : la saveur de l'air, les lignes du paysage, l'appétit, la légèreté de vivre, le salut même, l'abord des gens. Chacun le sait (et peut-être le répète-t-on un peu complaisamment, car c'est tout de même beaucoup dire) tout grand romancier crée un "monde" – Stendhal, lui, fait à la fois plus et moins : il fonde à l'écart pour ses vrais lecteurs une seconde patrie habitable, un ermitage suspendu hors du temps, non vraiment situé, non vraiment daté, un refuge fait pour les dimanches de la vie, où l'air est plus sec, plus vivifiant, où la vie coule plus désinvolte et plus fraîche – un Éden des passions en liberté, irrigué par le bonheur de vivre, où rien en définitive ne peut se passer très mal, où l'amour renaît de ses cendres, où même le malheur vrai se transforme en regret souriant."

[Julien GRACQ, "En lisant en écrivant", librairie José Corti, 1980 - un extrait reproduit par notre amie Keisha dans son texte critique de 2011]
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Si je pousse la porte d'un livre de Beyle, j'entre en Stendhalie, comme je rejoindrais une maison de vacances: le souci tombe des épaules, la nécessité se met en congé, le poids du monde s'allège; tout est différent : la saveur de l'air, les lignes du paysage, l'appétit, la légèreté de vivre, le salut même, l'abord des gens. Chacun le sait (et peut-être le répète-t-on un peu complaisamment, car c'est tout de même beaucoup dire) tout grand romancier crée un 'monde' -Stendhal, lui, fait à la fois plus et moins: il fonde à l'écart pour ses vrais lecteurs une seconde patrie habitable, un ermitage suspendu hors du temps, non vraiment situé, non vraiment daté, un refuge fait pour les dimanches de la vie, où l'air est plus sec, plus vivifiant, où la vie coule p lus désinvolte et plus fraîche - un Éden des passions en liberté, irrigué par le bonheur de vivre, où rien en définitive ne peut se passer très mal, où l'amour renaît de ses cendres, où même le malheur vrai se transforme en regret souriant.
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Il y a dans Céline un homme qui s'est mis en marche derrière son clairon. J'ai le sentiment que ses dons exceptionnels de vociférateur, auxquels il était incapable de résister, l'entraîneraient inflexiblement vers les thèmes à haute teneur de risque, les thèmes paniques, obsidionaux, frénétiques, parmi lesquels l'antisémitisme, électivement, était faite pour l'aspirer. Le drame que peuvent faire naître chez un artiste les exigences de l'instrument qu'il a reçu en don, exigences qui sont parfois à demi monstrueuses - avant tout celles de son plein emploi, a dû se jouer ici dans toute son ampleur. Quiconque a reçu en cadeau, pour son malheur, la flûte du preneur de rats, on l'empêchera difficilement de mener les enfants à la rivière.
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[Anton TCHEKHOV, "La Steppe"]

Rien de plus admirable dans "La Steppe" de Tchekhov, que la justesse avec laquelle est rendu l'émerveillement passif, sur fond d'insécurité vague, du jeune enfant séparé pour la première fois de sa famille, qui va passant de main en main par le vaste monde, et qui dort dans des lits étrangers. La fraîche violence, la singularité discontinue de son odyssée : visages, conversations, intempéries, paysages, sont presque celles du rêve, mais gardent une nuance d'agressivité à la fois enivrante et inquiétante : le monde s'y jette sur nous à l'improviste, dans cette seconde naissance qui nous arrache, nus et exposés, au cocon familial. Le vieillissement n'est rien d'autre, dans une vie, que l'accroissement continu des constantes sans nouveauté aux dépens de la fraîcheur de l'éventuel : dans "la Steppe", cet éventuel qui se jette à chaque instant à la traverse domine tout, et dispose encore d'un pouvoir de happement instantané : à chaque instant la conscience est comme engloutie par des images neuves. "

[Julien GRACQ, "En lisant en écrivant", librairie José Corti (Paris), 1980]
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Ce que je souhaite d’un critique littéraire et il ne me le donne qu’assez rarement c’est qu’il me dise à propos d’un livre, mieux que je ne pourrais le faire moi-même, d’où vient que la lecture m’en dispense un plaisir qui ne se prête à aucune substitution. Vous ne me parlez que de ce qui ne lui est pas exclusif, et ce qu’il a d’exclusif est tout ce qui compte pour moi. Un livre qui m’a séduit est comme une femme qui me fait tomber sous le charme : au diable ses ancêtres, son lieu de naissance, son milieu, ses relations, son éducation, ses amies d’enfance ! Ce que j’attends seulement de votre entretien critique, c’est l’inflexion de voix juste qui me fera sentir que vous êtes amoureux, et amoureux de la même manière que moi : je n’ai besoin que de la confirmation et de l’orgueil que procure à l’amoureux l’amour parallèle et lucide d’un tiers bien disant. Et quant à l’" apport " du livre à la littérature, à 1’enrichissement qu’ il est censé m’apporter, sachez que j’épouse même sans dot.
Quelle bouffonnerie, au fond, et quelle imposture, que le métier de critique : un expert en objets aimés ! Car après tout, si la littérature n’est pas pour le lecteur un répertoire de femmes fatales, et de créatures de perdition, elle ne vaut pas qu’on s’en occupe.
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[POURQUOI ECRIT-ON ?]

On écrit d'abord parce que d'autres avant vous ont écrit [...] pas d'écrivains sans insertion dans une chaîne d'écrivains ininterrompue.

[Julien GRACQ, "En lisant en écrivant", librairie José Corti (Paris), 1980]
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Il y a dans Céline un homme qui s’est mis en marche derrière son clairon. J’ai le sentiment que ses dons exceptionnels de vociférateur, auxquels il etait incapable de résister, l’entraînaient inflexiblement vers les thèmes à haute teneur de risque, les thèmes paniques, obsidionaux, frénétiques, parmi lesquels l’antisémitisme, électivement, était fait pour l’aspirer. Le drame que peuvent faire naître chez un artiste les exigences de l’instrument qu’ il a reçu en don, exigences qui sont parfois à demi monstrueuses avant tout celles de son plein emploi, a dû se jouer ici dans toute son ampleur. Quiconque a reçu en cadeau, pour son malheur, la flûte du preneur de rats, on l’empêchera difficilement de mener les enfants à la rivière.
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Le lecteur, lui, a une tendance inverse à ramener les parties successives de l’œuvre sous un éclairage uniforme et intemporel ; sa préférence va au constat réitéré de l’identité, acquiesce avec délectation à la tyrannie unificatrice de la signature " c’est bien de lui). L’écrivain, devant ses livres, est sensible surtout à son évolution, le lecteur à ses constantes. Un auteur est toujours, il me semble, naïvement surpris quand il constate l’aisance d’un lecteur sans expérience critique particulière à le détecter derrière un fragment de quelques lignes pris au hasard dans ses livres. Il ne se savait pas si ressemblant à lui-même, parce que ses propres livres n’ont jamais pu vraiment lui tendre un miroir; s’il les rouvre, il voit bien en eux ce qui les embue, les raye ou les écaille, non ce qu’ils réfléchissent d’indéformable.
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