Voila un livre dont le titre aurait pu être "contre histoire de l'humanité", tant le but poursuivi par les deux auteurs,
David Graeber anthropologue américain anarchiste et
David Wengrow archéologue anglais spécialiste du moyen orient, est de déconstruire les mythes sur lesquels reposent notre vision du passé de l'homme.
Au premier rang de ceux ci figurent le mythe du bon sauvage "déchu" développé par J.
J Rousseau et son symétrique inversé, "la guerre de tous contre tous" de Hobbes, nécessitant la construction d'un Etat fort.
Dénonçant les mises à jour qu'en font Harrari ( ROUSSEAU ) et Diamond ( HOBBES) , les auteurs passent en revue les hypothèses qui poussent à d'autres interpénétrations: ainsi les hommes du paléolithique ne vivaient pas nécessairement dans des petits groupes égalitaires, mais à certaines saisons pouvaient se rassembler en groupes importants pour certaines chasses, en mettant en oeuvre des forces de police spécialisées. Ainsi la coopération était possible plutôt que la guerre, et l'inégalité promue provisoirement.
Tout au long du livre les auteurs attaquent d'autres mythes comme la révolution néolithique car l'invention de l'agriculture n'aurait rien eu de fulgurant et aurait été pratiquée de manière transitoire et intermittente pendant des millénaires, voir refusée par certains groupes qui la connaissait pourtant parfaitement. Un phénomène important de comportements des hommes à l'échelle des sociétés serait d'ailleurs la shismogénèse qui induit des pratiques culturelles opposées pour des groupes au contact les uns des autres, plutôt que des oppositions à plus grande échelle.
Le mouvement aboutissant à la création des villes ne proviendrait pas d'une complexité engendrée par l'agriculture car d'une part l'administration s'est développée dans les villages pour tenir la comptabilité complexe des dettes et des créances de travail entre les habitants, et d'autre part les villes ont fonctionné sur un mode démocratique soit dans leur phase initiale ( villes sans roi), soit ont remis en cause la centralisation du pouvoir inégalitaire ( Théotihuacan et l'invention du logement social).
Enfin les origines de l'Etat actuel ne serait pas nécessairement à rechercher dans les grandes civilisations antiques ( Égypte, Empire inca, Chine...) car il manque systématiquement une dimension au mode de pouvoir exercé dans ces civilisations ( d'ailleurs le terme est également à questionner).
Même si parfois on se perd dans le dédale des groupes humains, villes antiques et civilisation évoquées,l'important est certainement le voyage entrepris par le lecteur, qui le met en rapport avec l'intelligence des hommes en lien avec l leur environnement et l'influence que les uns peuvent avoir les autres ( ainsi des indiens d'Amérique sur les lumières européennes et donc sur le monde occidental actuel).
Ce qu'il faut retenir de ce gros livre très riche c'est le caractère protéiforme de l'organisation passée des hommes et donc des possibilités que cela ouvre pour l'avenir, rien ne semble gravé dans le marbre et rien ne permet de dire à priori comment une situation donnée va évoluer, ce livre peut être ainsi considéré comme un hymne à la liberté des hommes, d'ailleurs il y en aurait trois dont la dernière, la liberté de repenser l'organisation sociale nous resterait accessible.