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David Graeber, l'auteur du coriace Dette : 5000 ans d'histoire,s'allie avec un autre David pour se lancer à son tour dans un gros bouquin d'histoire globale. Commençons par les défauts. Déjà, c'est parfois pénible à lire, la faute à une structure un peu fourre-tout. Ça manque de direction, de sens de la narration, et pour cette raison je vois mal ce livre devenir un classique. Ensuite, les auteurs aiment taper sur Jared Diamond et Yuval Noah Harari, à qui ils reprochent, sans doute pertinemment, de céder à des préjugés idéologiques. Pourtant, nos deux David font exactement la même chose : leur perspective idéologique, ancrée dans la gauche universitaire américaine, est clairement féministe, anticoloniale et anarchiste. Je ne veux pas dire que ces sensibilités seraient « mauvaises » (je les partage en bonne partie) mais qu'il y a dans ce bouquin un biais idéologique évident. Ainsi, on a droit à quelques absurdités, par exemple cette affirmation sortie de nulle part que le pain levé aurait nécessairement été inventé par une « femme non blanche ». Là comme à d'autres moments, les auteurs laissent clairement de côté le scepticisme scientifique au profit des guéguerres idéologiques modernes, ce qui jette le discrédit sur l'ensemble de leur propos. Heureusement, la plupart du temps, ils développent leur argumentation de façon plus convaincante.

On commence inévitablement avec Rousseau et Hobbes, et la critique de la position défendue (partiellement) par Diamond et Harari : l'idéalisation du monde pré-agriculture et, paradoxalement, une sorte de téléologie qui rend inévitables les structures de domination moderne (raison pour laquelle, selon moi, Harari est tant apprécié par les puissants). Nos David défendent la théorie selon laquelle les sociétés à petite échelle ne sont pas nécessairement égalitaires et les sociétés à grande échelle ne sont pas non plus nécessairement autoritaires. Commence donc une plongée profonde dans nombre de sociétés passées, une plongée à la richesse inégalée dans, je crois, aucun autre livre que j'ai bien pu lire. S'il y a bien une raison de lire Au commencement était, c'est cet incroyable aperçu de la variété stupéfiante de l'organisation sociale des sociétés et civilisations passées, variété à laquelle je ne peux que faire allusion ici. En somme, il n'y aurait aucune forme originale des sociétés humaines.

La suite sur mon blog :
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L'histoire des sociétés humaines est toujours racontée de façon linéaire et évolutionniste : les chasseurs-cueilleurs deviennent agriculteurs et sédentaires, la propriété privée apparait alors, source de toutes les inégalités, des cités sont fondées, puis des civilisations et des États, origines des armées de métier et des guerres, de l'administration et de ses formulaires, du patriarcat, de l'esclavage. L'anthropologue David Graeber et l'archéologue David Wengrow, s'appuyant sur les plus récentes recherches et découvertes scientifiques, racontent une histoire infiniment plus complexe, faite de nombreux allers-retours et de multiples combinaisons. Un panel d'organisations sociales se découvrent, oubliées ou occultées, bouleversant nombre de croyances et jetant « les bases d'une nouvelle histoire de l'humanité ».
(...)

David Graeber et David Wengrow, avec cette impressionnante somme d'informations, parviennent à briser le récit unique évolutionniste. Dans un monde où on nous rabâche qu'il n'y a plus d'alternative, où tout est verrouillé, ils parviennent à bouleverser les imaginaires, à rendre de nouveau envisageable l'avénement d'autres possibles. En s'intéressant au passé, ils nous dotent de perspectives pour d'autres futurs, nous libèrent de la fatalité progressiste qui entrave notre imagination et nos volontés. Ils montrent également que l'État est loin d'être le seul mode de fonctionnement, quel que soit l'échelle, bâtant en brèche une idée trop largement reçue. Car « si l'humanité a bel et bien fait fausse route à un moment donné de son histoire – et l'état du monde actuel en est une preuve éloquente –, c'est sans doute précisément en perdant la liberté d'inventer et de concrétiser d'autres modes d'existence sociale. »

Article très complet sur le blog :
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Mal servi par une écriture confuse, ce livre dévoile une synthèse stimulante des dernières découvertes archéologiques autour du monde. À condition toutefois de le lire en conservant un oeil critique face à la mauvaise foi de ses auteurs.

Les auteurs, que nous appelleront les deux David par facilité (Graeber et Wengrow), en ont gros sur la patate. Figurez-vous qu'une théorie « dominante », voire « officielle », règne sur l'histoire, l'archéologie et les sciences humaines. Ce courant de pensée serait évolutionniste (ouuuuh le gros mot), c'est-à-dire qu'il envisagerait les sociétés sur une échelle de temps/développement allant des chasseurs-cueilleurs égalitaires jusqu'aux sociétés commerciales civilisés hiérarchiques (les nôtres). Ils multiplient donc les indignations contre cet évolutionnisme prétendument dominant, pour mieux se vendre comme les justes redresseurs de tord d'une histoire malmenée.

Problème : les David ne citent quasiment pas de nom. Les rares fois où ils citent quelqu'un (Jared Diamond, par ex), on se rend bien compte qu'ils sont énervés contre des gens nés dans les années 1930 et qui ne sont plus vraiment au centre de la recherche actuelle. Les David font donc semblant de faire comme si la recherche n'avait pas évolué depuis les années 1960. de fait l'évolutionnisme n'a plus vraiment la cote, même s'il est vrai qu'aucune autre théorie globale de l'histoire de l'humanité n'a réussi à s'imposer ces derniers 60 années. Bref, le procédé littéraire est classique, mais malhonnête : inventer et caricaturer la position d'un prétendu adversaire pour mieux défendre sa thèse à soi.

Autre défaut : la mauvaise foi simplificatrice. À plusieurs reprises, les David affirment des choses comme si elles étaient acquises par la communauté scientifique, alors qu'elle font encore largement débat (ex : le peuplement de l'Amérique via le Pacifique) ; ou bien ils caricaturent la pensée d'auteurs qu'ils présentent. le première chapitre en est un bon exemple. Les David défendent l'idée selon laquelle les critiques indigènes amérindiennes ont influencé la pensée des Lumières européens, et notamment Rousseau. Les David se contentent ici de réutiliser les arguments de plusieurs auteurs (Anthony Pagden, Tzvetan Todorov, Sankar Muthu…), l'influence des amérindiens n'est donc pas un scoop si on s'est déjà s'intéressé au sujet. Mais c'est un scoop déformé, mal expliqué, parce que personne ou presque n'écrit que ces écrits indigènes sont la source d'inspiration principale des Lumières (sauf les David) ; au contraire il y a tout un ensemble de raisons qui vont emmener les philosophes à se saisir de la question des inégalités (les Amérindiens ok, mais pas que, des commentaires sur la la Bible aussi qui comporte plein de passages appelant à l'égalité par ex). Il est donc doublement agaçant de voir ces David s'autoproclamer critiques subversifs alors qu'ils ne font que vulgariser des thèses d'autres chercheurs, et qu'en plus ils le font avec la subtilité d'un bulldozer.

Dernier défaut : le plan et l'écriture du livre. Beaucoup de détours et d'exemples au lieu d'aller à l'essentiel. Si le livre est gros, c'est surtout parce qu'il tourne souvent en rond, se perdant dans des démonstrations parfois éloignées de ce qui est censé être le thème du livre (par ex cet interminable chapitre où les David comparent deux sociétés récentes amérindiennes de Californie pour expliquer ce qu'est la shismogénèse, alors qu'ils l'avaient déjà expliqué le chapitre précédent…). Honnêtement j'ai souffert à la lecture jusqu'au chapitre « Pourquoi l'Etat n'a pas d'origine », c'est-à-dire plus de la moitié du livre. le dernier tiers, heureusement, est beaucoup plus fluide. La conclusion, plutôt bien écrite par rapport au reste, synthétise l'ensemble des thèses défendues dans le livre.

*

J'ai donné les défauts (importants) qui m'ont un peu « gâché » ce livre. Pourtant, je l'ai trouvé très stimulant, surtout la fin.

Ce livre est en fait un énorme travail de « vulgarisation », comme on dit, c'est-à-dire de présentation de travaux scientifiques qui d'habitude restent dans la confidentialité des revues spécialisées. Ils vulgarisent deux choses. D'une part les découvertes archéologiques. le monde de l'archéologie a connu des progrès stupéfiants ces dernières décennies, notamment grâce à de nouvelles technologies qui nous permettent d'apprendre plus et mieux sur les sociétés anciennes. Ces nouvelles découvertes ont rabattu pas mal de cartes : non les inégalités ne sont pas nées avec les premières villes, ni d'ailleurs la hiérarchie ou la royauté ; de très nombreux peuples semblent avoir inventé des formes de gouvernements démocratiques à travers l'histoire, notamment en Amérique du Nord ; les Indiens des plaines n'ont pas toujours vécu en tribus nomades, et il y a eu des villes imposantes avant qu'elles s'écroulent sur elles-mêmes (je donne quelques exemples, le livre en est riche de plein d'autres).

Ensuite, les David vulgarisent des auteur-es qui ont été peu traduits en français, notamment des chercheurs d'origine amérindienne qui portent un regard neuf sur l'histoire des peuples autochtone, l'arrivée des colons européens et leurs échanges.

Je dois dire bravo pour la somme des connaissantes présentées dans ce bouquin. C'est assez impressionnant, et c'est présenté avec beaucoup de pédagogie (même si, on l'a vu, les auteurs ont tendance à ne retenir que ce qui arrange leur thèse). La principale richesse du livre, c'est cette sorte de catalogue d'exemples d'organisations de sociétés que les auteurs présentent. Au fur et à mesure de ces plusieurs centaines de pages, il vont mobiliser de nombreuses ressources et nous parler de nombreuses sociétés à travers le Globe et l'histoire. C'est très intéressant, et ça montre bien l'inventivité et l'imagination des peuples humaines - y compris quand il s'agit d'inventer des systèmes politiques ! Une des thèses centrales du bouquin est de dire que l'humanité a inventé mille possibilité de gouvernement, de gestion des conflits, d'agriculture ou de cueillette. Et les auteurs le montrent, preuve à l'appui. Qu'on soit convaincu ou non par l'idée que vivre sous la domination d'un Etat n'était pas une fatalité, on doit reconnaitre l'immense travail de collecte et d'analyse de données des David.

Je ne vais revenir sur la thèse de chacun des chapitres, ce serait trop long. Je citerai juste « Pourquoi l'Etat n'a pas d'origine », que j'ai trouvé le plus stimulant de tout le livre. En fait c'est une poursuite des thèses déjà travaillées par Graeber dans On Kings (avec Sahlins). « L'Etat » est une expression qui veut tout et rien dire, historiquement eux identifient trois types de dominations, et c'est la combinaison de ces trois éléments qui fondent ce qu'on appelle Etat au XXIe siècle. Mais dans l'histoire, ces types de dominations peuvent être dissociées, ou associées seulement deux par deux, ce qui donnent des sociétés différentes. Cette typologie est intéressante car elle permet effectivement un regard décalé sur des sociétés qu'on classe souvent en « chefferie » ou « société complexe », expressions devenues un peu fourre tout à force d'être utilisées.

*

En résumé, un livre que je conseillerai parce qu'il est stimulant et ouvre de nouveaux horizons. Attention toutefois à ne pas tout prendre pour argent comptant, et d'aller lire les auteurs cités, car si la richesse de cet ouvrage est l'incroyable nombre de ressources mobilisées, elles sont parfois traitées avec un peu de légèreté.
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Imaginez un monde où l'on travaille deux à quatre heures par jour et où l'on consacre son temps libéré à créer des objets artistiques, se cultiver et conforter ses relations conviviales. Imaginez une société où les fonctions régaliennes (police, justice) soient assurées de façon tournante par l'ensemble des citoyens (les discriminations y deviennent impossibles, chacun se retrouvant dans la position de subir les brimades injustifiées qu'il aurait infligées précédemment à un autre). Imaginez une administration locale dont le rôle principal serait d'identifier et de soutenir les personnes ayant vécu des difficultés (maladie, accident, handicap...) en répartissant la production de façon à limiter les inégalités. Imaginez une population mettant en oeuvre des stratégies empêchant qu'une classe dirigeante n'émerge et ne se renforce (responsabilités tournantes, épreuves subies par tout aspirant politicien afin de réduire son ego...). Imaginez que les guerres se règlent par le jeu ou par des combats sans armes avant de s'arrêter à la fin de la saison. Vous vous dites sans doute que cela est totalement utopique... Pourtant ces différentes formes de vie sociale ont bel et bien existé par le passé à travers le vaste monde. Et plus souvent qu'on ne l'imagine. Certains anthropologues (Pierre Clastres, Christopher Boehm) affirment même que 95% de notre histoire se serait déroulée au sein de « sociétés d'égaux ». Cela ne se sait pas et c'est bien dommage, car si les humains sont parvenus par le passé à inventer des formes de vie sociale égalitaires et non autoritaires, rien n'empêche d'imaginer que nous soyons encore aujourd'hui capables d'une telle inventivité. C'est la thèse euphorisante développée par David Wengrow, archéologue et David Greaber, anthropologue (1), dans un livre de 745 pages intitulé Au commencement était... Une nouvelle histoire de l'humanité (2). Un pavé dans la mare du récit sur l'origine et le cheminement des humains qui domine depuis plus de deux siècles.

Déconstruire nos mythes
Le monde est une construction sur laquelle reposent nos institutions et qui structure nos façons de vivre et de penser. Depuis le XVIIIe siècle (la Révolution française et l'essor du capitalisme), deux versions coexistent et s'opposent sur l'origine de l'humanité. Selon l'une, l'homme serait demeuré « égalitaire » tant qu'il était chasseur-cueilleur vivant en petites unités et il aurait perdu son innocence avec l'apparition de l'agriculture, le développement des premières villes puis des États (JJ. Rousseau, Second discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité - 1754). Selon l'autre, les hommes étant des êtres égoïstes, l'état de nature devait être un état de guerre de tous contre tous que seuls des dispositifs répressifs (gouvernements, tribunaux, police, administration) auraient permis de réguler (Thomas Hobbes, le Léviathan – 1651). Avec des points de départ opposés, ces deux récits aboutissent à un résultat étonnamment analogue : celui d'une approche évolutionniste de l'histoire. Pour nos deux auteurs contemporains, ce récit des origines a beau être celui qui domine encore aujourd'hui, il n'en demeure pas moins qu'il est faux. Les découvertes archéologiques des quarante dernières années basées sur de nouvelles techniques de recherche viendraient étayer la thèse des deux David, lourdement étayée par un index bibliographique de plus de 1000 références, thèse sur laquelle ils ont travaillé pendant plus de dix années.

Des êtres capables de se transformer
Je me contenterai ici de relever quelques aspects de leur argumentation. 1. Il existait une grande variété dans la façon de vivre des chasseurs-pêcheurs-cueilleurs, résidant dans différents endroits de la planète. Certains valorisaient le loisir par rapport au travail, pour d'autres c'était le contraire. Certains étaient cupides quand d'autres refusaient accumulation des biens et propriété privée. Certains privilégiaient leur intérieur, d'autres les créations collectives. Certaines sociétés étaient fortement hiérarchisées quand d'autres se moquaient ouvertement de leurs chefs. 2. le blé et l'orge ont compté parmi les premières cultures domestiquées il y a environ 10.000 ans dans le Croissant fertile (correspondant à la Palestine, Israël et le Liban actuels). Mais ce que l'on nomme « révolution agricole » c'est à dire le passage à la sédentarité par la stabilisation agricole a pris plus de 3.000 ans (un peu long pour nommer cela « révolution »), car les cueilleurs considéraient le travail agricole comme trop contraignant et ne l'adoptaient que par intermittence. 3. L'organisation verticale des sociétés (États, villes) fondée sur des monarques surhumains serait surévaluée. Les recherches archéologiques montrent que ces systèmes hiérarchisés sont limités à de très petites zones ; la majeure partie des sociétés s'organisaient d'une façon plus horizontale et égalitaire. 4. La violence et la guerre sont demeurées des situations relativement rares au long de la préhistoire. 5. L'organisation sociale changeait du tout au tout en fonction des saisons, pouvant passer d'un mode hiérarchisé dans les périodes de regroupements à un mode égalitaire lorsque le groupe se scindait en petites unités pour la cueillette et la chasse ; ces changements successifs permettant de prendre de la distance par rapport à la façon de vivre.

Revoir notre copie
Le livre ne tranche pas sur les raisons qui ont conduit les humains à réduire toujours plus leurs libertés élémentaires au point qu'aujourd'hui peu de gens sont capables de se représenter comment ils pourraient vivre en exerçant pleinement leurs trois libertés élémentaires (celle de partir s'installer ailleurs, celle d'ignorer les ordres donnés par d'autres ou d'y désobéir, celle de façonner des réalités sociales nouvelles et radicalement différentes). Mais le simple fait de savoir que, pendant des millénaires, des sociétés sont parvenues à les maintenir vivantes nous offre l'espoir de pouvoir à nouveau les activer.

(1) David Graeber est mort peu après avoir mis le point final à ce livre
(2) Éditions Les Liens qui libèrent, novembre 2021, 745 pages
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Quelques jours avant sa mort, en septembre 2020, l'anthropologue anarchiste américain David Graeber terminait cette “nouvelle histoire de l'humanité”, co-écrite avec l'archéologue David Wengrow. Prenant le contrepied des théories de Yuval Noah Harari (Sapiens) ou de Jared Diamond (De l'inégalité parmi les sociétés), les deux auteurs lancent un caillou dans la mare des grandes explications sur l'origine des inégalités. Alors que le récit communément admis selon lequel le tournant de l'histoire de l'humanité est l'apparition des états et de l'agriculture de la révolution néolithique, sous-entendant des sociétés pré-agricoles dépourvues de créativité et d'imagination, Graeber et Wengrow mettent en avant le fait que cette façon de penser notre histoire efface l'influence des cultures non-européennes sur la pensée occidentale et masque l'inventivité politique des sociétés premières, qui savaient “faire bifurquer leur histoire, remettre en cause les formes d'exercice du pouvoir – et, c'est tout aussi important, se garder la possibilité de s'y soustraire”. Certaines de ces sociétés, qui vivaient sans état, ou avec des formes d'auto-gouvernement aux structures souples, laissant de côté la propriété privée, pourraient être source d'inspiration pour trouver la réponse à certaines des impasses auxquelles sont confrontées nos sociétés. En remettant à l'honneur ces sociétés innovantes, les auteurs montrent la possibilité (et la nécessité) de se redonner la liberté de transformer la société, de réimaginer, de recréer les sociétés humaines sous une forme différente.
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Je me permets de reproduire ici le superbe compte rendu du chercheur Clément Bur, (libre de droits d'auteur et disponible ici https://journals.openedition.org/anabases/15084) sur cet ouvrage complexe et fondateur car je n'aurais pu prétendre moi-meme a une telle justesse d'analyse:


David Graeber, décédé en 2020, était un anthropologue américain connu pour ses prises de position radicales comme l'illustrent deux de ses ouvrages ayant rencontré un certain succès médiatique : Debt : The First 5,000 Years (2011) et surtout Bullshit Jobs : A Theory (2018). Il cosigne avec David Wengrow, archéologue britannique spécialiste des débuts de l'Égypte phara­onique, un livre qui s'inscrit dans la mouvance anarchiste de l'anthropologie, courant qui a le vent en poupe ces dernières années puisque Against the Grain. A Deep History of the Earliest States (2018) de James C. Scott avait déjà suscité un réel engoue­ment. D. Graeber et D. Wengrow proposent à leur tour une « deep history » dans The Dawn of Everything : A New History of Humanity, un best-seller auréolé de récompenses traduit quasi immédiatement en français, en italien et en allemand.

Cette somme est une attaque en règle contre la théorie évolutionniste structurant encore trop souvent notre conception de l'histoire de l'humanité. Les auteurs visent ici les recherches sur les origines des inégalités et de l'État qui subiraient encore l'influence plus ou moins inconsciente du mythe d'Adam et Ève, mais aussi des théories hobbesiennes et surtout rousseauistes. Ils dénoncent en particulier le postulat qui lie complexité sociale découlant d'un accroissement de la communauté et hiérarchisation selon un processus engagé depuis le néolithique. Il s'agit de démontrer comment l'humanité s'est retrouvée piégée, selon eux, dans un système monolithique de domination étatique légitimée par ces récits et théories. Ils ne prétendent cependant pas faire des chasseurs-cueilleurs un exemple de société idéale puisqu'ils réfutent tout autant leur supposé caractère égalitaire. Contre ce qu'ils considèrent comme un mythe des origines, les auteurs entendent montrer au contraire l'extrême diversité des modes d'organisation des sociétés humaines depuis des millénaires et souligner que l'État fut plus l'exception que la règle jusqu'à tout récemment. Ils s'appuient pour cela sur de nombreux exemples issus de la recherche récente en archéologie et en anthropologie sur tous les continents (même si l'Amérique prédomine). L'antiquisant ne peut que saluer cette entreprise qui vise à sortir le public du présentisme dénoncé par François Hartog, de l'obsession pour l'histoire contemporaine (voire très contemporaine), rejetant les expériences plus anciennes comme des états révolus – et souvent regardés avec condescendance – dont le seul mérite serait d'avoir conduit à notre société actuelle.

Comme il est malheureusement impos­sible de résumer en quelques lignes un livre aussi dense et foisonnant, je me contenterai de signaler les points les plus stimulants pour le lecteur d'Anabases. Tout d'abord, les auteurs ont à coeur de réhabiliter la pensée et les institutions des sociétés extra-européennes encore trop souvent considérées comme se situant à une étape antérieure aux sociétés occidentales sur l'échelle du progrès. Cette idée serait due aux philosophes des Lumières qui reléguèrent au stade de primitifs les indi­gènes pour répondre à leurs critiques sur le manque de liberté dans les sociétés occidentales. En effet, la liberté de partir, de désobéir et de « reconfigurer sa réalité sociale », constitua longtemps le pilier de la majorité des sociétés humaines selon les auteurs qui déplorent sa disparition. Ils soulignent ainsi que, si des européens choisirent de vivre avec les indigènes, l'inverse n'arriva jamais et que les Occi­dentaux durent recourir à la force pour convertir les colonisés à leur modèle social et politique. Cette réflexion s'accompagne d'une analyse particulièrement intéressante de l'influence de la pensée « sauvage » sur la pensée occidentale, avec notamment l'exemple du chef wendat Kondiaronk.

La naissance de l'État – et donc la ques­tion du pouvoir – constitue le coeur de l'ouvrage. C'est pourquoi D. Graeber et D. Wengrow reviennent d'abord sur la révolution agricole considérée géné­ralement comme inéluctable et comme indissociable de l'émergence des premiers États. Ils montrent que de nombreuses sociétés s'efforcèrent au contraire de ne pas y recourir et adoptèrent même des traits culturels opposés à leurs voisins selon un processus de « schismogénèse » qu'ils mobilisent fréquemment. Les auteurs défendent également l'idée que l'adoption de l'agriculture n'entraînait que rarement la clôture des champs et que la propriété privée apparut plutôt dans des contextes sacrés. Ils soulignent enfin l'importance des femmes dans l'émergence des techniques agricoles, parlant de savoir féminin. Ils poursuivent leur réfutation de la vision évolutionniste de l'histoire en s'opposant également à la théorie des quatre stades (bande, tribu, chefferie et État). Ils distinguent à la place trois formes élémentaires de domination (par la violence, le savoir, ou le charisme) pouvant chacune se « cristalliser sous une forme institutionnelle propre – souverai­neté, administration, politique héroïque » (p. 525) mais qui s'associent aussi pour former différents types de régimes.

Tout au long du livre, l'antiquisant trou­vera ample matière à réflexion et à remise en cause de ses propres préjugés. Un des exemples les plus frappants est ainsi le refus de considérer les mégasites ukrainiens et moldaves (1 000 habitations réparties sur 300 ha à Taljanky au IVe millénaire par exemple) comme de véritables villes car on n'y trouve aucune trace d'État. D'autres exemples, comme ceux des logements sociaux dans certaines villes américaines, montrent que la vie en ville n'impliquait pas nécessairement un gouvernement vertical. L'étude des changements saisonniers de l'ordre social chez certains peuples renverse la perspective puisque l'on s'intéresse habituellement au rapport entre pouvoir et espace. Les auteurs s'intéressent enfin au jeu, notamment rituel, et à son rôle comme terrain d'expérimentation sociale. L'étude du caractère spectaculaire du pouvoir les conduit également à s'interroger sur le pouvoir réel de certains chefs (comme le Grand Soleil des Natchez) qui ne dépasse parfois guère leur environnement immédiat.

L'ouvrage fourmille d'exemples, souvent peu connus des antiquisants, qui sont autant d'invitations au comparatisme et à changer notre regard sur les institutions antiques. Il offre également de nombreuses idées, plus ou moins originales, qui, si elles n'emportent pas toujours l'adhésion, ont le mérite de susciter la réflexion et de suggérer de nouvelles pistes de recherches. On peut toutefois regretter deux choses. L'écriture à quatre mains, le décès de D. Graeber avant la finalisation du manuscrit et sa longue gestation (près de dix ans) donnent le sentiment d'une suite de dossiers juxtaposés faisant parfois perdre le fil de la démonstration. Ensuite les opinions et arguments contraires sont évacués un peu rapidement (comme le reconnaissent les auteurs p. 649). Il n'en demeure pas moins que cette lecture est doublement salutaire. D'abord, comme citoyen, parce que ce livre déborde d'optimisme : en présentant l'incroyable diversité des expériences sociales de l'humanité, les auteurs incitent à poursuivre cette expérimentation pour résoudre les problèmes contemporains. Ensuite, comme historien, parce qu'il nous pousse à l'introspection et à réfléchir aux préjugés qui nous hantent et qui freinent notre compréhension de l'altérité des sociétés antiques.





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Voila un livre dont le titre aurait pu être "contre histoire de l'humanité", tant le but poursuivi par les deux auteurs, David Graeber anthropologue américain anarchiste et David Wengrow archéologue anglais spécialiste du moyen orient, est de déconstruire les mythes sur lesquels reposent notre vision du passé de l'homme.
Au premier rang de ceux ci figurent le mythe du bon sauvage "déchu" développé par J.J Rousseau et son symétrique inversé, "la guerre de tous contre tous" de Hobbes, nécessitant la construction d'un Etat fort.
Dénonçant les mises à jour qu'en font Harrari ( ROUSSEAU ) et Diamond ( HOBBES) , les auteurs passent en revue les hypothèses qui poussent à d'autres interpénétrations: ainsi les hommes du paléolithique ne vivaient pas nécessairement dans des petits groupes égalitaires, mais à certaines saisons pouvaient se rassembler en groupes importants pour certaines chasses, en mettant en oeuvre des forces de police spécialisées. Ainsi la coopération était possible plutôt que la guerre, et l'inégalité promue provisoirement.
Tout au long du livre les auteurs attaquent d'autres mythes comme la révolution néolithique car l'invention de l'agriculture n'aurait rien eu de fulgurant et aurait été pratiquée de manière transitoire et intermittente pendant des millénaires, voir refusée par certains groupes qui la connaissait pourtant parfaitement. Un phénomène important de comportements des hommes à l'échelle des sociétés serait d'ailleurs la shismogénèse qui induit des pratiques culturelles opposées pour des groupes au contact les uns des autres, plutôt que des oppositions à plus grande échelle.
Le mouvement aboutissant à la création des villes ne proviendrait pas d'une complexité engendrée par l'agriculture car d'une part l'administration s'est développée dans les villages pour tenir la comptabilité complexe des dettes et des créances de travail entre les habitants, et d'autre part les villes ont fonctionné sur un mode démocratique soit dans leur phase initiale ( villes sans roi), soit ont remis en cause la centralisation du pouvoir inégalitaire ( Théotihuacan et l'invention du logement social).
Enfin les origines de l'Etat actuel ne serait pas nécessairement à rechercher dans les grandes civilisations antiques ( Égypte, Empire inca, Chine...) car il manque systématiquement une dimension au mode de pouvoir exercé dans ces civilisations ( d'ailleurs le terme est également à questionner).

Même si parfois on se perd dans le dédale des groupes humains, villes antiques et civilisation évoquées,l'important est certainement le voyage entrepris par le lecteur, qui le met en rapport avec l'intelligence des hommes en lien avec l leur environnement et l'influence que les uns peuvent avoir les autres ( ainsi des indiens d'Amérique sur les lumières européennes et donc sur le monde occidental actuel).

Ce qu'il faut retenir de ce gros livre très riche c'est le caractère protéiforme de l'organisation passée des hommes et donc des possibilités que cela ouvre pour l'avenir, rien ne semble gravé dans le marbre et rien ne permet de dire à priori comment une situation donnée va évoluer, ce livre peut être ainsi considéré comme un hymne à la liberté des hommes, d'ailleurs il y en aurait trois dont la dernière, la liberté de repenser l'organisation sociale nous resterait accessible.
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Je viens enfin à bout de ce gros pavé de plus de 700 pages que j'ai traîné tous l'été à tel point qu'il s'est à présent désolidarisé en plusieurs morceaux. Les auteurs, de sensibilité anarchiste, se sont donné pour objectif d'apporter une réponse nouvelle à la question souvent posée de l'origine des inégalités sociales. Dans ce but ils montrent que c'est une erreur de croire que l'histoire de l'humanité à été linéaire. On serait passé des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs avec la fameuse révolution néolithique, sorte de point de non retour. Avec l'agriculture viendraient la propriété privée -et donc les inégalités- les villes et enfin l'État. En fait, nous disent-ils, les archéologues et anthropologues occidentaux ont trop souvent analysé les sociétés qu'ils étudiaient au prisme de celle dans laquelle ils vivaient. Mais les êtres humains ont été, à travers les temps, capables d'une grande imagination sociale et ce n'est pas parce qu'un mode de vie n'existe plus qu'il n'a jamais existé. Les auteurs prennent leurs exemples chez des peuples de la préhistoire, de l'antiquité ou chez des peuples premiers.

J'ai été particulièrement intéressée par ce qui est dit de ces organisations sociales originales et diverses. J'ai trouvé fascinante la variété qui nous est présentée. J'apprends ainsi que certains peuples ont été socialement et politiquement organisés de façon saisonnière : vivant une partie de l'année en petits groupes autogérés, l'autre en grands rassemblements sous l'autorité d'un chef tout puissant capable d'organiser la construction de monuments d'envergure (Stonehenge). Les grandes vacances à la française sont présentées comme une survivance de cette organisation.

L'inéluctabilité de la révolution néolithique est remise en question : des peuples qui auraient pu le faire ont refusé d'adopter l'agriculture, d'autres l'ont fait puis sont revenus en arrière. Dans le Croissant fertile le passage à l'agriculture est un processus qui dure 3000 ans, elle est d'abord saisonnière à la saison des pluies en complément de la chasse et de la cueillette. Enfin l'agriculture n'est pas née dans le seul Croissant fertile. Il existe de nombreux berceaux indépendants de la domestication des plantes et des animaux et on en découvre encore de nouveaux.

J'apprécie que les auteurs aient à coeur de questionner le regard occidentalocentré des historiens et anthropologue du temps passé. C'est une critique décoloniale que j'ai croisée à plusieurs reprises dans mes lectures cette année (Les femmes aussi sont du voyage, Une femme à la mer, L'exploration du monde) et que je trouve très intéressante. Il existe de sérieuses raisons de penser, nous disent les auteurs, que les penseurs des Lumières ont puisé les idées de liberté individuelle et d'égalité dans les récits de débats avec des Amérindiens écrits par des missionnaires.

Il est aussi question dans cet ouvrage des premières villes, qui sont plus anciennes qu'on ne le croyait et de la façon dont elles étaient gérées, qui n'était pas nécessairement verticale ; de sociétés qui s'organisent pour éviter les différences sociales.

C'est une lecture que j'ai appréciée. Si les auteurs revendiquent d'avoir placé au coeur de leur réflexion des civilisations insolites, habituellement considérées comme marginales, leurs thèses sont étayées par de nombreuses sources et donnent à réfléchir. C'est une mise au point bienvenue sur l'état de la recherche contemporaine en archéologie.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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Rousseau, Hobbes. Hobbes, Rousseau.
Voilà un livre de plus sur cette inoxydable opposition : L'homme était à « l'origine » fondamentalement bon – un bon sauvage - mais fut perverti par l'irruption de la société et notamment de sa funeste propriété privée. Voilà pour Rousseau. L'homme est fondamentalement mauvais et la société doit veiller pour lui à ce qu'il ne sorte pas trop des clous, ce qui justifie la centralisation du pouvoir… Voilà pour Hobbes.

Bref, la question que posent les auteurs est : Peut-on raconter UNE histoire de l'humanité ? Existe-t-il un "méta récit "? C'est le défi que tentent de relever Wengrow et Graeber. Ils ne sont évidemment pas les premiers. le nombre de livres sur le sujet remplirait une bibliothèque ! Harari et son Sapiens, Rutger Bregman et son Humankind, Eric Chaisson et son Evolution cosmique, Raymond Aron, Louis Rougier, Arnold Toynbee, Karl Marx, Renan, et combien d'autres…

Je ne tenterai pas un résumé ici. Trop long. Trop fastidieux.

Je retiens deux choses :

Premièrement : C'est une « somme » de 667 pages dont l'érudition, le sérieux, la richesse et les partis-pris scabreux ne peuvent pas être contestés. Ces deux auteurs sont des encyclopédies. A lire pour les passionnés de ce type de récit globalisant. Pour les autres, je conseille un bon film !

Deuxièmement : L'histoire de l'humanité est un camaïeu inextricable de tentatives et de tâtonnements en tous genres, avec des allers et retours, des chutes, des renaissances, des bifurcations, des hybridations, des progrès et des rechutes, des avancées et des reculades, et toujours, toujours beaucoup de morts. Autrement dit, il n'existe pas Une Histoire de l'humanité mais des histoires. Ce qui renvoie Rousseau et Hobbes à leurs chères études pour avoir dit beaucoup d'âneries.

C'est ce que j'emporte avec moi.

Ce qui a une conséquence simple : rendre impossible de prédire le chemin qu'empruntera l'humanité.
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« Un livre monumental d'une extraordinaire portée intellectuelle dont vous ne sortirez pas indemne et qui bouleversera à jamais votre perception de l'histoire humaine. »

Wahou ! Cet extrait de la quatrième de couverture est irrésistible. Il est bien fait pour attirer l'attention de tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'humanité, aux civilisations et à l'évolution de nos sociétés en général. Qu'en est-il vraiment ?

J'ai lu la totalité de l'ouvrage sans sauter une page soit 662 pages j'ai même jeté un oeil attentif sur la monumentale bibliographie (environ 100 pages), j'ai même lu les notes (en fait pas systématiquement surtout en fin de lecture). Je reste un peu sur ma faim. de quoi s'agit-il ? Quelle est la thèse des auteurs ? Écoutons-les :

« Ce livre tente d'ébaucher une autre voie, un autre récit plus optimiste et plus cohérent » (page 16).
« La grande histoire de l'humanité qu'on nous raconte depuis des années n'a rien voir avec la réalité. Il faut revenir sur nos pas, à commencer par l'idée selon laquelle l'évolution devrait être classée en fonction de stades de développement définis par des technologies et des modes d'organisation ; les chasseurs-cueilleurs, les cultivateurs, les sociétés urbaines industrialisées, etc. »(Page 17).

Les auteurs citent Turgot pour démontrer que cette théorie est devenue la doctrine officielle « Turgot soutenait que le progrès technologique est le principal moteur des grandes améliorations sociales. L'évolution sociale expliquait-il commence toujours par le stade des chasseurs-cueilleurs, se poursuit par celui du pastoralisme, puis de l'agriculture et se termine par la civilisation commerciale urbaine moderne » (Page 85).

« Aujourd'hui, un pourcentage infime des habitants de la planète tiennent entre leurs mains la destinée de tous les autres et ils la gèrent de manière de plus en plus catastrophique. Ce livre tente de comprendre comment nous en sommes arrivés là. (Page 104)

Les auteurs s'opposent à une thèse “officielle” qui tendrait à démontrer que le passage à l'agriculture qui a permis la formation de stock de denrées a rendu nécessaire de trouver des moyens de protection contre les pillards, nécessité qui aurait entraîné à son tour le besoin de mettre en place un système de domination aboutissant à l'émergence de l'État pour assurer l'ordre. C'est une fable répondent les auteurs (page 169).

Tout au long du livre les auteurs posent ainsi d'excellentes questions, mais sans y répondre réellement. Ils nous font voyager à travers 30 000 ans d'histoire en passant d'un pays à l'autre, d'une civilisation à l'autre, de tribu en tribu en s'attardant parfois sur tel ou tel clan ou chefferie dont il ne reste que quelques vestiges archéologiques pour tenter de montrer que les sociétés anciennes, comportant des effectifs réduits, avaient trouvé des modes de fonctionnement qui n'avait rien à envier à nos états modernes et qui au contraire étaient plus respectueuses des libertés individuelles. Les questions à résoudre sont reportées de chapitre en chapitre, les auteurs n'apportent pas de réponses définitives et semblent vouloir nous tenir en haleine en nous promettant à chaque fin de chapitre que le lecteur va enfin découvrir des réponses au chapitre suivant. La thèse défendue depuis le début du livre est que des implantations humaines ordonnées pouvaient connaître des extensions spectaculaires sans entraîner une concentration de richesses ou de pouvoir entre les mains d'une élite dirigeante. Une sorte d'éloge de l'anarchisme ? Pourquoi pas, mais peu convaincante néanmoins.

Ce livre témoigne d'une érudition brillante sur les centaines d'organisations sociales qui se sont développées de façon non linéaire à travers le monde sur plus de 30 000 ans, à ce titre il présente l'intérêt de nous montrer la diversité et la créativité des populations, des clans, des tribus qui ont du trouver des solutions pour résoudre les problèmes liés à la sécurité, l'alimentation, l'organisation pour la survie de leurs membres. D'une certaine manière il répond bien au thème annoncé dans le titre, ce livre raconte “une nouvelle histoire de l'humanité”. Toutefois il serait plus précis de dire qu'il raconte l'histoire de l'humanité d'une autre façon, sous un angle différent en mettant l'accent sur des modes d'organisation alternatifs à celui que connaissent nos états modernes. Il nous suggère ainsi que nous pouvons certainement envisager pour l'avenir d'autres modes de fonctionnement que celui d'un état centralisé dominé par le sexe masculin et qui tend à restreindre les libertés qui semblaient si appréciées par les anciens chasseurs-cueilleurs.

Pour terminer une petite citation qui fait écho à l'actualité guerrière de notre époque :

“Les humains ont une regrettable tendance à prêter une qualité quasi divine aux individus qui réussissent à exercer une violence gratuite, ou en tout cas assimilant cette dernière à une forme de pouvoir transcendantal…” (Page 501)

ou encore

Proverbe mongol : “On peut conquérir un royaume à cheval, mais il faut en descendre pour le gouverner.” (Page 566).
Une pensée que devrait méditer un certain président Poutine.

Un livre intéressant, mais ce n'est pas une révélation, un peu trop bavard, trop de faits exposés par rapport aux idées, lesquelles ne sont pas assez nombreuses ni assez développées.

- “Au commencement était… Une nouvelle histoire de l'humanité”, David Graeber et David Wengrow, LLL (Les liens qui libèrent) 2021, 745 pages.
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