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Après l'excellent Alpinistes de Staline, prix Albert Londres du livre en 2020, Cédric Gras vient de publier Alpinistes de Mao.
Après s'être plongé au coeur du système stalinien avec une enquête littéraire sur les frères Abalakov, ces célèbres alpinistes, héros des cimes en URSS et pourtant victimes de la Terreur, Cédric Gras revient avec une épopée quasi similaire, inconnue, tragique, gonflée d'idéologie et malgré tout héroïque.
L'auteur était passé à d'autres projets mais a été intrigué en 2020 par un long métrage sorti en Chine, Pan deng zhe, The climbers, une grosse production shanghaïenne avec Jackie Chan qui promettait rien de moins que la première ascension septentrionale de l'Everest par des alpinistes chinois en 1960.
Se posent à lui mille interrogations « Comment les avait-on choisis dans cette Chine populeuse, une poignée parmi des millions ? Par quel miracle les expéditions s'étaient-elles faufilées entre les combats qui faisaient rage au Tibet ? Que s'était-il vraiment passé sur les flancs septentrionaux de l'Everest ? Et puis qu'était-il advenu d'eux par la suite, entre Grand Bond en avant et Révolution culturelle, au milieu des ravages et des arrestations ? Je pressentais que les soldats des cimes n'avaient pu échapper à la fièvre de ces décennies. Que, pour être allés à 8000 mètres, ils n'en avaient pas moins été tributaires des affaires du siècle. »
Cédric Gras ayant plusieurs fois voyagé en Haute Asie, ayant eu accès à des documents inédits réussit à réunir une somme non négligeable d'informations qui vont lui permettre de répondre à ses questions et de reconstituer la véritable chronique des Alpinistes de Mao, le destin hors norme de ces prolétaires que rien ne prédestinait au vertige des cimes.
À partir des années 1950, il devient intolérable pour Pékin que les plus hauts sommets de l'Himalaya soient l'apanage des capitalistes occidentaux. de plus, les Chinois étant en train d'annexer le Tibet, cette ascension par la face nord serait une manière d'achever la conquête de ce territoire. « Pour la Chine, gravir l'Everest revient en réalité à le revendiquer ! » C'est donc pour eux très important aussi bien politiquement que géographiquement.
Pour raconter cette expédition Cédric Gras s'est concentré sur deux des alpinistes qui y ont participé, à savoir Xu Jing et Liu Lianman, deux hommes qui n'avaient jamais vu de montagnes. En 1960, le Parti communiste chinois les choisit avec d'autres camarades sélectionnés parmi des ouvriers en forme dans les usines et des maoïstes zélés dans les syndicats pour porter au sommet de l'Everest (Qomolangma) un buste de Mao Zedong.
Dans ces années 1950, il n'y avait aucun alpiniste en Chine. Ils feront donc leurs gammes au Caucase, sous la houlette des guides russes avant de s'aventurer au-dessus de 8000 mètres.
La conquête chinoise du Qomolangma prévue en 1959 sera ajournée en raison du soulèvement tibétain. L'équipe d'alpinistes découvre en effet un Tibet en ébullition et un Dalaï-lama en fuite vers l'Inde.
Après ce report, c'est au printemps 1960 que l'ascension de l'Everest peut avoir lieu avec Xu Jing, Liu Lianman, Wang Fuzhou, Qu Yinhua, Gonpo et leurs compagnons de cordée, « une expédition d'état pour raison d'état, entièrement placée sous les ordres des autorités militaires ». Quatre batailles : trois acclimatations et puis l'assaut sont la stratégie utilisée.
Le 25 mars 1960, Wang, Qu et Gonpo atteignent le sommet, à 8 882 mètres d'altitude, où ils plantent un drapeau chinois et déposent un buste de Mao en plâtre… Cette ascension hautement politique sera toutefois nimbée de mystère, le drapeau et le buste ne seront jamais retrouvés, aucune photo n'a été prise, aucune trace de leur passage ne sera jamais relevée ultérieurement, des incohérences dans les récits, la plus grande confusion entoure cette ascension. Bref, aucune preuve, de quoi semer au moins le doute… Mais en Chine, pas de place pour le doute.
Qu'à cela ne tienne, qu'ils soient parvenus au sommet ou pas ( ils y parviendront le 26 mai 1975, mieux équipés et sans aucun doute cette fois), ce qui est important c'est qu'ils étaient prêts à tout affronter pour porter ce buste au sommet et faire flotter le drapeau rouge, prêts à sacrifier leur vie pour le Parti.
Ce qui est fabuleux dans cet ouvrage qui se lit comme un récit d'aventure, c'est de découvrir un pan méconnu de l'histoire de la Chine.
Avec ces prolétaires que rien ne prédestinait aux vertiges des cimes, dont Cédric Gras a reconstitué le destin, nous assistons à la colonisation et au génocide culturel du Tibet, vivons cette époque du Grand bond en avant avec effarement et voyons se propager le rouleau compresseur de la propagande anéantissant toute velléité.
Même ces valeureux hommes, ces pionniers de l'alpinisme chinois encensés et portés en triomphe après leur exploit à la gloire de leur chef n'échapperont pas aux camps de rééducation de la Révolution culturelle…
Cédric Gras a su souvent à partir de maigres renseignements ou photos donner une dimension humaine à ses personnages, n'hésitant pas à évoquer une ressemblance entre le jeune Xu Jing et le personnage de Tchang dans Tintin au Tibet, nous permettant ainsi de le visualiser aussitôt !
Ce sont donc comme je l'ai déjà souligné, les implications contextuelles historiques, politiques et géopolitiques de l'époque qui m'ont interpellée. Comment ne pas être incrédule, tétanisé et horrifié, aucun mot n'est à la hauteur, en prenant connaissance des millions de morts qu'a engendré ce Grand bond en avant avec la collectivisation à outrance et la famine qui en a découlé, famine considérée comme la plus meurtrière de l'humanité, sans oublier les laogais, ces camps de rééducation par le travail ou camps de travaux forcés.
Alpinistes de Mao, de Cédric Gras, un livre captivant et hyper instructif, est à lire absolument, à l'heure où la Chine est aujourd'hui plus que jamais sur le devant de la scène internationale !
Un immense merci à Simon et Pauline pour m'avoir offert ce passionnant ouvrage pour mon anniversaire.

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Je n'ai pas lu "Alpinistes de Staline" qui a précédé ce livre, mais peu importe, il s'agit d'une autre épopée même si elle parle aussi d'un pays communiste et totalitaire
L'auteur le dit lui-même, il a manqué de documents et de biographies pour écrire cette enquête sur les pionniers chinois de l'alpinisme et plus particulièrement l'ascension de l'Everest que les Chinois nomment le Qomolangma (alors que côté indien son nom est Sagarmatha !)
Jusqu'en 1960, ce sont les anglais Tenzing et Hillary qui sont les seuls à avoir atteint le sommet en 1953, mais c'était par la voie du côté népalais. Quant aux anglais Irvine et Mallaury disparus en 1924, rien ne prouve qu'ils aient atteint le sommet avant leur mort.
Le grand timonier rêve d'une conquête chinoise du plus haut sommet du monde, une première, c'est un projet insensé lorsqu'on sait que l'alpinisme est un sport méconnu en Chine. Mais qu'importe ! Avec l'aide des soviétiques, plus aguerris et expérimentés, les chinois balbutiants apprennent les bases de l'alpinisme. C'est un projet politique car Mao veut sa conquête du plus haut sommet du monde pour prouver sa suprématie sur le monde capitaliste. Pour plus de précautions, l'accès à l'Everest chinois est interdit aux étrangers.

« Ce sont les anglais qui ont appris à ce bas monde que l'Everest en était le toit. La rhétorique maoïste prétend, elle, que la cime était portée sur d'anciennes cartes chinoises tout en qualifiant les Britanniques de « bêtes incultes ». Il est vrai que les Tibétains connaissaient cette montagne depuis la nuit des temps. »

Il y aura plusieurs tentatives stoppées par le mauvais temps.
Le soulèvement du Tibet en 1959 va retarder et compliquer l'expédition. Elle sera réprimée violemment et fera des milliers de victimes. Quant au Dalaï-lama, il réussira à fuir pour se réfugier en Inde.
Après moult difficultés, trois hommes, Qu Yinhua, Wang Fuzhou et le tibétain Gonpo atteindront le sommet du Qomolangma à 8848 m d'altitude dans la nuit du 24 au 25 mai 1960. Cette victoire, c'est la revanche de la chine communiste mais quel crédit donner à cette prouesse face au récit plein d'imprécisions des alpinistes et au manque crucial de preuves ? le monde occidental doute, l'exploit semble trop beau car l'ascension s'est terminée de nuit, ce qui expliquerait l'absence de photo prouvant la véracité de l'exploit. Les conditions de survie à cette altitude sont difficiles. On appelle cela la « zone de mort » car le taux d'oxygène y est trois fois inférieur par rapport au taux au niveau de la mer. Il faut donc respirer avec des cartouches d'oxygène et chaque geste demande un effort colossal. Cette victoire ne sera jamais remise en cause par le pouvoir chinois qui prône l'exploit politique et l'amour de la patrie en ignorant la performance sportive qui prônerait l'individu au détriment du collectif.
En parallèle de cette conquête des sommets l'auteur nous initie à la politique maoïste et à ses excès. On pouvait être déporté dans les laogai, camps de rééducation par le travail, simplement pour une phrase malheureuse ou sur une dénonciation calomnieuse.

Après un début un peu fastidieux, ce récit m'a intriguée et passionnée car, au-delà d'une conquête des sommets, il s'agit bien de l'histoire d'un régime totalitaire qui a voulu faire de la conquête de l'Everest un triomphe politique. Malgré toutes ces zones d'ombre et le peu de documents à disposition, Cédric Gras réussit à reconstituer le destin de ces alpinistes de Mao.


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Après “Alpinistes de Lénine”, que je vais lire sous peu, Cédric Gras s'est attaqué l'histoire des Alpinistes de Mao ! Les choses ne furent pas aisées car la propagande et l'amour du Parti, du moins du Grand Timonier, ont biaisé tous les événements, les relatant à la sauce maoïste !

Il n'a pas fait l'impasse sur les événements politiques et sociétaux qui se sont déroulés, pendant ce qu'on peut appeler l'épopée de la conquête de l'Everest par la Chine communiste !

Dans la mesure où il est difficile de décider si la première arrivée au sommet est réelle ou affabulée, j'ai été plus intéressée et touchée par le sort qui était fait au Tibet et aux masses populaires chinoises avec plusieurs millions de morts !

Revanche de l'Histoire, il semble que ça soit un tibétain, fortement sinisé ceci dit, qui ait mis les pieds en premier sur le Toit du Monde !

Peut-être ne saurons-nous jamais ce qu'il en est car il n'est pas certain que les archives, ultra-secrètes, soient elles-mêmes véridiques.

Un livre qui se lit comme un roman mais je n'ai pas réussi à ressentir d'empathie pour les protagonistes car ils ne pouvaient faire preuve d'humanisme et ne pouvaient se comporter autrement que des marionnettes !

#AlpinistesdeMao #NetGalleyFrance

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Aujourd'hui je vais évoquer Alpinistes de Mao récit et enquête de Cédric Gras. Ce texte s'inscrit dans la lignée d'Alpinistes de Staline publié en 2020. L'auteur est un voyageur et un alpiniste émérite et outre ses récits de voyage il s'intéresse au destin d'hommes (très peu de femmes) qui ont conquis des sommets pour glorifier des régimes politiques communistes sanguinaires. Il précise en préambule : « j'ai entrepris de reconstituer, autant que faire se peut, la véritable chronique des alpinistes de Mao. » Mais force est de constater que cette ambition se heurte aux sources disponibles, la propagande maoïste ayant neutralisé les données fiables ce qui fait que : « la vérité n'est pas disponible. Contrairement aux archives soviétiques, celles de Pékin, si elles existent, demeurent inaccessibles. »
Alpinistes de Mao est à la fois un récit circonstancié de cordées à l'assaut des plus hauts sommets de la planète et un traité de géopolitique appliqué. Cédric Gras couvre plus de cinquante ans d'himalayisme chinois en rendant hommage et en réhabilitant plusieurs alpinistes émérites. La prégnance du parti communiste est constante, la sélection des candidats n'est pas basée sur des compétences physiques et sportives mais sur un choix dicté plus par les accointances. Les liens entre le régime de Pékin et celui de Moscou sont utilisés pour les premières formations et les prémisses des expéditions chinoises. L'auteur explique que : « Moscou avait un intérêt concret dans la formation de Xu Jing et de ses camarades. L'aide alpinistique à la Chine n'eut jamais qu'un but : l'Everest et la naissance d'un himalayisme socialiste. » Cédric Gras exploite les quelques sources disponibles pour relater plusieurs tentatives d'ascensions dantesques. L'équipement n'est pas adéquat, le régime ne tolère que le succès ; les échecs et les morts sont dissimulés. Force est de constater au début des années 1950 que : « l'élite balbutiante de l'alpinisme chinois est décimée. La première expédition nationale est une victoire à la Pyrrhus. Ils chercheront en vain les corps sur le glacier qui draine la face ouest, à l'aplomb de la paroi dans laquelle ont plongé leurs camarades. » L'objectif reste la conquête de l'Everest via le Tibet, quel qu'en soit le prix : il faut montrer que la Chine est une grande nation qui triomphe. Pourtant : « avec le Tibet, la Chine est éminemment aérienne, mais ses himalayistes ne brillent guère. (...). L'ascension de l'Everest se négocie dans les plus hautes sphères et Liu Lianman apprend qu'il va faire partie d'une mission de reconnaissance. » Cet homme avec quelques-uns de ses compagnons de cordée est un héros anonyme, un sacrifié à l'autel de la gloire de Mao. Car ce qui compte est d'atteindre le sommet et d'y planter une statuette à l'effigie du grand timonier. Il faut comprendre que : « la conquête des éminences himalayennes fut une affaire de prestige pour les puissances occidentales, elle était un enjeu territorial pour la Chine. (...). Si la conquête de l'Everest fait partie des objectifs du Grand Bond en avant, elle a lieu à l'acmé de son échec. » Au fil des ans, tandis que la population est décimée par la famine, les expéditions se succèdent sur les pentes raides. « La Chine interdit désormais l'accès du Tibet au reste du monde et les hauts plateaux sont murés dans le silence du régime communiste. le versant nord de l'Everest est devenu chasse gardée, promise à leurs cordées. La victoire est inéluctable. (...). L'himalayisme maoïste est avant tout politique, non une liberté d'Occidental épris d'altitude. » le récit met en exergue les conquérants et leurs exploits dont certains restent contestés.
Alpinistes de Mao est un récit palpitant malgré les zones d'ombres et les incertitudes qui sont vouées à demeurer. Cédric Gras indique que : « les mensonges sont un classique de l'himalayisme. Les ascensions sont comme les tableaux dans les musées, les experts estiment à trente pour cent le nombre de faux. »
Voilà, je vous ai donc parlé d'Alpinistes de Mao de Cédric Gras paru aux éditions du Stock.

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Gravir le Mont Everest par le versant Nord et déposer au sommet un drapeau chinois et un buste de Mao, telle est la mission confiée en 1955 à de jeunes militants communistes. Inexpérimentés, ils vont découvrir l'alpinisme et s'entraîner avec leurs "frères" russes. Suivent cinq années d'expéditions en Haute Asie, de missions de reconnaissance et d'ascensions avortées.
Après des mois d'enquête, Cédric Gras a pu reconstituer cette aventure humaine exceptionnelle. le roman qu'il nous offre est un récit minutieux de ces années : il raconte les camps de base, les escalades, l'extrême fatigue et les engelures des alpinistes... mais aussi le contexte politique de cette période (la révolte écrasée des tibétains, la misère des populations, les camps de rééducation...)
Cette histoire n'est pas romancée : certaines zones d'ombre persistent, l'auteur les explique et veille à ne pas les combler. Cet effacement de l'écrivain devant l'historien rend le texte moins captivant qu'il n'aurait pu être.
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Encore un ouvrage fascinant de Cédric Gras. Après s'être intéressé au frères Abalakov, des Alpinistes soviétiques à la vie rocambolesque, il se tourne désormais vers la Chine communiste et sa tentative d'ascension de l'Everest côté Tibet.

Encore une fois le travail de recherches et de documentations pour alimenter un tel ouvrage que personne à part lui n'aurait eu l'idée d'écrire est titanesque.
Un travail de fourmi encore plus ardu que le précédent ouvrage.
Ici Cédric Gras a dû trier le bon grains de l'ivraie de sources Maoïste sujettes à cautions. le travail est journalistique certes mais c'est avant tout un ouvrage littéraire ambitieux qui s'adresse à tous, amateurs d'alpinismes ou non.
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Alpiniste, géographe, russophone, Cédric Gras a publié il y a quelques années [Alpinistes de Staline], qui raconte l'histoire de deux alpinistes russes d'abord gloires du régime puis cibles des purges staliniennes. Un livre qui a connu valu à son auteur un certaine succès, tant en librairie que de la part de ses pairs puisqu'il a reçu le prix Albert-Londres.
Je dis tout cela parce qu'[Alpinistes de Mao] ressemble fortement à une sorte de suite de ce premier livre. C'est un peu Les Alpinistes, le retour. Mais comme au cinéma, Les Alpinistes, le retour n'est pas à la hauteur de l'original (que je n'ai pas lu, je me fie ici aux critiques lues à droite à gauche et au prix sus cité). D'abord, même si on retrouve dans l'aventure de l'alpinisme chinois une même volonté d'afficher à travers le sport la grandeur d'un pays (mais la diplomatie du sport, dont on parle beaucoup aujourd'hui, n'est pas l'apanage des pays communistes me semble-t-il), même si l'on retrouve cet enchaînement de grâce et de disgrâce (mais l'adage ne dit-il pas que plus haute est l'ascension, plus dure est la chute), il me semble un peu artificiel de plaquer la recette qui a fonctionné pour les alpinistes de Staline ou ceux de Mao.
Ce parallèle entre les deux bouquins (encore une fois, je n'ai pas lu le premier, mais l'auteur ne se cache pas de cette volonté de parallèle) rend déjà l'exercice périlleux. Mais si l'on ajoute à cela le manque de documents auquel Cédric Gras a dû faire face dans cette deuxième enquête et le fait qu'il ne parle pas la langue (à la différence du russe), le résultat m'a paru bien artificiel. Et Cédric Gras ne peut que palier à l'absence de documents et à sa moindre connaissance du contexte que par l'alignement de lieux communs sur le régime maoïste et sur la culture chinoise, épiloguant sur ce que peut dire un regard ou une coupe de cheveux sur une photo un peu floue qui est l'unique témoignage d'une ou l'autre d'une des péripéties qu'il nous raconte… Cela est bien léger et trop trivial.
En définitive, j'imagine que ce livre est à réserver aux inconditionnels de l'alpinisme international, qui y trouveront tout de même des faits dont ils n'ont peut-être jamais entendu parler et qui ne manquent pas d'originalité ni d'exotisme glacé. Pour les autres, mieux vaut probablement lire l'original et rester sur les pics Staline et les pics Lénine en compagnie des frères Abalakov.

Merci aux éditions Stock de m'avoir permis de découvrir ce livre, via netgalley.
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Cédric Gras s'est fixé comme objectif de faire découvrir une histoire pas facile à raconter : celle de la conquête de l'Everest par la Chine de Mao. Mais ce n'est pas une histoire facile à raconter car les sources ne sont pas abondantes.

Cette conquête ne s'est pas faite à partir de l'initiative individuelle d'un alpiniste passionné comme Georges Mallory, qui en est mort, ou Edmund Hillary et Tenzin Norgay qui ont réussi et ont abondamment raconté l'histoire. Elle est issue de la volonté toute puissante de Mao et du PC chinois. le but était la grandeur de la Chine communiste, la conquête d'un territoire jusqu'à son extrémité et la démonstration que le peuple pouvait tout faire; que les masses sont plus puissantes qu'un individu.
Le régime communiste va donc sélectionner des camarades bons communistes et sportifs. Peu importe qu'ils n'aient aucune expérience de la montagne, ni aucun intérêt particulier pour celle-ci. On ne va quand même pas leur demander leur avis. Il faut porter le buste de Mao au sommet de l'EVEREST et par sa face chinoise. L'échec n'est pas envisageable et leur engagement au service du grand timonier est sans faille.

Cédric Gras a eu vent de cette histoire lorsqu'il faisait des recherches pour un livre précédent consacré aux alpinistes de Lénine. Des témoignages racontaient la formation d'alpinistes chinois envoyés par le pays frère. Les Russes soulignaient tant leur totale inexpérience que la force de leur engagement et de leur volonté. L'auteur a donc voulu en savoir plus. Mais les sources chinoises sont plus difficilement accessibles et il faut savoir faire l'exégèse de la propagande maoïste. Par ailleurs, les protagonistes se sont peu exprimés à l'exception de Liu Lianman, d'autant que certains ont, malgré leur dévouement et leur abnégation dans cette mission parfois délirante, été victime de la révolution culturelle par la suite. L'alpinisme est alors devenu signe de déviance bourgeoise, a déclaré le Grand Timonier.

Xu Jing, Liu Lianman, le tibétain Gonpo, les trois principaux acteurs de cet expédition méritent de voir leurs noms cités car leur exploit est impressionnant quoi qu'il en soit. Même si on doute au terme de la lecture que les chinois aient réellement atteints le sommet de l'Everest le 27 mai 60 comme l'affirme la propagande communiste : aucune preuve matérielle et trop d'invraisemblances soulignées par ceux qui ultérieurement ont réalisé la même ascension. Malgré tout, ces trois hommes et quelques autres sont arrivés très haut, probablement au delà des 8000, alors qu'ils ne connaissaient rien à la montagne. Ils ont soufferts et endurés dans leur corps et dans leur esprit.

Le récit part de la préparation avec les alpinistes russes, essaie de retracer les quelques bribes de la vie des protagonistes, ouvriers ou paysans ordinaires, les ascensions préparatoires. En toile de fond à cette époque, le soulèvement du Tibet de 1959 et la fuite du Dalaï Lama ralentissent les projets d'ascension.
Puis c'est la description, la reconstruction de la tentative d'ascension à base de la propagande chinoise compensée par les témoignages et l'expérience d'autres alpinistes qui permettent de poser un regard critique. On voit une véritable armée s'organiser : construction de routes, livraisons de tonnes de matériel, d'alimentation, mobilisation de centaines de personnes Au final, reste le mystère des derniers mètres de dénivelé et de ce qui s'est réellement passé....

Puis au retour ce seront d'abord les honneurs puis, tout aussi soudainement, l'envoi des héros d'hier vers des classes d'étude de la Révolution culturelle, pour les rééduquer et leur faire reconnaitre le caractère bourgeois de leurs exploits d'alpinistes.

Enfin, dans les années 70, le programme est relancé et d'autres alpinistes atteindront cette fois réellement le mythique sommet.

La particularité de cette enquête est de laisser beaucoup à l'imagination de l'enquêteur et du lecteur. Cédric Gras se livre à une remarquable reconstruction historique d'un moment délirant.
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Quand Mao arrive au pouvoir, il décide que l'Everest (8 848 m) sera conquis par la voie tibétaine et qu'ainsi, il sera intégré à la nouvelle République populaire. Conquérir le Qomolangma (nom chinois de l'Everest) est donc une affaire d'État, une performance politique plutôt qu'alpine.
La Chine n'avait pas d'expérience de la haute montagne, deux centaines d'hommes, uniquement des bons maoïstes, des prolétaires robustes. Sans expérience de la haute montagne, ils furent entraînés par des Soviétiques et durent s'acclimater. L'expédition devait avoir lieu en mars 1959 pour fêter le dixième anniversaire de la République populaire, mais le soulèvement des Tibétains qui fut maté dans le sang, la retarda. En mai 1960, la conquête est lancée. Seule "une cordée d'assaut" composée de Xu Jing, Liu Lianma, Wang Fuzhuou, QuYinhua, et du Tibétain Gonpo s'approchera du sommet. C'est Gonpo Dorge qui déploiera le drapeau rouge avec ses cinq étoiles et déposera le buste de Mao. Dans son rapport, le chef de l'expédition, Shi Zhanchun, affirmera que "c'était la lumière brillante du président Mao Zedong qui donnait une force sans bornes et la sagesse" à ces hommes. Mais sont-ils réellement parvenus au sommet de l'Everest, on peut en douter puisqu'aucune preuve atteste cette conquête et qu'on ne peut se fier aux récits officiels rédigés à Pékin.
Cédric Gras n'a pu consulter des sources originales, mais des traductions de documents écrits en mandarin. En prenant de nombreuses précautions, il a reconstitué l'histoire de l'alpinisme chinois en croisant ses sources avec d'autres découvertes dans des documents russes datant de la collaboration avec les Chinois et quelques témoignages directs. La propagande maoïste est telle qu'elle ne peut reconnaître que l'Everest a été vaincu en 1953, par la voie népalaise, par l'Anglais Edmund Hillary et le sherpa Tenzing Norgay. Et Cédric Gras d'écrire que "l'himalayisme maoïste est avant tout politique et non une liberté d'Occidental épris d'altitude" et "Il n'est même pas qu'une affaire de gloire et d'exploit patriotique. C'est une conquête militaire d'un territoire jusqu'à ses éminences les plus vertigineuses".
Pendant la Révolution culturelle, les expéditions s'arrêtèrent, considérées comme inutiles et bourgeoises. Les héros de l'alpinisme d'altitude finirent leur vie dans des camps de rééducation, sauf Xu Jing. Ce n'est qu'en mai 1975, que neuf alpinistes mieux atteignirent réellement l'Everest.
Ce que raconte Cédric Gras, ce n'est pas seulement l'épopée grandiose de l'alpinisme chinois, c'est aussi un pan de l'histoire politique et idéologique de la République populaire, de ses excès, de sa violence, de sa brutalité, de ses mensonges. Il le fait avec un art maîtrisé de la narration, en maintenant le suspense sur l'issue des expéditions et le devenir des alpinistes. Son récit est passionnant à lire.
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