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EAN : 9782234083394
224 pages
Stock (28/03/2018)
3.63/5   72 notes
Résumé :
Du Tibet à l'Albanie, du Pakistan à la Mongolie et à travers toute l'Eurasie, Cédric Gras interroge le voyage.
Rite de passage pour la jeunesse occidentale dont il faisait partie. Âge d'or de l'exploration d'un monde qui l'a fait rêver, mais que sa génération a trouvé transfiguré. Le voyage est aussi synonyme d'aventure, de poésie, de solitude ou de l'étude d'une langue.
Comment redécouvrir la Terre au XXIème Siècle?
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J'ai seize ans, je suis en Première littéraire et je découvre L'antivoyage de Muriel Cerf : la claque. L'envie de partir, d'aller où le vent me mènera. Je n'irai nulle part. Je passerai mon bac, poursuivrai mes lectures et découvrirai Alexandra David Néel (lue et relue), Nicolas Bouvier, Annemarie Schwarzenbach.
Plus tard Sylvain Tesson, cet été le magnifique Hautes solitudes. Sur les traces des transhumants d'Anne Vallayes.
Là, je viens de finir Saisons du voyage. Et de nouveau, s'empare de moi cette sensation qui s'apparente à de la faim ou plutôt à de la soif. L'impression de se balader le long d'un cours d'eau bien frais un jour de grande chaleur. Juste une envie : se jeter dedans !
Je tiens ça de mon père qui, jusqu'à ce qu'il finisse par se paumer dans des rues qu'il connaissait par coeur à cause de sa maladie de m---- , passait tout son temps à marcher. A peu près n'importe où.
Heureux dehors.
Ma soeur est pareille. Mon frère serait bien aussi dans le même genre. Maintenant que j'y pense, ma mère aussi.
C'est de famille.
Saisons du voyage dit à quel point partir est un besoin vital. « Demain ne pouvait que se trouver ailleurs. » L'auteur, étudiant en géographie, ne tarde pas. Il part. Il part car il s'ennuie. C'est lui qui le dit. Peu importe la destination au fond. Ce qui compte, ce sont les paysages traversés. Ils s'accompagnent d'une terrible prise de conscience : plus rien n'est à découvrir.  Tout a été vu, revu, photographié. Il ne reste plus qu'à marcher « sur les traces de ». Terrible constat : il est arrivé trop tard. Il ne peut que ramasser « les miettes du grand festin de l'exploration ». Sa génération doit se contenter de « lambeaux d'aventure ».
Sans compter que le tourisme de masse et la modernité viennent ternir encore davantage le tableau. On le sent un peu dépité notre Cédric ! Il s'en remettra. Il comprendra qu'on voyage à un instant T et que le monde qui nous est offert à ce moment-là est le nôtre et qu'il faut le prendre comme il est. Pourquoi en vouloir un autre ? Pourquoi toujours penser à ce qu'il y avait avant ? On appartient à une époque. On n'a pas le choix. Oui, maintenant on peut se rendre au Tibet « en wagon pressurisé ». Eh bien, allons-y quand même. Je comprends bien l'amertume de celui ou de celle qui aurait voulu y aller déguisé(e) en mendiant(e). Mais Alexandra David Néel serait, je crois, la première à nous inviter à la sagesse, à la contemplation de nos voisins de compartiment, à leur façon de manger, de dormir, de s'occuper d'eux-mêmes ou de leurs enfants.
« À Luang Prabang, il aurait fallu venir dix ans plus tôt. À La Paz les jeux sont faits. À Iguazu nous sommes des milliers. Je suis un voyageur en retard. »
On sent, dans les premières pages du livre, du dépit, de la colère même peut-être. Parce que le tourisme « proscrit la rencontre et folklorise le dépaysement », parce que le tourisme « ne peut s'immerger dans les lieux qu'il submerge », parce qu'en un mot, il « se moque du monde. »
Mais par la suite, j'ai eu le sentiment, en avançant dans ce récit, que Cédric Gras avait pris conscience qu'au fond, en faisant juste un pas de côté, on pouvait avoir le sentiment d'être seul, enfin dans un lieu où aucun touriste ne va : il suffit « d'éviter les incontournables, les tropismes communs, Ushuaïa, la vallée de Khumbu... », il faut « tracer des perpendiculaires aux circuits des superlatifs, ne pas s'émouvoir à l'unisson de ses pareils. »
Un simple pas de côté, vers un monde « absent de nos écrans, de nos ondes radio, du creux de nos assiettes » par exemple ! Aller là où les gens vous demandent pourquoi vous êtes là, bien persuadés qu'il n'y a pas grand-chose à photographier chez eux.
Pas si difficile que ça finalement. Car, à mon avis, ils sont bien nombreux, les lieux où personne ne va.
Et puis, si c'est possible, ajoutez à cela un petit décalage temporel : « Je me déplace avec les saisons, pas les périodes touristiques et les calendriers décrétés par les ministères, mais celles de la mécanique céleste. »
Et le tour est joué !
Au fond, la sagesse ultime, n'est-ce pas, finalement, accepter d'explorer « SON monde » c'est-à-dire, le monde tel qu'il est dans l'époque qui est la nôtre.
Saisons du voyage est l'histoire, me semble-t-il, d'un itinéraire spirituel, le récit d'une acceptation, celle qui consiste à regarder le monde dans lequel on vit avec ses brouillards de pollution, ses objets en plastique fluo, ses touristes à appareils photo, ses autoroutes infinies, son uniformisation-rouleau-compresseur et à l'accepter tel qu'il est. Je repense soudain à la façon dont Apollinaire dans « Zone » intègre, à sa poésie, le quotidien de son époque : Tour Eiffel, automobiles, enseignes, plaques, journaux, aéroplanes. Oui, c'est cela, Saisons du voyage est l'histoire d'un cheminement vers une forme d'adhésion à ce qui fait notre époque, qu'on le veuille ou non. « Je m'étais vu explorateur, au temps du bureau des Longitudes à l'intitulé si extraordinaire. Je suis devenu un simple voyageur emporté par la vitesse des transports, autour d'une planète rétrécie et uniformisée sous l'hégémonie des plus forts. Je n'en suis pas moins comblé, je ne me suis même jamais véritablement senti floué par l'époque. C'est dans ce monde-là que je me suis plongé la tête la première, pour feuilleter les pages de l'humanité dissemblable ou clonée, déchiffrer les sociétés en éruption et disséquer les pays anesthésiés. Voilà tout le voyage aujourd'hui. Lire le monde, partout, quel que soit ce qu'il nous raconte, observer les yeux grands ouverts. le regard : la vraie définition du voyage. »
C'est un homme « résigné » qui termine l'écriture de ce livre magnifique (et je ne vous ai pas parlé des mille lieux évoqués dans une prose poétique ciselée), « résigné » dans le sens d'apaisé car enfin en accord avec le monde qui est le sien, SON monde, peut-être un homme qui a mûri, qui n'est plus l'enfant qu'il était lors de ses premières escapades, mais quelqu'un qui a compris que le passé appartient au passé, que lui marche dans le présent et que ce présent, si on veut bien le regarder en face, révèle ses beautés à qui est capable de les voir. Un homme qui a compris qu'il ne pourra jamais tout contempler, parce qu'il est humain, qu'il n'a plus vingt ans et que certaines terres lui resteront à jamais inaccessibles.
« Résigné » et heureux.
Capable, un soir d'été, de se laisser porter par la mer « sous la voûte scintillante et démesurée », de contempler le ciel et d'avoir le sentiment profond d'être là où il doit être.
La sagesse ? Oui, ça s'appelle peut-être comme ça ...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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"La beauté se planque partout à qui sait la voir." : voilà une bonne raison de voyager !
Cédric Gras est allé sur tous les continents, il a sillonné quantités de territoires. Il a croisé des êtres humains de toutes sortes, s'est confronté à une impressionnante variété de modes de vie.
De ce qu'il a vu, de ceux qu'il a rencontrés, il garde des souvenirs forts qu'il partage ici.

Cédric Gras est intelligent et cultivé, il ne voyage pas "idiot", il ne se contente pas de superficialité et les nombreuses idées qu'il avance dans ce texte sont pour la plupart très intéressantes.
À l'occasion, il se lance dans des aphorismes, à l'instar de son ami Sylvain Tesson avec lequel il a partagé de nombreuses aventures : "Le tourisme c'est quand on raque, le voyage quand on radine."
Eh oui, le voyage n'est pas fait de luxe, du moins pas de luxe matériel, mais il est fait de simplicité, de vécu authentique et de découvertes.

Ce livre n'est pas un guide touristique. Ce n'est pas un récit de voyages.
C'est un essai, une succession d'observations et de réflexions.
Mais avant tout, Cédric Gras écrit sur l'évolution du voyage au fil du temps.
Désabusé, il constate avec tristesse que notre époque n'a plus rien à offrir aux aventuriers. Tout a déjà été découvert sur terre, pas le moindre petit recoin nouveau à se mettre sous la dent : "Je suis un voyageur en retard" regrette-il.
Oui, plus aucune terra incognita sur notre planète qui a déjà été sillonnée de long en large dans ses moindres recoins, mais cela n'empêche pas d'y faire de merveilleux voyages, à condition de bien savoir observer et comprendre ce que l'on voit.

Très intéressant, Les saisons du voyage n'est cependant pas exempts de défauts, la fin en particulier m'a paru un peu décousue et en-dessous du reste de l'ouvrage.
Mais cela n'empêche pas l'ensemble de rester une excellente lecture, agréable et intelligente.

Dans la même catégorie, je ne peux m'empêcher de mentionner l'indétrônable Petit traité sur l'immensité du monde de Sylvain Tesson, véritable coffre au trésor que je rouvre régulièrement et que je recommande à tous ceux qui ne l'ont pas encore lu.
Vive la lecture qui nous offre en toutes saisons de si merveilleux voyages !
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De temps en temps, je fais ma valise et je pars en voyage avec Cédric … Enfin ça c'était dans le monde d'avant, bien sûr. Alors aujourd'hui Cédric et moi on discute au coin du feu (foutu printemps qui n'arrive pas). de tout, de rien, mais surtout de voyages, bien sûr. du tourisme qui dénature tout, les paysages, les peuples et leur hospitalité, leurs mentalités. de la liberté, si essentielle et pourtant si insaisissable et si douloureuse à gérer. Des raisons qui nous poussent encore à prendre la route, à l'heure où tout a été découvert. Je perçois alors beaucoup de tristesse dans sa voix, celle d'être né à une époque où il n'y a pas plus de terra incognita. Et puis on parle aussi de nos plus beaux voyages et de nos plus belles rencontres, ceux que les livres nous ont offerts.

C'est un livre pour guérir de l'envie de voyager, et donc peut-être idéal à découvrir dans ce monde nouveau fait d'immobilité et de solitude. Sauf que cet essai est aussi imprégné de nostalgie et de désillusions, et donc une lecture peut-être pas si indiquée en ces temps moroses. Ou alors à condition d'avoir tiré un trait sur le monde d'avant.
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Qu'est-ce que le voyage? Pourquoi voyager? Cédric Gras, l'éternel bourlingueur, se pose, l'instant d'un récit, pour décortiquer ce besoin viscéral de quitter et de revenir. « Ceux qui ont l'espace dans le ventre et qui butinent le nectar du monde » trouveront à s'y repaître et ceux qui ne partent pas comprendront un peu mieux les premiers.
« La Terre, vaste salle des pas perdus » arpentée joyeusement dans la jeunesse et plus sérieusement à l'âge mûr, Cédric Gras en rend compte magnifiquement dans ce recueil qui est plus qu'un compte-rendu de voyages mais bien une réflexion sensible sur la frénésie du tourisme et ses effets sur les beautés de ce monde. L'auteur nous invite à voyager autrement qu'à la vitesse de l'éclair, à s'arrêter aux lieux le temps d'appréhender l'autre et pourquoi pas, apprendre les rudiments de sa langue. Aller voir autre chose que l'attendu.
Écrit avant la pandémie, Saisons du voyage arrive à point alors que l'humanité a des fourmis dans les jambes et souhaite renouer avec les horizons lointains.
Un très bel ouvrage à posséder afin de pouvoir relire et savourer les phrases joliment tournées de Cédric Gras.
« Nous ne sommes peut-être qu'une espèce de rupture dans l'évolution, un de ses plus marquants visages. Et cela aussi c'est un vertigineux voyage… »
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Cédric Gras continue d'inscrire son nom dans le catalogue des éditions Stock. Après L'hiver aux trousses publié en 2015 puis Anthracite l'année suivante, le voilà qui revient aux affaires avec Saisons du voyage. Un récit intime, une vision mise à nue sur le voyage et ses déconstructions contemporaines. Vous avez dit mélancolie ? C'est peut-être bien plus que cela… Lettres it be a pris part à ces pérégrinations et vous en rapporte quelques mots.


# La bande-annonce


Du Tibet à l'Albanie, du Pakistan à la Mongolie et à travers toute l'Eurasie, Cédric Gras interroge le voyage. Rite de passage pour la jeunesse occidentale dont il faisait partie. Âge d'or de l'exploration d'un monde qui l'a fait rêver, mais que sa génération a trouvé transfiguré. le voyage est aussi synonyme d'aventure, de poésie, de solitude ou de l'étude d'une langue. Comment redécouvrir la Terre au xxie siècle ?


# L'avis de Lettres it be


C'est un tour du monde le temps d'une vie qui nous est proposé dans ce livre récemment paru du côté des éditions Stock. le tour du monde d'un homme, Cédric Gras, d'abord étudiant en géographie avant de partir vagabonder au gré des pays et des continents. Après avoir fait transparaître son goût pour l'ailleurs dans nombre de ses précédents livres, celui qui a contribué à créer l'Alliance française de Donetsk dès 2011 avant la naissance du conflit entre Russes et Ukrainiens propose cette fois un texte bien plus personnel, entre l'éloge et l'oraison funèbre du voyage.


La mélancolie qui imprègne les pages de ces Saisons du voyage est loin d'en être le seul élément constituant. Au-delà du récit de voyage qui est proposé de temps à autre, au-delà des reproches faits au modernisme galopant qui fait du voyage et de l'évasion un procédé mercatique comme les autres, Cédric Gras montre toute l'étendue de son talent d'auteur. C'est simple : la langue servie dans ce livre respire le travail, l'attention. L'édifice littéraire modeste et sans prétention aucune qui est proposé entre ces pages donne toute l'impression du travail bien fait, attentif, cette même impression qui habite l'observateur devant le travail de l'artisan attablé des heures durant pour ne laisser au hasard le soin de ne terminer aucun détail spécifique. Cédric Gras fait un pas assuré dans la cour des grands auteurs du moment, chaussé de ses bottes crottées d'aventurier. Sylvain Tesson ? Encore mieux, encore plus loin dans les terres vierges de la beauté littéraire.


C'est le récit d'un vagabond, le récit de quelqu'un qui a toujours longé les rails de la sédentarité moderne, refusant d'embarquer dans le moindre wagon, préférant le poids de son sac à dos et l'immanente légèreté de la découverte de l'ailleurs. Cédric Gras signe un livre de non-fiction qui a tout l'air de ce qu'il n'est pas. Difficile de marcher, page après page, dans les pas d'un tel aventurier discret, d'un amoureux de la perdition au-delà des frontières proches. Difficile de se perdre avec lui dans la froideur sibérienne avant de suer à grosses gouttes sous la moiteur asiatique. Saisons du voyage est le cri d'un cygne majestueux, l'un des derniers râles d'une époque tout entière et qui prend ici la plume d'un seul homme. Servi par une langue finement travaillée


Retrouvez la chronique en intégralité sur Lettres it be
Lien : https://www.lettres-it-be.fr..
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critiques presse (3)
LeMonde
23 juillet 2018
Saisons du voyage se laisse moins facilement classer dans l’une de ces catégories génériques, et c’est heureux. Récit réflexif, pourrait-on dire, sa forme hybride est à l’image de son propos.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Actualitte
07 mai 2018
Entre errance et itinérance, il raconte avec une grande finesse le voyage et tout ce qui en découle, offrant un regard sur le monde contemporain, à la fois géographique et sociologique. Saisons de voyage, c’est donc aussi la confirmation d’un grand écrivain-explorateur.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LeFigaro
13 avril 2018
Forte d'une longue tradition, la confrérie des écrivains voyageurs se perpétue. Plusieurs beaux récits contemporains, dont celui de Cédric Gras, animé par la même soif d'ailleurs, en témoignent.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (58) Voir plus Ajouter une citation
J'ai proposé des échappées en diable à des camarades, devant des verres sans alcool. Je ne buvais pas une goutte de ces breuvages, ne consommait rien qui générât des rêves factices. Je voulais vaciller depuis d'autres hauteurs que celles des tabourets de bar. Je ne comprenais pas que l'on puisse avoir autre chose à faire que d'embarquer pour le bout du monde. Comme si les horizons pouvaient passer après je ne sais quelle obligation fallacieuse. Comme si on pouvait préférer regarder flotter des glaçons dans un whisky en causant d'art contemporain plutôt que les icebergs miroitants depuis le pont d'un cargo rouillé.
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et puis, surtout, des noms, des noms de tableaux.
Partout les gens cherchent les chefs-d'œuvre, ne lisant les cartels que pour vérifier s'il s'agit d'un grand maître et, selon, s'extasier ou passer leur chemin. Ils ne prennent guère le temps d'apprécier ces mentions discrètes, qui légendent les barbouillages d'inconnus comme les plus célèbres toiles. Peut-être est-ce bien singulier mais je nourris un goût secret pour ces plaquettes gravées de titres aux tournures dépouillées et candides, qu'on n'emploierait jamais pour des livres. J'y vois une poésie aussi puissante que brève, des haïkus des beaux-arts, contraires à tout lyrisme et plus éloquents d'être si sobres. Ce sont au hasard des couloirs et des salles, des descriptions succinctes telles que :
Sortie du bain
Japonaiserie : le prunier en fleur
Paysage avec boeufs
Étude d'arbres
La naïveté explicite de quelques termes paraphrasant l'évidence a toujours trouvé dans mon âme une certaine résonance. Il y a quelque chose comme une économie de mots sur ces discrets écriteaux : Semeur, Jeune femme à sa toilette, La Grande Vague de Kanagawa. On distingue un attribut permettant de reconnaître un portrait dans un thème séculaire : Nu assis au collier bleu, Le Corsage à carreaux. Comme si l'exercice était à ce point commun qu'il ne puisse se dépareiller que par une chemise colorée ou un motif anodin. Peut-être parce qu'il ne s'agit pas de concurrencer la peinture par une sophistication du verbe. Un refus de nommer, une simplicité évocatrice, une beauté involontaire.
Qui baptise les toiles ? Parfois les gens disent d'un livre qu'ils n'ouvriront jamais : «Quel beau titre !» A-t-on déjà entendu pareille exclamation au sujet des intitulés des beaux-arts ? Je crois que j'aurais, sans les avoir jamais vus, souhaité ardemment admirer Les Amoureux dans le lilas ou La Naissance de Vénus. Il me semble que je n'aurais pas su si La Beauté sur la terre de Ramuz était une œuvre littéraire ou de peinture. Je n'ai croisé qu'à de rares occasions des hommages d'écrivains aux vulgaires étiquettes d'exposition. Portrait de groupe avec dame d'Heinrich Böll et une allusion dans Avril brisé, d'Ismaïl Kadaré.
Souvent dans mes voyages, assis devant des scènes indicibles, j'ai tenté cet exercice de la suggestion. J'ai rempli des cartouches sous des cadres imaginaires : Caravane nomadisant sur le toit du monde, Ismaéliens devant l'Hindou Kouch. Si je devais nommer quelques chefs- d'œuvre de ma collection intime, je dirais Bouquet d'arbres en octobre, La Liberté en berne, ou encore La Mer à Marioupol. La mémoire est galeriste. Elle procède par tableaux. Je revois encore Jeune fille en pleurs, Le Cœur lourd : autoportrait, Navire appareillant au port (esquisse), Lumières du Grand Sud, Joie des retrouvailles, Nu assis au sein lourd.
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Jusqu'à mes dix-huit ans, j'ai écrit et reçu des lettres manuscrites tout en rêvant sur des cartes de papier et dans des livres aux couvertures cartonnées. Ma génération est la dernière à avoir grandi hors la numérisation de tout instant. Nos esprits se forgeaient à l'aube de la révolution de la grande transmission. On dégaine désormais un téléphone pour trouver un lit qu'alors – c'était il y a dix ans seulement- on cherchait dans toute la ville, demandant son chemin et dénichant des adresses périmées depuis des lustres. Les nouvelles technologies ont sonné le glas de l'imprévu et la disparition des péripéties minuscules. Le voyage se lisse , le quotidien se polit d'autant que les combines de débrouillards sont balayés par l'informatisation des administrations.
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J'entends de nos jours des discours conceptuels qui appellent à « redécouvrir », « réinventer », « porter un autre regard »... Ils emploient le même vocabulaire que les artistes prétendant nous faire « voire le monde différemment » dans une panne d'inspiration générale. Celle qui nous ressert une soupe toujours un peu plus amère.
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Le voyageur n’est plus un homme éclairant la pénombre d'une topographie broussailleuse.Non,il est un pélerin sur la piste de ses dieux:Ella Maillart,Alexandra David-Neel etc. C'était une autre terre.C'était l'inventairedu monde,l’énumération des curiosités .C’est sur la foi de ces pères ayant épuisé jusqu'à la moelle la science géographique que nous en sommes aujourd'hui à la post-exploration ,au recensement de ce qu'il en reste, à l'état des lieux écologiques,au dénombrement pointilleux des langues mortes,des tribus disparues,des forêts décimées.L'aventure s'est trouvé une nouvelle caution :l'inspection du désastre.Il ya de l'histoire dans la géographie.Dramatiquement.
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