Citations sur On reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait en s'en all.. (61)
Elle est seule dans les allées de la grande surface, ma mère. Les larges allées qui n'en finissent pas , avec tous les produits à l'infini. Ma mère est seule. Elle est deux inséparables séparés.
Elle fait toujours le même chemin. Elle sort, dans le silence de la nuit, en douce. Elle roule tout doucement, ronde et lisse, elle glisse le long de la joue, comme une caresse légère, presque une chatouille... Elle franchit la pommette, rampe jusqu'à l'oreille où elle s'engouffre, ou continue son chemin jusqu'au cou, laissant son empreinte humide et délicate, sa ligne fine, comme un tracé de plume, entre le coin de l'oeil et la mâchoire.
Un soir, elle était si lourde qu'elle a roulé jusqu'en bas du cou, sous la gorge, là où la peau forme un petit creux. Alors, elle est restée là, dans le petit creux, comme un lac triste et dérisoire.
Et c'est toute la maison qui dansait autour de lui. La maison dansait dans la musique de la Guyane, dans les odeurs de cuisine épicée de ma mère, dans le soleil qui entrait partout. La maison aux portes ouvertes, la maison joyeuse de mon enfance...
Le cerveau n’a rien à voir avec l’amour.
On a posé un voile sur notre vie, comme quand on pose des draps blancs sur les meubles des maisons de vacances. Pour que tout soit en place quand revient l'été. Pour que rien ne s'abîme.
Dans un murmure. Un balbutiement. Un " Je t'aime " à peine audible et pourtant si puissant, comme si son cœur m'avait parlé directement, sans passer par la bouche, et surtout sans passer par son cerveau... Un "Je t'aime" qui vient du cœur, directement, sans déformation, sans arrière-pensée, sans fard.
Je te vois comme ça, pur et lumineux, transportant ton rire dans les dédales des rues comme le sang dans les veines d'Alger. Ton rire jaillissant de tes petites dents espacées, le rire de ce bonheur passé.
Et parfois, le miracle se produit quand il aperçoit quelqu’un qu’il aime. Il peut s’échapper un peu, laisser sortir une phrase, paraître un sourire… Il se faufile à travers la porte entrouverte et laisse entrer la lumière, il y a des souvenirs qui reviennent, diffus, et l’espace d’un instant, il se sent mieux.
« Il y a quelque chose que j’aimerais dire à tous les bienheureux, tous ceux qui ont la chance d’avoir un père vaillant, un père qui peut prononcer leur nom, se lever, marcher avec eux, j’aimerais leur dire : « Fermez ce livre, ce plaisir solitaire du livre, vous avez toute la vie pour être seuls face à un livre, et sortez, descendez dans la rue, videz les artères des immeubles, répandez-vous sur les chemins en une hémorragie de fils et de filles, suivez le bruit de votre cœur qui bat et courez le retrouver. » Mon père n’était pas parfait. Il l’est devenu le jour où il a arrêté de parler, d’être froid, de toujours donner raison à ma mère, de me contredire. Ce jour où mon père est devenu invalide, je l’ai mis sur un piédestal. Mais ce sont toutes ses imperfections qui me manquent. »
Ma mère trace son chemin. Les gens croient que ma mère est faible, mais elle est plus forte que tous ces gens réunis. Ma mère fait l’infaisable. Ma mère supporte l’insupportable. Elle ne se pose pas de question. Elle ne cille pas. Elle est forte de tout l’amour qu’elle porte en elle. Elle poursuit sa route, avec son homme à bout de bras. Elle n’écoute pas ceux qui lui disent d’abandonner. Elle n’écoute que lui. Elle n’entend que sa souffrance. Ma mère ne suscite pas de pitié. Elle provoque l’admiration. Ma mère n’a plus rien mais elle est riche. Riche de tout ce que les autres n’ont pas.
Ma mère est là où elle a toujours été. Très haut. Tout au-dessus.