Citations sur On reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait en s'en all.. (61)
Ils sont assis sur le canapé du salon, côte à côte, à respirer le même air. Elle regarde la télé, et lui regarde l’écran, puis ses mains, puis les motifs du plaid. Il est heureux qu’elle soit à ses côtés, alors il ne bouge pas. Elle est heureuse aussi de l’avoir près d’elle, même muet, même malade, même trop lourd à lever.
Il est toujours l’homme de la goélette. Elle le voit comme ça, encore, grand et magnifique, avec tout le soleil autour. Elle préfère qu’il soit là, quelles que soient les conditions, qu’il soit en vie, près d’elle, même en toute petite vie misérable, mais en vie, avec ses yeux sur elle, son odeur, sa peau et ses airs d’autrefois. Et qu’elle puisse le toucher, le tenir, l’embrasser, car c’est tout ce qui compte. Tout.
Tout ce qui a toujours compté.
Pour la première fois, nous parlons de sa maladie. Nous ne la connaissons pas encore, mais nous savons qu’elle est là. Qu’elle est entrée chez nous sans être invitée. Et qu’elle n’a même pas eu la courtoisie de se présenter.
Elle [ma mère] est forte de tout l’amour qu’elle porte en elle. Elle poursuit sa route, avec son homme à bout de bras. Elle n’écoute pas ceux qui lui disent d’abandonner. Elle n’écoute que lui. Elle n’entend que sa souffrance.
Mon père ne m'avait jamais dit:"Je t'aime" et pourtant il existait,bien palpable,sous-jacent,cet amour entre nous.
C'était notre porte parole, maman.
Nous ne parlons jamais de nous. Jamais. Les timides ne savent pas parler d’eux-mêmes. Ils ne peuvent pas. Ils parlent de la pluie et du beau temps. Ils laissent l’autre s’exposer, être dans la lumière. Un timide ne brille jamais plus que dans l’ombre.
Elle est seule dans les allées de la grande surface, ma mère. Les larges allées qui n’en finissent pas, avec tous les produits à l’infini. Ma mère est seule. Elle est deux inséparables séparés. Elle est seule parmi les gens deux par deux, juste accompagnée par son absence, à pousser son chariot, à porter ses paquets, seule dans les yeux du boucher qui la salue, seule à décider ce qu’ils mangeront ce soir, seule dans la queue à écouter parler les autres autour, seule à discuter avec la caissière... Et quand elle monte dans la voiture, seule, ma mère, avec la place du passager vide à côté, son ancienne place à elle.
Seule pour la première fois.
Elle est seule et elle ne voit plus que ceux qui sont deux, tous ces petits vieux qui marchent ensemble jusqu’au bout de leur vie, l’homme pousse le chariot, la femme le remplit, et ils se concertent devant les vins, ils s’engueulent un peu, et puis ils repartent, et la femme se plaint que son vieux ne marche pas assez vite, mais ils finissent toujours par se retrouver à un carrefour, entre les céréales et le pain. Ma mère dérive au milieu du ballet des couples qui se perdent et se retrouvent.
Et ça lui fait un grand vide, un vertige immense. Le vertige de tant de tristesse en elle.
Les pères savent que les paysages sont encore plus beaux quand on les regarde avec ceux qu'on aime. À cette époque je l'ignorais.
Rien ne passe dans les yeux de mon père. Même la musique n'entre plus. Je sens les larmes monter. Les miennes. Pas les siennes. Dans ses yeux, il n'y a plus rien. Plus de lumière. J'éteins .
Lilie ne se plaint jamais. Elle a juste l air de s excuser de ne pouvoir en faire d avantage. Elle est de ces personnes qui nous rappellent que l humanité existe, quand on se met à douter. Qu il reste des lanternes, quelque part dans l ombre. Et qu on peut avoir la chance d en croiser une.