Pinehead, la tête d'épingle, l'une des "créatures" les plus célèbres du Freak's Show a un nom : Schlitzie Surtees comme il l'est indiqué sur sa tombe.
Cette bd américaine est a priori le fruit d'un long travail mené par
Bill Griffith, un auteur de la bd underground américaine plutôt peu connu en France et qui avait déjà réalisé une série de comics strips autour de Zip , un autre fameux pinehead dans les années 70 ( si j'en crois Wiki).
Au passage, je signale à Babelio une erreur quand à la fiche du livre. L'auteur affiché n'est pas celui du comics. Dans la fiche , il est fait référence de
Bill Granger, un écrivain américain dont l'un des pseudonymes est
Bill Griffith mais ce n'est PAS le
Bill Griffith du comics.
Dans tous les cas, on peut dire que les Freaks sont un sujet qui semble tenir à coeur
Bill Griffith depuis que ce dernier a vu la fameuse réalisation de
Tod Browning " Freaks" dans les années soixante, un film percutant auréolé d'une certaine réputation partagé entre censure et reconnaissance.
Dans ce film, une joyeuse tête d'épingle a droit à une sympathique scène. Il s'agit de Schlitzie. Et, autant le dire, Schlitzie c'est un rayon de soleil dont on prend plaisir à lire sa biographie. Porteur d'une joie et d'un sourire qui semble omniprésent dans ce titre, Schlitzie est un homme qui appelle à la compassion. Microcephale avec une perpétuelle âme d'enfant, abandonné par ses parents, vendu aux Sideshows , c'est à dire les fameux cabarets de Freaks, Schlitzie fit aussi bien face aux cruelles moqueries de certains visiteurs tout comme il fut baigné dans une certaine solidarité et une belle amitié tout en tendresse de la part de ses protecteurs.
Ce qu'on retient de ce comics biographique, c'est bien évidemment le portrait de Schlitzie dont la personnalité est surtout mise en valeur par son rapport aux autres. Peu introspectif malgré quelques hallucinations gentiment absurdes sur Félix le Chat et quelques stars de l'âge d'or hollywoodien,
Bill Griffith préfère mettre en valeur cet éternel enfant dans son rapport aux autres. de ce fait, même si il est biographique et qu'on ressent son parcours depuis son abandon par ses parents jusqu'au crépuscule de sa vie alors qu'il se baladait en compagnie de son dernier éducateur au MacArthur Park , Schlitzie demeure un personnage légèrement mystérieux, un être à part dont les répliques décalées, la joie enfantine , le sourire béat en font quelqu'un de singulier et précieux. Il est bon aussi de savourer une biographie sans forcément tomber dans la psychologie intime d'un personnage.
Côté dessin, je pense que nous sommes surtout dans de la bonne vielle école. C'est une ligne claire façon comics américain avec un certain degré de réalisme. C'est un réalisme qui est rendu par le souci du détail publicitaire comme les nombreuses pancartes , écriteaux et autres devantures témoignant des sideshows et qui est aussi exacerbé par le noir et blanc renforçant l'ancrage temporel de ce titre. C'est un titre bien garni mais qui n'est jamais étouffé par son verbiage car Griffith prouve ses grandes qualités de narrateur à travers une mise en scène fluide et diversifié. Il y un réel mouvement dans ce titre jamais rigide même si le dessin noir et blanc un poil rétro (mais qui colle tellement bien au cadre de l'histoire) peut sans doute rebuter certains lecteurs.
Personnellement, je me suis régalé devant cette bd . Quelques exemples de cette mise en scène : parfois, nous avons des petits passages hallucinés, plus introspectifs de Schiltzie , une mise en scène plus dramatique avec un jeu plus prononcé de clair-obscur durant la période où cet homme est enfermé dans un asile psychiatrique. Mais l'un des meilleurs moments de cette bd, c'est la séquence dans laquelle Schiltzie rencontre deux espèces de bobos qui voit en lui avec ses répliques absurdes un génie totalement décalé. C'est une scène comique renforcée par les lignes arrondies des cases. Cette scène évoque un peu la naiveté d'un Forrest Gump qui , avec sa candeur, traverse un peu
L Histoire. C'est plus réaliste dans cet album mais la vie de Schlitzie évoque aussi ce merveilleux du Freak Show qui a traversé et fini son temps. On peut légitimement critiquer l'opportunisme et l'immoralité du Freak's Show mais la bd de
Bill Griffith montre aussi, tout comme le film de Browning, l'humanité et la solidarité qui se cache chez ces artistes. Artistes , freaks à qui fut donné la chance d'avoir un travail, un toit et à manger surtout dans durant des périodes difficiles d'intolérance. Certains en ont même gagné une postérité tout comme l'émouvant parcours de Schlitzie.
Tête d'épingle est une excellente biographie, un peu classique dans son style de dessin, elle est cependant captivante grâce à une narration variée et un personnage dont la présence solaire transcende le noir et blanc d'une époque pas si lointaine.